- CRITIQUE SANS SPOILER -

GTA, Zelda, Final Fantasy... certaines rares saga disposent d'une telle aura qu'elles savent accaparer l'esprit des joueurs des mois, des années avant leur sortie. Metal Gear en fait indéniablement partie. Capable de faire rager ou de subjuguer. Incapable de laisser indifférent. Grâce à son art consommé du teasing, Hideo Kojima sait faire monter la pression jusqu'à l'ébullition. Mais jamais il n'avait été aussi loin qu'avec Metal Gear Solid V, et l'annonce de Phantom Pain via Moby Dick Studio. Certains aiment ce genre de ruse, d'autres jugent cela anecdotique, voire parasitant. Personnellement, je considère cela comme une composante absolue d'une bonne expérience Metal Gear. Le "jeu" commençant bien avant la sortie du jeu...

Reste que, parfois, une attente trop élevée peut accoucher d'une relative déception. J'avais à ce titre exprimé ma frustration au sujet de Metal Gear Solid 4 dans la conclusion de ma critique, il y a 7 ans déjà. Alors quid de ce final tant attendu ? Hideo Kojima et ses équipes ont-ils réussi à éviter les écueils du jeu surfait, boursouflé ? Pour être honnête avec vous, pendant les 60 heures qu'auront requis ce test pour arriver jusqu'à son apothéose finale, je suis passé par toutes les émotions.

Ainsi, comme dans une histoire d'amour passionnelle, si MGS V a pu m'agacer, l'instant d'après je l'ai follement aimé. J'ai hésité, mais aujourd'hui avec le recul, une seule émotion prédomine : le plaisir profond d'avoir vécu une tranche de vie unique, achevée de la plus brillante des manières. Près de 30 ans de vie commune avec Snake qui s'achèvent aujourd'hui. La fin d'une ère.

Red Dead Gear Solid

Afghanistan et Angola, voici les deux zones principales constituant le colossal terrain de jeu de Phantom Pain. Deux localités au climat et au style distincts. Aride et anguleux pour les montagnes afghanes. Humide et plus dense pour l'Afrique. En décidant d'aller encore plus loin que Peace Walker, en redéfinissant en profondeur le gameplay de sa série, Hideo Kojima prenait le risque de perdre les joueurs. Car oui, il s'agit d'un tout autre Metal Gear. Une sorte de croisement avec MGS x Red Dead Redemption x Monster Hunter x Suikoden. Détonnant.

Avec l'ouverture de l'univers et la structure en missions, l'aspect linéaire s'évanouit et le gameplay prend une place inédite dans la série. Voici donc sans conteste le jeu d'infiltration proposant le plus de possibilités, d'angles d'attaques et d'outils pour élaborer ses meilleurs assauts jamais créé.

Après des dizaines d'heures de jeu et d'expérimentations, j'avoue être encore étonné du déroulement de certaines situations. La liberté n'a rien d'illusoire, et s'amuser avec les ennemis et leurs comportements fera indéniablement partie du plaisir ressenti. Un jeu dans le jeu. Pour le reste, soyez prévenu : vous allez beaucoup marcher, courir, galoper, rouler. Et quand je dis beaucoup, je veux dire... énormément ! Le jeu ne vous prend pas, ou peu, par la main. Il vous jette sur le champ d'opération et vous demande d'improviser. La possibilité de se faire larguer des équipements annexes permettra ainsi de revoir sa stratégie en cours de route. L'un des aspects les plus agréables restant sans conteste le fait que le chemin n'est pas balisé. Il n'y a pas "LA" manière de bien faire, ou d'indicateurs visuels trop évidents ("oh tiens le tuyaux rouge pour grimper"). Non, ici l'observation et la réflexion priment, le tout mâtiné d'une part d'improvisation toute personnelle. De manière cohérente, organique, MGS V est un théâtre dans lequel chaque joueur tentera de trouver son rôle, sa manière d'être Big Boss.

Déconcertante déconstruction

S'il est évident que MGS V s'impose comme l'ultime bac à sable pour les fans d'infiltration, ne jouons pas les autruches, vous connaissez un Metal Gear parfait ? Moi pas, et ce dernier ne déroge pas à la règle.

Commençons par la technique. Sur PS4 (seule version que j'ai pu tester), quelques effets de popping (essentiellement de végétation) étaient bien présents, ainsi que quelques clignotements dans certains éclairages. Dans le chapitre technique, certaines réactions d'IA risquent bien de faire rire longtemps les internets. En effet, si elle se révèle globalement rigoureuse et intéressante, avec des rondes minutieuses et des réactions à vos actions souvent bien vues, l'IA peut aussi parfois réaliser quelques actions étonnantes, comme s'approcher à 2 mètres... et ne pas vous voir. Mais n'exagérons pas, en 50 heures de jeu et des milliers de confrontations, j'ai pu constater moins d'une dizaine de cas un peu improbables. Heureusement.

