Inspiré par les escapades juvéniles de son directeur artistique dans les sous-bois de sa Scandinavie natale, Fe rappelle dès ses premières minutes le calme qui habite nos amis suédois lorsqu'ils n'ont pas à effectuer une réclamation chez leur géant national du meuble à bas-coût. Zen, reposant et paisible, le jeu choisit en plus de raconter son (ses) histoires(s) sans user de la moindre parole : un pari audacieux qui a l'avantage de ne rien coûter en localisation, n'est-ce pas Nintendo ?

Expecto Patronum

Propulsé avec douceur au coeur d'une forêt aux teintes quelque peu surréalistes, l'indescriptible avatar aux airs de renard, qui vous accompagnera de bout en bout, se voit bien vite attiré par un majestueux cerf qui vous invite malgré lui à le rejoindre. Et il ne faudra ainsi qu'une poignée de secondes au nouveau jeu de Zoink Games pour vous dévoiler sa feature principale : le petit Fe s'exprime uniquement sous forme de chant. Une originalité qui lui permettra de se faire autant d'amis à poils et à plumes que dans un film signé Walt Disney, en plus de nous rappeler les onomatopées indéchiffrables de notre chère community manager.

Que ce soit le brocard initial, une bande de rongeurs ou un drôle de phacochère possédé, chacun des 30 millions d'amis croisés dans l'aventure vous offrira un coup de main en mettant à profit une capacité particulière. Que vous ayez ou non peur des chiens, il vous faudra ainsi approcher toutes les bestioles rencontrées pour entrer en résonance avec elles au moyen des boutons de tranche : grâce aux analogiques gâchettes modernes ou à l'accéléromètre de la Switch, il faudra se caler sur la bonne fréquence pour s'adjoindre les services des hôtes de ces bois. Et si vos potes les animaux finissent toujours par vous fausser compagnie, certains acolytes vous apprendront à parler leur langage, et qui vous permet par la suite de vous passer de leurs services.

Fe comme l'oiseau

Mais avec un environnement très ouvert qui lorgne sans en atteindre le degré de finition sur une sorte de Metroidvania en 3D, il va vous falloir accepter de laisser en plan bon nombre de pistes lors de votre premier passage, pour mieux y revenir au bout de quelques heures. Si l'exploration reste constamment guidée par un marqueur désactivable à loisir, il faudra scruter les moindres recoins des environs polygonés de Fe pour y dénicher des éclats rougeoyants, synonymes d'upgrades. Au nombre de 75, ces éclats débloquent des capacités centrées sur l'exploration une fois offerts en pâture au cousin germain du vénérable Arbre Mojo. Quel dommage qu'au vu du nombre d'objets à récolter, Zoink n'ai pas songé à doter son jeu d'un système de téléportation qui aurait rendu l'exercice bien plus digeste.

Si la grimpette le long des troncs des pins parsemant le jeu s'acquiert avec un seul de ces items, les évolutions suivantes demanderont d'en récolter toujours plus, même si les dernières améliorations ne se révèlent pas assez indispensables pour refaire un tour complet du propriétaire. La palette de mouvements s'enrichira en tous cas assez pour offrir au bout de quelques heures une liberté jouissive qui poussera à aller toujours de l'avant. En mariant les capacités de la faune locale avec vos sérénades en forme de sésame, Fe offre une aventure apaisante et plaisante, avec assez de nouveautés dans chacun de ses environnements pour en voir le bout sans (presque) s'arrêter.

Fúmitø Íkeå

Le jeu a beau être ouvert dès le départ, la maîtrise des différents brames, couinements et autres belottements sauvages conditionne et encadre votre progression, tout en vous laissant progressivement apprivoiser vos nouvelles capacités, pour mieux vous permettre de les marier entre elles lorsque l'occasion s'y prêtera. Étonnamment, l'escalade des arbres et le vol plané que l'on débloque assez rapidement suffisent, grâce au level design, à offrir suffisamment de variété pour ne pas tomber dans une certaine lassitude, surtout lorsqu'intervient une superbe séquence de varappe sur cerf géant très clairement empruntée à Shadow of the Colossus. Ce passage illustre d'ailleurs cette diversité distillée par Fe durant son déroulement, un bon point pour une aventure qui se boucle d'ailleurs en quelques heures seulement.

Les ennemis (définis comme les "Silencieux" par le jeu) qui patrouillent régulièrement vous obligeront parfois à vous cacher dans les buissons pour tromper leur tour de garde, voire à carrément faire de longs détours lorsque vient le moment de subtiliser un item pour le ramener vers le trigger qui va bien. Si elles ne resteront pas forcément gravées dans les mémoires, les séquences d'infiltration obligeront parfois, comme dans une certaine série d'assassins, à prendre de la hauteur pour préparer son coup. Et si les phases narratives à travers le casque de vos ennemis tardent sans doute un peu à avoir du sens, le final de Fe et son dénouement inattendu laisseront a posteriori une très bonne impression. La métaphore des humanoïdes dépassés par une force qu'ils tentent de maîtriser ne réinvente évidemment pas la roue, mais elle a le mérite de parfaitement coller avec l'ambiance zénifiante et pro-nature du jeu.

Le cas Fe, l'addition

Quel dommage en revanche que Fe ne se montre pas aussi inspiré sur le(s) plan(s) technique(s) : même sur PS4 Pro, le jeu saccade trop souvent pour ne pas le mentionner, et les bugs de collision facilement déclenchables laissent présager d'un manque de finition qui dessert clairement le jeu. D'une manière plus générale, les interactions avec tous les éléments souffrent d'un caractère brouillon qui ne l'handicape pas réellement, mais qui fait clairement tâche, surtout lorsque la partie visuelle s'avère si soignée.

On pestera aussi plus d'une fois sur le nuancier de saut qui témoigne d'une raideur anachronique, et fera nécessairement louper quelques phases de pure plate-forme, même aux joueurs les plus précautionneux. Fort heureusement, Fe accorde la forme et le fond et ne propose pas une difficulté insurmontable, loin s'en faut. On conseillera même à ceux qui souhaiteraient dépasser la huitaine d'heure de carrément désactiver l'aide à la navigation, tant le pathfinding joue bien son rôle. En revanche, seuls les plus acharnés réussiront à saisir le fin mot de cette histoire sans paroles, car la narration (très) éclatée ne se dévoile qu'au travers de heaumes qui feront revivre par bribes les souvenirs des Silencieux, et par une grosse centaine de stèles picturales à découvrir... et interpréter. Il faudra donc pour les autres se contenter d'un conte abstrait, qui se suffit heureusement à lui-même ainsi. On a eu peur.