En mettant 4,05 milliards de dollars sur la table pour racheter Lucasfilm, Disney était pleinement conscient du potentiel. Et pour cause, du jour au lendemain, la firme de Mickey est devenue propriétaire de Star Wars et d’Indiana Jones. Deux des franchises cinématographiques les plus emblématiques de tous les temps. Un coup double pour la société aux grandes oreilles qui allait alors pouvoir toucher l’argent des films existants, des produits dérivés, et produire de nouvelles choses pour le petit et le grand écran. 

Ce n’était donc qu’une question de temps avant que le sujet Indiana Jones 5 soit mis sur la table par le géant et son géniteur d’origine : Steven Spielberg. Le cinéaste des Dents de la Mer ou encore d’E.T L’Extraterrestre qui, au dernier moment, a déserté son poste de réalisateur en raison d’une incompatibilité d’agenda. Une excuse bidon ? Si l’on se réfère aux dates de sortie de ses deux derniers films, le remake de West Side Story (2021) et son récit autobiographique The Fabelmans, non. Mais au fond de lui, n’avait-il pas peur également d’abîmer, encore une fois, une série autrefois adorée mais sacrément salie par Indiana Jones 4 qu’il a lui-même mis en boîte ? Après Indiana Jones 5, on pourrait le comprendre et même lui pardonner d’avoir mis les voiles. 

Indiana Jones 5 en quête de jeunesse éternelle

On ne peut pas dire que les dernières retrouvailles avec le professeur Jones se soient bien passées pour tout le monde. D’un point de vue commercial, Indiana Jones et le Royaume de cristal est un sans faute. C’est le volet qui a rapporté le plus d’argent avec 790,7 millions de dollars au box office mondial pour un budget de 185 millions. Imbattable. En revanche, du côté des critiques, presse comme spectateurs, ce fut un désastre. Entre des CGI atroces, une très longue scène d’action imbuvable dans la jungle et elle aussi foncièrement moche, ou les prestations oubliables de Shia LaBeouf et de Cate Blanchett, les arguments pour descendre en flèche le film étaient nombreux. La série d’animation South Park aura même été très loin avec un épisode où tonton Spielberg et George Lucas simulent une agression d’Indy pour imager le saccage de la franchise avec ce quatrième volet qui reste en travers de la gorge des fans.

Crédits : CinéSérie.

Avec un accueil aussi froid pour une telle gloire du cinéma, on pouvait croire que la production allait apprendre de ses erreurs sur Indiana Jones 5. Et finalement, on a eu la mauvaise surprise de découvrir que ce n’était pas le cas. Pire, certains défauts sont toujours présents et d’autres viennent gâcher la fête pour un résultat qui n’est pas foncièrement plus glorieux que le précédent épisode. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faille entièrement réhabiliter ce dernier. 

Indiana Jones et le Cadran de la Destinée s’ouvre sur une longue séquence où l’on renoue rapidement avec l’aventurier… mais dans une version plus jeune. On fait un bond dans le passé, jusqu’en 1944, à un moment où Indy et l'archéologue Basil Shaw tentent de s’emparer de la Saint Lance. Une relique religieuse planquée, à première vue, au sein d’un château rempli de nazis. Pour arriver à une telle scène, Harrison Ford a été rajeuni numériquement sur la base d’archives et de nouvelles scènes tournées pour l’occasion. Certaines ne figurant pas dans le montage final. Ensuite, plus de 100 artistes ont assemblé tout cela et retravaillé l’ensemble pour obtenir un modèle à la fois réel et irréel. Et pour garder la surprise jusqu’au bout, et faire monter l’excitation de retrouver ce héros iconique, le réalisateur James Mangold (Le Mans 66, Copland) a dissimulé le visage de Junior (ndlr : le surnom donné par Henry Walton Jones Jr père) sous un sac. 

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En vérité, camoufler la tête d’Indy sous un tissu a pu aussi permettre d’économiser un peu de temps avant de révéler l’une des séquences les plus problématiques d’Indiana Jones 5. Non, même en 2023, le de-aging, la technologie pour rajeunir de vieux acteurs, ne fonctionne pas et ce nouveau film en est la preuve vivante. La synchronisation labiale est à la ramasse, les yeux du personnage partent en vrille et le syndrome de l’uncanny valley est plus présent que jamais, faisant ressortir tous les défauts. Étrangement, le de-aging est nettement mieux avec Mads Mikkelsen (Death Stranding) qui, il faut le préciser, n’a que 57 ans contre 80 ans pour Harrison Ford. À l’arrivée, on comprend pourquoi la scène d’ouverture est dans la quasi totale obscurité. Un ratage de plus, après ceux de la série The Mandalorian, de Rogue One: A Star Wars Story ou The Irishman de Martin Scorsese, mais qui aurait pu être encore pire - nous y reviendrons.

Les conséquences de la réforme des retraites sur un aventurier

Une mise en bouche peu engageante, même inquiétante, malgré les efforts du réalisateur pour proposer une introduction mouvementée dans le but de respecter le cahier des charges instauré par la saga. Mais sans la flamboyance habituelle des anciennes scènes d’exposition en raison d’une mise en scène décevante, molle, sans l’once d’une étincelle et dépourvue de ce petit truc en plus nécessaire pour faire la différence. Un préambule d’une vingtaine de minutes servant également à planter le décor de la dernière quête d’Indiana qui lui tombera dessus alors qu’il n’avait rien demandé et qu’il aspirait à une vie plus tranquille. 