Autre bémol : je ne suis absolument pas fan de l'apparition du casting à chaque début de mission. Pourquoi ? Tout simplement car il a tendance à spoiler (in-game, bravo) les personnages, alliés comme ennemis, que vous allez rencontrer quelques minutes plus tard. Pour l'effet de surprise, on repassera. J'ai trouvé une solution : ne plus regarder l'écran pendant 15 secondes... pas grave, il s'agit de l'atterrissage en mode automatique. Idem pour l'affichage du casting en générique de fin de chaque mission. Je comprends le découpage, et la volonté de donner un côté série/ciné au jeu, mais autant dire qu'à chaque fois (il y a près de 200 missions en tout), vous risquez d'appuyer systématiquement sur "suivant". Dommage et inutile.

On pourra aussi souligner que la succession de missions peut se révéler par moments assez répétitive, avec un nombre finalement assez limité de types d'objectifs (extraction, destruction, assassinat, collecte d'informations). Mais il est possible de casser cela en alternant avec les missions secondaires, la gestion (active) de la "Mother Base" (un véritable RPG au coeur du jeu), et l'écoute cruciale des K7 audio. La structure en missions et l'écoute des K7 en parallèle a un coût : une histoire qui se vit de manière plus décousue qu'à l'accoutumé. Votre appréciation du jeu viendra en partie de votre capacité à accepter cette nouvelle approche. L'objectif était ici d'offrir aux joueurs le bac sable ultime et de transcender le gameplay.

Sachez aussi qu'il y aura de la redite à partir du chapitre 2. Certaines missions déjà jouées pourront ainsi être refaites en mode EXTREME (un coup et c'est Game Over), ou SURVIE (vous devrez trouver l'intégralité de votre équipement sur le terrain d'opération). Heureusement, certaines particulièrement corsées pourront être évitées, tout en faisant avancer l'histoire (regardez bien les pastilles jaunes, y compris dans les K7). L'aspect RPG se développera d'ailleurs plus intensément à partir de ce moment, vous obligeant même à "fultonner" à toute berzingue, à récupérer un maximum de ressources pour produire des équipements adéquats... en clair, à faire de votre Mother Base un lieu bien vivant et fonctionnel, à défaut d'y réaliser mille et une choses sur place... hormis quelques scènes parmi les plus captivantes du jeu.

En clair, j'ai alterné entre excitation, frustration... avant de doucement mais sûrement atteindre une vertigineuse osmose avec l'expérience globale, quand j'ai fini par en réaliser l'hallucinante profondeur et en maîtriser tous les rouages. C'est là que tout commence réellement...

Si vous souhaitez plus de détails sur le gameplay global (Mother Base, Fulton, etc),
je vous invite à regarder ma vidéo d'explications dédiée.

A Hideo Kojima game

Malgré tout ce qui a été dit ci-dessus, la réalisation générale assène fréquemment de jolies gifles servies par un 1080p en 60 images/seconde constantes. La sensation de se retrouver réellement dans les décors se montre parfois troublante, avec un point culminant lors de l'inévitable rencontre avec le Metal Gear Sahelanthropus... au passage à mes yeux l'un des MG les plus classes de toute la saga. L'immersion est assez folle et la subtilité de certains éclairages allant même jusqu'à offrir un cachet photo-réaliste à diverses scènes. Souvent beau, parfois bluffant. Mention spéciale aussi à la bande-son, certes très "action music", mais disposant de thèmes puissants soulignant judicieusement les scènes clefs.

La réalisation des cinématiques n'a elle aussi plus rien à voir avec le passé. Intégralement tournées en plans séquences et caméra-épaule, ces séquences plongent le joueur au coeur de chaque situation avec un aspect plus viscéral que par le passé... mais aussi globalement plus sage. S'il y a évidemment des moments spectaculaires très hollywoodiens, avec leur batterie de ralentis et zooms bien appuyés, l'ensemble se veut plus dépouillé et moins grandiloquent qu'auparavant. Beaucoup moins verbeux et longuet aussi. Big Boss/Kiefer est économe en mots, mais quand il ouvre la bouche, on écoute. Impact multiplié par 10 !

"Quand le moment viendra, c'est moi qui appuierai sur la détente !" et la musique qui part... frissons garantis.

Kojima s'est maîtrisé, un peu... et ça lui va bien. Soulignons aussi le jeu d'acteur absolument remarquable. Les héros sont consistants, sonnent juste, et puent littéralement la classe. L'évolution du trio conflictuel Ocelot/Miller/Boss est captivante, le personnage d'Eli admirablement écrit. Seule Quiet est peut être un peu sous-exploitée, et encore. La place laissée aux coéquipiers (D-Dog et D-Walker en tête) permet aussi de s'attacher, de les personnaliser, de tisser des liens qui font que leur présence sur le champ de bataille apporte un réel plus. Sans parler des aides (distinctes) qu'ils apportent.

