Les jeux d'aventure et les point & click sont historiquement des jeux PC. En fervent consoleux, j'ai une nouvelle confession à faire : je n'ai quasiment jamais touché à ces titres là. Ni Day of the Tentacle ni Gabriel Knight, ni même Grim Fandango. J'ai seulement joué à Fahrenheit et Heavy Rain, mais je sens bien que ça va froisser certains si je m'en tiens à ce genre de parallèles. L'année dernière cependant, j'avais fait quelques efforts, en me mettant à la troisième saison de Sam & Max et en m'essayant rapidement au remake de Secret of Monkey Island, sans être véritablement convaincu.

Pourtant le genre a tout pour me plaire. Son principe même, baser la progression sur des challenges reposant plus sur la réflexion que sur la dextérité est trop peu souvent exploré. On s'y emploie à observer et à interagir avec l'environnement pour résoudre les problèmes et faire avancer une histoire généralement plus présente et élaborée qu'à l'accoutumée. Et de fait, ces jeux nous mettent le plus souvent dans des situations aux antipodes de ce que l'on joue d'habitude : on y croise des galeries de personnages décalés, dans des versions plus ou moins différentes de notre monde réel, de notre quotidien. Bref de quoi trouver des jeux narrativement ambitieux allant au délà du simple combat comme seule forme d'adversité.

En 2011, la culpabilité et les bonnes occasions aidant, j'ai donc pu me lancer plus sérieusement dans ce genre que j'avais plutôt délaissé.

Diversité distrayante
Le premier aspect marquant est comme je l'ai dit la variété des situations proposées : j'ai incarné un avocat japonais débutant faisant face à des procès improbables, un touriste américain enquêtant sur une conspiration après un attentat à Paris ; un forumeur sur le net des années 80, un inspecteur du Los Angeles des années 40 torturé par son passé, un professeur de collège japonais, un chien détective privé et son acolyte lapin sociopathe, etc. C'est une distraction fort bienvenue et comme vous avez pu le constater avec ma sélection narration, ces mondes servent généralement de décors à des histoires brillamment racontées. Sword & Sworcery en appelle au mythe dans un univers excentrique, Digital A Love Story et Don't Take It Personally Babe évoquent magnifiquement leurs microcosmes respectifs : les premiers forums de geeks et les réseaux sociaux d'adolescents en pleine puberté. Les Chevaliers de Baphomet rappelle directement les dessins animés par son visuel vivant et son scénario mêlant aventure et mystères archéologiques.

Il est primordial que ces mondes intriguent et fascinent, car ils constituent souvent la motivation première de la progression. D'autres genres de jeux peuvent se contenter de faire appel à la maîtrise croissante des mécaniques, ou à la montée en puissance du personnage, mais les jeux d'aventure et point & click ne fonctionnent pas selon ces modes d'interactions et de progression.

Interactions
Quand la seule interaction disponible dans votre jeu est de tirer debout ou à couvert, il est aisé de communiquer au joueur quelles actions sont à sa disposition et quelles conséquences celles-ci auront. Les jeux d'aventure sont eux confrontés à un problème d'interface, et les solutions qu'ils y apportent diffèrent significativement.

Monkey Island met à disposition du joueur une grammaire complète d'actions : regarder, ouvrir, aller à, tirer, pousser, etc. Cela permet de couvrir l'intégralité des situations et laisse un grand degré de contrôle au joueur, qui sait précisément ce qu'il va faire, évitant toute ambiguïté. Les Chevaliers de Baphomet, lui préfère la simplicité, et ne vous permet que de regarder et utiliser. Le jeu interprète donc votre intention, et peut parfois vous mâcher le travail, mais cela fluidifie grandement l'expérience. De même, tous les éléments interactifs apparaissent, nous dispensant de phases de recherche pour se concentrer sur la résolution des énigmes. Digital A Love Story reproduit un environnement informatique donc les interactions sont immédiatement familières. L.A. Noire quant à lui sépare son expérience de jeu en phases bien identifiées avec des objectifs précis : une phase d'inspection ou l'on examine les décors alimente une phase d'interrogatoire. Les éléments inspectés ou révélés dans les dialogues constituent alors le point de départ des questions, justifiant la sélection proposée, et en permettent la résolution en venant appuyer les accusations de l'inspecteur. Phoenix Wright propose un mode d'interaction similaire, en partant cependant directement des dépositions des personnages. Dans tous les cas, ces dispositifs réduisent la frustration du joueur en lui communiquant la logique des interactions disponibles. A l'opposé, Sword & Sworcery nous permet d'interagir avec l'environnement, mais sans qu'on sache toujours ce qui est attendu. On pourra utiliser des cascades comme des cordes d'instruments de musique, pointer des bosquets dans la forêt ou déplacer des montagnes, mais on doit sans cesse se référer aux indications cryptiques du narrateur. C'est peu dire que la progression n'est pas évidente.

