C'était il y a 10 ans. Une éternité. En ce temps-là, Nintendo se faisait une obligation d'élargir le public des joueurs, et pourfendait les conventions à grand coup de Wiimote. C'est ainsi que Skyward Sword est alors devenu LE jeu qui devait intégrer à une aventure épique tous les apports du Wii Motion Plus, une numéro d'équilibriste ô combien difficile à mener. Deux générations plus tard, c'est donc cet épisode si particulier que Nintendo ressort du placard pour venir occuper les joueurs en attendant un salvateur Breath of the Wild 2. Mais porter une telle singularité sur la plus transportable des consoles n'est évidemment pas chose aisée, loin s'en faut. Skyward Sword HD parvient-il à profiter de la Switch pour corriger les errances de son aîné ? Il y a 93% de chances pour que la réponse se trouve dans les paragraphes suivants.

La tête dans les nuages

Pour ceux qui auraient loupé le train en marche (et pas celui de Spirit Tracks, hein), les événements célestes de cet épisode chronologiquement fondateur nous narrent les aventures de Link, jeune chevalier de Célesbourg encore en formation; et son amie d'enfance Zelda, rapidement séparés par une tempête en forme de mauvais présage. Ni une ni deux, celui qui chevauche un oiseau géant dans un monde planant au-dessus des nuages se lance à la rescousse de sa promise, et découvre le plancher des vaches et ses milles dangers.

Sans surprise, la structure très encadrée de cet épisode aux antipodes de Breath of the Wild n'a pas bougé d'un iota, comme le veut la pratique solidement gravée dans le marbre du côté de Kyoto. Ne vous attendez donc pas à découvrir le moindre donjon ou quête supplémentaire, ni même a profiter d'une aventure moins cloisonnée que l'originale : Nintendo a préféré concentrer ses efforts sur les fameuses "améliorations de confort" listées quelques semaines avant la sortie. Ces dernières commencent d'entrée de jeu avec les fichiers de sauvegarde, désormais tous trois utilisables en cours de partie. Non mais partez pas : on a quand même plein de trucs à dire !

Chacun Fay Fay Fay

La première (petite) déception arrive elle aussi dès le lancement : le mode Héroïque désormais systématiquement proposé est encore une fois à débloquer, et tant pis pour les vieux aventuriers qui auraient voulu profiter de ce portage pour augmenter leur niveau. En revanche, la perspective de profiter du jeu à 60 images par seconde constitue un indéniable plus, et la direction artistique singulière de l'original permet à ce titre de 2011 de relativement bien encaisser les ravages du temps.

Entre backgrounds en trompe-l'oeil impressionnistes et les couleurs tranchées, Skyward Sword HD nous rappelle tout de même que la Wii était certes déjà techniquement en retard sur son époque, mais un lissage global permet de faire passer la pilule. Même les visages parfois hideux de vos interlocuteurs se sont embellis, c'est dire. Les plus grincheux n'hésiteront évidemment pas à relever les modélisations cubiques de la plupart des objets et autres éléments de décors, les autres préféreront constater une fois de plus qu'une direction artistique intelligente permet de palier à bien des problèmes, même si le lissage haute-définition contribue paradoxalement à retirer une partie du charme originel de Skyward Sword, qui comptait justement sur le flou présent à l'écran pour reproduire le style des maîtres du XIXème siècle. Mais une fois encore, les couleurs vives de l'aventure lui confèrent tout de même une identité visuelle qui sauve l'ensemble, que l'on ait ou non déjà parcouru ces terres.

Merci Fay12

Non content de rendre l'action visuellement plus fluide, Nintendo semble avoir tiré les leçons du très expérimental Breath of the Wild, et nous offre ENFIN la possibilité de rapidement faire défiler les nombreux dialogues de l'aventure, qui prend son temps pour poser ses bases. Dans le même ordre d'idée, les aventuriers en terrain connu se voient octroyer le droit de passer les cinématiques, histoire d'aller à l'essentiel, même si bon nombre d'animations (coucher, ouverture de coffres...) chronophages car très nombreuses continuent de parfois rendre la progression hachée. Mais que de changements en seulement 10 ans. Et tenez-vous bien : le constructeur a également pris conscience qu'afficher le même message d'information à chaque item récolté n'était sans doute pas une idée de génie... Bien au contraire : désormais, ils n'apparaîtront qu'une fois, la première, et vous laisseront définitivement en paix. Bon, il faudra tout de même en passer par la douzaine d'insectes et la quinzaine de matériaux, rassurez-vous. Que de crises de nerfs évitées. Tardivement, certes, mais quand même