The best has come...

Pour véritablement prendre la mesure de l'histoire de MGS V, impossible d'oublier les K7 audio, remplaçant le codec. Sans les écouter, vous passerez à côté de 50% de l'expérience narrative et d'un nombre de révélations ahurissants. Non, l'esprit des Metal Gear avec ces longues conversations docu-philosophiques n'a pas disparu... il a juste été transféré dans les K7 avec des "dramas" pouvant aller jusqu'à 15 minutes de dialogues. Ceux qui ne sont là que pour le gameplay pourront l'occulter, pour les fans, tout s'y trouve, avec de belles surprises à la clef.

Résolument durs, violents et cinglants, les thèmes abordés par MGS V en font un épisode coup de poing... même si la mise en place mettra quelques dizaines d'heures. J'ai d'ailleurs en tête au moins deux séquences particulièrement poignantes trouvant immédiatement leur place au panthéon des scènes cultes de la saga. Comme moi, vous resterez d'ailleurs peut être interdit, le souffle coupé par ce que vous aurez vu ou joué. Et je ne parle pas du prologue complètement fou.

Et puis il y a la fin, la définitive. Celle qui permet de boucler la boucle et de vous faire repenser à 30 ans de vie commune avec Snake et ses clones. Pour les fans, accrochez-vous, ne vous arrêtez pas après 30 heures de jeu. MGS V se mérite et c'est à ce moment qu'il rentre définitivement dans l'Histoire du jeu vidéo.

Quand la fin n'est que le début...

Chez Gameblog, l'échelle de notation s'utilise pleinement. Hier comme aujourd'hui, la note maximale n'indique d'ailleurs pas la "perfection" d'un jeu, mais son caractère intemporel, culte. Un jeu qui fera date et qui redéfinit un genre. C'est résolument le cas ici.

Metal Gear Solid V m'aura ainsi fait sentir ce genre de moments qui marquent une vie de joueur. Ces moments que vous connaissez, lorsqu'on s'endort en réfléchissant à ses futures stratégies, qu'on se remémore des séquences fortes, et qu'on a qu'une envie : reprendre la manette ! Aujourd'hui, alors que tout se décante dans ma tête, je sais désormais qu'il va occuper les joueurs pour des mois. D'exploration en expérimentations, de vidéos en débats sur sa fin... Tous n'aimeront pas. Certains préféreront se concentrer sur ses imperfections. Tous ne le trouveront peut être pas à la hauteur de leurs attentes. Mais oui, MGSV habitera les joueurs pour longtemps. On en parlera, dans les semaines à venir, on en débattra dans les mois à venir...

Et puis il y a l'héritage. Je l'attendais, et plus les heures passaient, plus je me demandais s'il finirait par arriver. Mais oui, il y a une bien une "Kojimasquerie" finale. Ainsi, à l'heure de conclure et de probablement enfin laisser derrière lui la saga qui a fait de Hideo Kojima un créateur à part, le père de Big Boss se montre à la fois sobre et généreux. Un dernier twist dont il a le secret, une dernière danse avec les fans, un message simple et évocateur, une transmission d'une étonnante justesse qui retentit avant le générique final.

Brillant, tel un diamant de sang.

De mon côté, avec cette conclusion, c'est peut être la dernière fois que j'écris au sujet de Metal Gear, et je confesse une émotion. En 1998, alors à Joypad, l'arrivée de Metal Gear Solid sur PSone avait été une révélation. Mon premier choc de journaliste de jeu vidéo. Je m'étais alors plongé avec passion dans la genèse de la série avant de vivre, en privilégié de Los Angeles à Tokyo, l'arrivée des nouveaux épisodes. Avec Metal Gear, j'ai vécu des moments intenses. J'ai été soufflé par la maestria de la communication pré-sortie de MGS2, ému aux larmes par la conclusion de MGS3, frustré par la lourdeur de MGS4, séduit par l'audace de Peace Walker... et aujourd'hui, à l'heure de conclure cette critique de MGSV, tant de souvenirs, de musiques, de surprises, d'énervements, de joies, remontent à la surface. Je ne pouvais me résoudre à publier ce test avant d'avoir réellement fini le jeu. Je devais voir comment Kojima tournait sa page... et je vous l'assure, sans la qualité de la fin, sans la pertinence des explications permettant de faire le lien avec l'ensemble de la saga, la note n'aurait pas été exactement la même.

Il y a des jeux qui laissent une trace au-delà de leurs qualités ludiques. Il y a des expériences qui accompagnent une vie. A mes yeux, il y a définitivement Metal Gear et le reste. Hideo Kojima et les autres. Imparfait certes, mais généreux, audacieux, profond, stellaire, unique... Metal Gear Solid V : The Phantom Pain n'est rien d'autre que culte. Même la console éteinte il continue à vivre en moi, et cela n'a rien de douloureux. Bien au contraire.

Hideo Kojima et ses équipes, merci.