Progression
En parlant de la progression là encore, il y a plusieurs écoles. Les Sam & Max comme les Monkey Island ont une structure assez rigide ; ou les énigmes tordues doivent être résolues dans un ordre précis pour progresser. Si les objectifs ne sont pas clairs, cela peut mener à de nombreux allers retours dans les environnements et à l'essai systématique de toutes les combinaisons. C'est la source principale de frustration, la réflexion est abandonnée à la force brute. L'intrigue perd de son humour, les personnages de leur charme. Les Chevaliers de Baphomet s'en sort en conservant des énigmes simples et logiques. L.A. Noire limite la frustration au maximum avec un Cole Phelps qui énonce clairement quels éléments sont pertinents pour l'enquête, et des affaires qui se classent même si vous n'avez pas réuni tous les indices. Don't Take It Personally Babe ou To The Moon tiennent plus du visual novel et la progression est assurée. A noter, les efforts de Red Johnson Chronicles en la matière : il y a généralement plusieurs pistes à suivre en parallèle, et les énigmes sont intégrées au fil narratif (par opposition à un Professeur Layton ou les puzzles sortent de nulle part). On n'évite pas quelques fautes comme les dialogues ou QTE où le moindre faux pas est sanctionné et oblige à recommencer toute la séquence, mais les efforts de fluidité et de logique sont louables pour le genre.

Une caractéristique du genre apparaît récurrente : le joueur est majoritairement réduit à suivre le cheminement imposé par les développeurs et à consommer la narration plutôt que de participer à sa construction. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne demande rien du joueur, ou qu'il n'a rien à gagner à jouer (Don't Take It Personnally Babe exploite bien la curiosité naturelle des joueurs qui enfreignent l'intimité des étudiants pour jouer avec), mais il est souvent réduit à devoir deviner ce à quoi ont bien pu penser les développeurs plutôt qu'à agir selon son bon vouloir et vivre avec les conséquences. Pour les développeurs, soit on challenge le joueur au risque de le frustrer, soit on écarte le challenge avec une difficulté réduite ou une progression garantie. Le choix n'est pas forcément exclusif cependant : L.A. Noire conserve paradoxalement la frustration grâce à sa progression garantie qui n'est pas pour autant synonyme de réussite, comme le faisait d'ailleurs Heavy Rain.

Récapitulatif

Phoenix Wright : Ace Attorney (iOS)
Un jeu culte qui profite à merveille de son portage iOS. Des enquêtes farfelues mais une progression souvent maline, et une présentation très réussie (les grimaces de Phoenix et les musiques épiques !).

Superbrothers : Sword & Sworcery EP (iOS)
Une présentation parfaite, gâchée par une progression frustrante au possible, et lourdement entravée par un hardware inapproprié (temps de chargement de 10 secondes entre chaque écran sur mon iPod Touch), expliquent que j'ai malgré tout lâché en cours de route (c'est le seul que je n'ai pas fini d'ailleurs). Dommage, sans doute le jeu iOS le plus ambitieux.

Digital A Love Story (PC)
La représentation de l'univers des forums est saisissante, la narration est intrigante, et l'écriture réussit à toucher. Quasiment aucun challenge, mais une belle histoire à l'interactivité pertinente.

Sam & Max The Devil's Playhouse (PSN)
Plombé par une technique décevante (faiblesse graphique et surtout lenteur généralisée des contrôles), le charisme des personnages pousse à persévérer malgré quelques énigmes trop tordues pour être plaisantes. L'humour est assez inégal, mais l'utilisation des pouvoirs originaux donne un cachet certain et permet d'excellentes mécaniques (manipulation des bobines de l'épisode 2).

Les Chevaliers de Baphomet (iOS)
Le AAA du point & click sur iOS. Une animation bluffante, des doublages pour pas mal de dialogues, un scénario d'aventure et une progression plutôt casual, pour une expérience plaisante. L'interface est un modèle d'ergonomie et le jeu, sans être réellement mémorable, est tout à fait satisfaisant.

L.A. Noire (PS3)
La progression ininterrompue par les échecs provoque une frustration inouïe qui motive et met une tension rare pour le genre. Dommage que le jeu détaille trop chacune de nos erreurs et soit si rigide dans la résolution des enquêtes.

Don't Take It Personally Babe : This Just Ain't Your Story (PC)
Un visual novel sympathique sur la curiosité et la vie privée, qui nous présente des adolescents au langage étonnamment convaincant (et donc horripilant ^^), mais souffre de situations vraiment déconcertantes (pour ne pas dire mal écrites). Une curiosité pas indispensable mais qui a le mérite d'essayer.

To The Moon (PC)
Un autre visual novel dont l'histoire vaut clairement le détour, touchante et drôle à la fois. Le mini jeu proposé pour le challenge est bien hors sujet, mais la progression n'en souffre pas.

Red Johnson's Chronicles (PSN)
Un scénario et des énigmes terriblement classiques m'ont passablement endormi. Dommage car malgré les erreurs, la volonté de proposer un point & click logique, cohérent et fluide est louable. Mention particulière au QCM de fin qui laisse une marge de manœuvre au joueur, et récompense sa réflexion et son initiative.

Au final, j'avoue avoir plus facilement apprécié le bout visual novel de la branche jeux d'aventure, et avoir été déçu par la rigidité des point & click classiques qui laissent peu de place au joueur, même s'ils proposent des challenges plus élaborés. Mais les propositions d'univers et d'interactions m'ont majoritairement convaincues, au point que j'ai craqué et acheté l'intégrale de Pendulo (Runaway, Next Big Thing), des Sam & Max. The Longest Journey traîne également toujours dans un coin. Malheureusement, ma plus grosse attente vient d'être déçue : les prochains portages iOS de Phoenix Wright ne seront pas compatibles avec mon iPod Touch. Je me console sur les Boucliers de Quetzalcoatl.

Pour poursuivre votre lecture, la thématique de Merlanfrit.net sur le jeu d'aventure : Le jeu d'aventure bouge encore.