Mais vous le saviez déjà : la principale modification transformation de cette édition HD réside dans l'épée de Link, qui commence par faire preuve d'une qualité que chaque aventurier attend de sa fidèle lame : le silence. Incarnée par la très obvisous Fay, votre lame ne prendra désormais la parole que si vous l'y invitez, c'est à dire presque jamais. Dès lors, plus personne ne viendra affirmer que la porte qui vient de se débloquer suite à la résolution d'une énigme vous permettra de poursuivre votre progression, ou que le coffre qui vient d'apparaître dans un tonitruant jingle contient un objet de la plus haute importance. Joie.

La migration arrive

Mais venons-en au coeur du gameplay : comment les équipes de Nintendo sont-elles parvenues à adapter cet opus 100% motion gaming à une maniabilité plus conventionnelle ? Rassurons d'abord puristes et historiens : les Joy-Cons de la Switch permettent une prise en main très fidèle à l'original, avec en sus un supplément d'immersion grâce aux vibrations HD plus finement réglées. Pour le reste, la manette Pro ou le Grip offrent une nouvelle approche, plus classique, mais pas moins alambiquée. Parce que Skyward Sword centre ses mécaniques sur l'épée de Link, cette dernière se retrouve assignée au stick droit, un choix qui permet de l'orienter librement dans toutes les directions, mais qui prive évidemment d'une gestion libre et fluide de la caméra qu'il faudra donc se contenter de recentrer, à moins de jouer Joy-Cons détachés.

Une fois habitué, ce choix permet d'abord de rendre les combats bien plus faciles, puisque Link peut désormais bourriner comme un sagouin, quitte à en oublier l'aspect parfois stratégique. Le jeu perd peut-être en finesse, mais les affrontements face à l'abominable Ghirahim n'en deviennent que plus digestes. Si notre héros profite d'un mode turbo, la précision est parfois plus difficile à atteindre, et il faudra manier sa lame avec précaution pour résoudre certaines énigmes ou frapper avec le bon angle, ou viser les jambes. Un signe trahit tout de même la limite de cette transposition : pour lancer la fameuse attaque tourbillonnante ou achever ses ennemis en leur sautant dessus, il faudra sortir une manipulation qui ne sera certainement pas étrangère aux amateurs de versus fighting : droite, gauche, droite pour la première; haut, bas, haut pour la seconde. On a connu plus pratique.

Les règles de l'alchimie

Immanquablement, le reste de l'attirail profite également du stick droit pour répliquer les mouvements de la Wiimote, à l'instar du filet à papillon, tandis que les bombes doivent d'abord être orientées en haut ou en bas avant d'êtres lancées, le fouet nécessitant quant à lui de verrouiller le viseur pour fonctionner. Le scarabée si pratique se dirige simplement au stick, tout comme les phases d'équilibre sur une boule géante, la conduite du bateau ou du Célestrier, et tout devient ainsi plus simple. Tout ? Pas vraiment : pour profiter de ces objets indispensables à la progression et passer de l'un à l'autre, il faut d'abord les sélectionner via une pression continue sur ZR, orienter le stick dans la direction choisie, et relâcher. Cette approche pas toujours pratique n'est pas sans occasionner quelques loupés, mais pour (re)changer d'item, il faudra d'abord le ranger avec B et recommencer, une manipulation lourdingue dès lors que l'action s'emballe, et qui fera naître une nouvelle source de crispation.

C'est ainsi que chaque victoire semble s'accompagner d'un revers, et l'on se demande finalement s'il n'aurait pour une fois pas mieux valu repenser plus en profondeur cet épisode pour le rendre véritablement transcendé, une pratique qui reste malheureusement proscrite par Nintendo, toujours attaché à conserver les originaux intacts. Certaines vétustés de game design sauteront ainsi aux yeux encore plus sauvagement qu'en 2011, à l'instar du cycle jour/nuit bien lourdingue, de l'accès à la boutique de Terry si pénible sur la durée ou encore du système de téléportation qui nécessite systématiquement de repasser par le ciel pour changer de borne. Pour ses 35 ans, Link aurait bien mérité d'envoyer balader quelques vieilles conventions. Allez m'sieur Furukawa, on ne vous en veut pas, mais il serait temps de faire amende honorable. Tout le monde y gagnera.