Les deux derniers épisodes en date sur consoles de salon, Path of Radiance et Radiant Dawn, auguraient déjà d'un nouvel élan. Non contents d'introduire de jolies séquences animées, ceux-ci avaient délaissé la 2D et son charme désuet hérité de l'ère 8 bits pour passer aux polygones. Awakening y ajoute à son tour une dimension supplémentaire grâce à la 3D auto stéréoscopique, qui permet de mieux visualiser le relief de la carte. Les aspérités du terrain rentrant en compte dans les déplacements, leur perception accrue facilite ainsi l'élaboration des manoeuvres. En outre, ce mode d'affichage a des vertus esthétiques, car il met en exergue de subtils détails de l'environnement, tels que des feuilles emportées par le vent, ou un aigle survolant l'arène. La sophistication graphique de Fire Emblem se traduit également par les animations nettement plus soignées qu'illustrent de cinglantes estocades, sans oublier la beauté étincelante des séquences cinématiques, miraculeusement dénuées du moindre artefact de compression. Et si ces intermèdes sont peu nombreux, leur présence à des moments clés rend cette épopée encore plus poignante. Elle débute toutefois dans un classicisme désarmant, avec un héros amnésique qui s'engage aux côtés des valeureux Veilleurs, afin de défendre le pacifique royaume d'Ylisse contre ses belliqueux voisins. Heureusement, le scénario ne tarde pas à dévoiler une facette plus complexe au travers d'un mystérieux guerrier d'allure familière, à mesure que la menace de fin du monde se précise. La tragédie si chère à Fire Emblem s'en trouve renforcée, malgré la possibilité de s'affranchir de la plupart des tristes disparitions qui vont habituellement de pair avec la série.

Peines de mort

Discrètement inaugurée dans Hikari to Kage no Eiyu - un remake DS du second opus sorti uniquement au Japon - cette option "casual" autorise les soldats déchus à revenir parmi les vivants une fois la bataille terminée, non sans s'être fendus d'adieux larmoyants au moment fatidique tout de même. Bien sûr, les vétérans y verront une infamie, voire un sacrilège, tant cette particularité de la mort permanente constitue un pilier de Fire Emblem. D'autant que d'autres principes en découlent, à commencer par la tension qu'exerce constamment le spectre de la faucheuse. De plus, ce procédé engendre une sorte de sélection naturelle, la perte de certains personnages et de leurs éventuelles progénitures incitant à jeter son dévolu sur d'autres. Enfin, l'attachement qu'on leur porte dépend aussi de cette nature périssable, une source fondamentale de la dramaturgie ambiante. Impossible cependant de reprocher aux développeurs d'adoucir ainsi les moeurs. En effet, le mode "classique" conserve cette funeste tradition, tandis que les trois niveaux de difficulté aident à calibrer le challenge du plus tendre au plus lunatique. Car si Fire Emblem a bâti sa réputation sur son extrême âpreté, sa flamme se nourrit d'abord de la profondeur de ses mécaniques et de ses personnages. Il était donc regrettable que leur décès prive une partie des joueurs de cette richesse, surtout au regard de la dimension sociale plus développée d'Awakening. Au delà de la création d'un avatar, une spécificité là encore initiée par le dernier cru DS, des liens se tissent entre les protagonistes au fil de leurs discussions. Elles se déroulent essentiellement à la caserne, dont on peut en prime observer l'activité, des petites tranches de vie synonymes de divers bonus.

L'union fait la force

Ce surcroît d'humanité s'exprime par le biais des dialogues, amorcés par de courtes répliques doublées souvent très à propos (en anglais ou en japonais) qui soulignent les caractères des personnages, moins stéréotypés qu'il n'y paraît. Mais avant de goûter à ces instants d'intimité, les amitiés - et plus si affinités - doivent naître dans un premier temps sur le champ de bataille, lorsque nos combattants luttent côtes à côtes. Une notion de rapprochement qu'Awakening pousse plus loin via le système de duo, qui consiste à réunir deux unités afin qu'elles profitent chacune de leurs forces respectives. Par exemple, un chevalier protège de sa lourde armure un troubadour, pendant que ce dernier booste sa mobilité. Revers de la médaille, seul le leader reçoit à la fois les coups et les points d'expérience. De plus, la permutation coûte une phase de déplacement et la séparation carrément un tour, comme de descendre de sa monture au temps jadis. Enfin, le fait que ces unités n'occupent plus qu'une case s'avère à double tranchant. Mieux vaut donc se cantonner au soutien sous forme d'équipes, une unité bénéficiant d'améliorations en fonction des liens établis avec celles adjacentes. En outre, les attaques combinées et autres interventions se révèlent précieuses pour triompher, puisque les règles du jeu demeurent implacables, à l'image des échecs, chaque coup nécessite d'anticiper les conséquences sur les tours suivants, en prenant en considération le précepte d'avantage/faiblesse triangulaire restreint ici aux armes. L'échiquier s'étend d'ailleurs sur une carte du monde, dans le sillage des opus Gaiden et The Sacred Stones.

Riche héritage

Ces voyages donnent l'occasion de faire des emplettes, de forger des armes - toujours susceptibles de se briser - et de se lancer dans des missions optionnelles. Si les escarmouches servent à entraîner ses ouailles, les quêtes annexes offrent régulièrement l'opportunité de recruter leurs enfants. L'attendrissant fruit de ces unions ouvre la voie à une génération de guerriers encore plus puissants, puisqu'ils héritent des talents, attributs et des classes de leurs parents. Déjà bien remplie, la liste des jobs s'étoffe de classes avancées inédites, avec une arborescence spécifique suivant celle de base. Par conséquent, cette descendance démultiplie les perspectives de création des personnages, qui plus est grâce à la souplesse d'usage des Scolaris. Ceux-ci permettent d'accéder à d'autres classes et d'en changer librement, histoire d'acquérir un maximum d'aptitudes. Exception faite du héros, dont la polyvalence donne accès à tout l'éventail des jobs, les choix effectués en jouant le rôle d'entremetteur déterminent ainsi la composition de cette armée résolument familiale. Une excellente raison de se replonger dans cette quête, faute de bifurcations scénaristiques, bien qu'Awakenning n'ait pas à rougir de sa durée de vie.

Lignes de vie

Il faut une trentaine d'heures pour venir à bout des vingt cinq chapitres, et une bonne dizaine d'heures supplémentaires pour les quêtes annexes, sans compter les probables resets suite à un deuil que l'on ne saurait supporter. S'y ajoutent encore les maps, objets et la kyrielle de personnages reçus par l'intermédiaire du SpotPass, des contenus gratuits, contrairement aux DLC débordants de fameux héros issus des précédents épisodes qui font payer le fan service au prix fort. De même, s'offrir les champions d'autres joueurs via StreetPass peut coûter cher, mais en écus cette fois, à moins d'être en mesure de les vaincre. On peut aussi unir ses forces à celles d'un camarade dans le mode Alliance, afin d'essayer de remporter une sorte de tournoi. Hélas cette dimension coopérative ne s'applique qu'au réseau local et il n'y a ici point de batailles en ligne pour vraiment justifier cette quête de renommée. Évidemment les arènes de Shadow Dragon restaient désespérément vides, toutefois au regard de l'ouverture affichée par Awakening, les challengers auraient sans doute été plus nombreux. D'un autre côté, avec les potentiels abus qu'engendre l'élevage militaire poussé à l'extrême (au hasard avec la classe des sorciers), les affrontements risquaient effectivement de faire rage, mais dans tous les sens du terme.