Loin de vouloir fanfaronner en criant sur tous les toits combien il est poétique, atypique et intéressant, Blue Prince reste modeste de sa communication à sa conception. Et pourtant, il s’avère qu’il brillera plus que d’autres jeux du même calibre. Le studio Dogubomb, qui affirme lui-même avoir travaillé durant plusieurs années dans l’ombre pour les géants d’Hollywood, signe ici sa propre œuvre et peut enfin bomber le torse fièrement à la lumière. L’intro est assez explicite, non ? Allergique ou non à l’anglais, foncez immédiatement jouer à ce jeu, d’autant plus si vous avez le PS Plus Extra ou le Xbox Game Pass Ultimate.

Le manoir des curiosités

C’est une histoire d’héritage, tout ce qu’il y a de plus banal, ou presque. Après la disparition d’un proche excentrique au possible, vous êtes amenés à visiter son immense et mystérieux manoir à la recherche d’une tout aussi mystérieuse chambre 46. C’est de cette manière et seulement comme ça que vous vous montrerez digne de devenir le maître des lieux. C’est tout ce que l’on vous dit, tout ce que vous avez besoin de savoir pour commencer. Le reste, il faudra le découvrir par vous-même en faisant preuve de curiosité. D’ailleurs, si prendre votre temps, utiliser votre matière grise à tout instant et expérimenter n’est pas votre tasse de thé, vous pouvez d’office rebrousser chemin. Blue Prince ne vous prendra jamais par la main, pas un seul instant. Il ne vous expliquera pas son fonctionnement avec des pop-up, ne dira rien de son histoire tentaculaire si vous ne fouinez pas, et ne cherchera jamais à vous donner la solution à une énigme tant que vous n’êtes pas curieux. C’est à prendre ou à laisser. Le studio propose son œuvre dans son plus simple appareil, et c’est ce qui est fantastique. Ce n'est qu'en fouillant, en lisant des post-it, des lettres ou en déchiffrant ce qu'il passe sous vos yeux que vous apprendrez petit à petit les mécaniques et que vous trouverez les indices utiles.

Épuré jusque dans son introduction, le jeu nous pose là, dans un hall vide, sans rien entre les mains. Pas l’ombre d’une information sur ce que l’on doit faire, aucune indication sur ce qu’il se passe outre le fait que l’on cherche cette fameuse chambre 46. Le mystère est complet. Ce n’est qu’en fouillant les lieux que l’on découvrira la marche à suivre. Blue Prince ne nous dit pas ce qu’il est réellement d’entrée de jeu. Il se présente comme un walking simulator teinté de jeu d'énigme ou d’escape game. D’une certaine manière, il nous rappelle d’ailleurs The Witness. À la fois simple à prendre en main et terriblement intelligent dans la manière d’amener ses mécaniques. Il met clairement en avant les joueurs, au premier plan, nous forçant à réfléchir à chaque instant. Sa boucle de gameplay révèle alors sa vraie nature lors de la fin de notre première run. En réalité, Blue Prince est un roguelite.

Blue PRince Test Kikitoes Gameblog
C'est ici que tout se déroule... ©Blue Prince - KiKiToès pour Gameblog

Un nouveau genre qu'on adore déjà

Pas d’armes, pas d’ennemis, pas de boss… tout ce que vous devrez affronter dans ce donjon, c’est son histoire et ses énigmes. Blue Prince épouse pourtant bel et bien les codes du roguelite. On évolue dans un donjon, le manoir, de salle en salle en faisant un choix devant chaque porte. C’est nous qui choisissons la pièce parmi une sélection avant qu’elle ne soit construite derrière la porte que l’on pousse. Vous devrez donc adapter votre run en fonction. Les pièces ont en effet un sens ou des effets uniques. Certaines peuvent même comporter des objets utiles comme des pièces à échanger contre des objets ou des clés pour ouvrir tout ce qui est fermé. Ce n’est qu’en employant la bonne stratégie, à de nombreuses reprises, que vous finirez par démêler l’intrigue du manoir. A chaque fin de journée, le manoir se réinitialise, les salles disparaissent et l'on recommence dans ce hall froid.

Et c'est là que tout commence ©Blue Prince - KiKiToès pour Gameblog

Ne pensez pas venir à bout de la bâtisse du premier coup, c’est impossible. Si le temps est précieux, c’est également un acteur important de Blue Prince, vous l’apprendrez bien assez tôt. Construire les entrailles du manoir au compte-goutte pour l’explorer jusqu’à la fin du jour, l’épuisement ou simplement en bloquant les passages, voilà la boucle de gameplay qui vous attend. Mais pour l'œil averti, même une partie qui finit dans un cul-de-sac peut avoir une importance capitale pour la suite. Toute l'intelligence de Blue Prince est ici. Il fusionne le puzzle-game, le plus pur qu’il soit, avec le roguelite.

Dans la plupart des jeux du genre, les efforts sont récompensés par des améliorations définitives concrètes : une nouvelle arme, des compétences ou encore des pouvoirs. C’est comme ça que se fait la courbe de progression, c’est ce qui rend le jeu à la fois plus facile et ce qui rend finalement la recette si addictive. Dans Blue Prince, ces améliorations ne sont nullement palpables, en tout cas pas les plus importantes. Il y aura bien évidement des bonus à définitif à débloquer ou des choses pour nous faciliter l'exploration. Tout juste quelques surprises discrètes. Mais la réelle montée en puissance, la plus importante, est intellectuelle. Elle est d’autant plus grisante d’ailleurs et étonnamment, la décharge d'adrénaline est encore plus savoureuse. Ce sont nos connaissances mécaniques, la résolution d’un problème, la découverte d’une solution qui nous permettront de rassembler toutes les pièces du puzzle et feront que l’on avancera toujours plus.

Blue PRince test Gameblog KiKiToès
Voilà ce que l'on a lorsqu'on tente d'ouvrir une porte, on choisi où l'on va ©Blue Prince - KiKitoès pour Gameblog

Rien n'est simple dans Blue Prince, mais c'est d'une intelligence folle

D’ailleurs le jeu vous pousse très vite à prendre des notes non pas en jeu, mais bel et bien sur une feuille de papier ou un doc sur PC si vous le souhaitez. « À l’ancienne » pourrait-on dire. Dans un sens, ça brise même la frontière qui nous sépare généralement du jeu, tout en donnant une dimension encore plus ludique. Blue Prince ne mémorise rien pour nous, pas de journal de quêtes, d’indices écrits sur un bout de papier virtuel, rien. C’est votre matière grise, ou vos petites mains qui devront construire tout ça et c’est essentiel tant il y a de chose à retenir.

Il ne paie pas de mine comme ça, avec sa bande-son tellement discrète qu’on peine à en retenir les quelques notes qui, pourtant, nous accompagnent tout du long et remplissent leur rôle à la perfection. Le studio ne cherche même pas à en faire des tonnes sur le visuel, il aurait certainement pu faire comme beaucoup de walking simulator, mais au lieu de ça, on a le droit à une direction artistique proche de la bande dessinée aux tonalités grisâtres, feutrées et bleutées. Tout est dans le thème finalement, de son nom à la teinte de son ciel en passant par les tuiles du manoir et les fameux plans, les « blueprints », qui sont au centre de l'expérience et de la narration. Rien n’est laissé au hasard dans Blue Prince. Sauf peut-être le tirage des salles lorsque l’on nous met sous le nez en ouvrant des portes, ou les objets que l’on trouvera sur notre chemin. Le jeu nous récompense autant qu’il sait attiser notre curiosité. Il se laisse découvrir petit à petit, nous guidant de son intelligence folle. De la construction de ses énigmes à la façon dont on doit les résoudre, le parcours est génial et la résolution est dingue.

Seul bémol finalement pour les amoureux de la langue de Molière, Blue Prince n’est pas traduit et une connaissance de l’anglais est requise. Pas besoin d’être bilingue cela dit d’autant que désormais tout le monde à un smartphone sous la main qui peut facilement aider à traduire certains textes. C’est bien là la seule chose que l’on pourra vous conseiller de faire avec ce dernier. Il serait réellement dramatique d’aller chercher les solutions sur internet, tant la résolution d'énigmes, l’entrelacement de la narration et des puzzles est capitale dans Blue Prince. Trouver les soluces serait se spoiler le jeu, on ne vous le recommande absolument pas. Acceptez plutôt d’apprendre et de brûler quelques neurones en griffonnant tout un tas de choses sur des bouts de papier. C’est là qu’on prend son pied.

Une des énigmes qui reviendra à chaque run (si vous choisissez la salle). L'une des plus classiques, mais toujours cérébrale. ©Blue Prince - KiKiToès pour Gameblog