Un flashforward plus tard, en 1969, on retrouve un homme fatigué portant les stigmates du temps et de son divorce, désabusé, qui a troqué son chapeau, sa veste et son fouet contre un débardeur, un caleçon et un peu de whisky dans son café pour surmonter l’éprouvant réveil du lundi matin. Un début de semaine d’autant plus insupportable que ses voisins, jeunes, décident de célébrer la réussite de la mission Apollo 11 en écoutant la musique à fond, avec tout ce qu’il faut d’alcool et de joints pour être encore plus enjoués par la nouvelle. Trop vieux pour ces conneries et résigné face à ce décalage avec ce nouveau monde qui se dessine, le docteur Jones part donner son dernier cours, avant le départ à la retraite, à des universitaires absolument pas intéressés sauf une. Helena Shaw, jouée par Phoebe Waller-Bridge (Fleabag), qui va pousser le vieillard à se remettre en selle pour dénicher le Cadran de la Destinée. Un artefact légendaire qui a été entre les mains d’Indiana et de son ami Basil Shaw, le père d’Helena, lors de leur virée chez les nazis en 1944. 

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Une ultime chasse aux trésors qui est avant tout un prétexte pour appuyer les thématiques de la nostalgie, de la vieillesse, du déclin et de la fin d’un héros qui brillait autrefois. Un grand air de déjà-vu pour James Mangold qui racontait la décrépitude d’un super-héros dans Logan. Les faux adieux de Hugh Jackman à son personnage de Wolverine. Et si le traitement avait été du niveau de Logan, on serait déjà ressorti un peu plus satisfait de notre séance d’Indiana Jones 5. Mais le fait est qu'on ne s’en rapproche jamais. Même si le cinéaste limite les blagues sur l’âge de l’archéologue, sûrement pour éviter la redite avec Indiana Jones 4 et d’être trop lourd, laissant Ford s’exprimer de façon plus physique, c’est quand même laborieux et finalement assez secondaire. On aime la franchise  - comme énormément de trentenaires qui tirent vers la quarantaine - mais à aucun moment on a été ému ou touché par tout ce point de vue sur l’une des icônes incontestables du cinéma.  

On regarde les scènes qui s’enchaînent sans avoir la sensation d’être devant un film d'aventure. Alors on peut dire ce que l’on veut sur Indiana Jones et le Royaume du crâne cristal mais lui, au moins, offre ce sentiment de dépaysement, d’expédition à l’autre bout du monde à la recherche d’un objet inestimable. Le Cadran de la Destinée n'a même pas l’air de vouloir essayer. Les séquences d’action sont toutes très oubliables et certains moments des précédents épisodes rendus impossibles à cause de l’âge d’Harrison Ford, qui n’est pas aussi fou que Tom Cruise dans Mission Impossible 7 pour réaliser des cascades impressionnantes. On a donc un golden menu de la quadrilogie, mais sans la saveur qu’on était venu chercher à la base, sans empreinte, c’est convenu au possible. Night and Day du même réalisateur était bien plus divertissant au final. 

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« Ces jours-là sont derrière nous » lâche le personnage de Sallah, toujours incarné par John Rhys-Davies, qui passe dire bonjour (trop) rapidement. Des mots qui s’appliquent totalement à notre ressenti global. Ce nouveau volet court après une gloire qui appartient définitivement au passé sans réussir à imiter ce succès ou même à le reproduire en l’amenant encore autre part. Il y a cette tentative de montrer un aventurier qui ne l’est plus, mais c’est tout sauf suffisant pour nous tenir en haleine durant les 2h45 du film. Et puisqu’on parle de Sallah, il y a un autre sujet qui va susciter des discussions : la place des personnages anciens comme nouveaux au sein d’Indiana Jones 5. Le positif d’abord avec le recrutement de Phoebe Waller-Bridge qui est peut-être la seule vraie bonne idée du long-métrage. 

Impertinente, elle excelle dans son rôle qui rappelle celui d’Indy par certains aspects, à la différence qu’elle semble bien plus intéressée par le profit qu’elle peut retirer des reliques qu’elle pourchasse comme ce Cadran de la Destinée. Mais c’est ensuite que ça se gâte. Mads Mikkelsen fait le taf comme on dit, mais ne livre pas une prestation magistrale. Avec un acteur qui a un tel faciès, on s’attendait à plus de folie dans la montée en puissance de son personnage. C’est quand même LE grand méchant et un nazi, le combo idéal quoi ! Mais ce n’est rien face au pauvre Sallah, à Renaldo (Antonio Banderas), Klaber (Boyd Holdbrook) ou même Marion Ravenwood (Karen Allen). Enfin, Indiana Jones 5 est aussi beaucoup trop long pour son propre bien. Le film le plus long de la franchise, mais on se demande encore pourquoi, surtout avec ce rythme poussif. 

Une fin alternative qui aurait pu tout changer ? Non (spoiler)

Attention si vous n’avez pas encore vu Indiana Jones 5 car on va aborder la fin du film qui a été diffusée au cinéma, et celle qui a été envisagée

À la fin du film, le docteur Jones remonte dans le passé en avion, en compagnie de ses nouveaux amis nazis, en - 213 avant JC. En plein pendant le siège de Syracuse - au grand dam des alliés du führer qui espérait plutôt changer le cours de l’histoire - où il finit par rencontrer Archimède. L’inventeur du cadran qui permet de localiser, d’ouvrir et de traverser des failles spatio-temporelles. Mais dans une version préliminaire du film, James Mangold avait pour projet d’envoyer l’archéologue et ses ennemis en Europe en 1940. Ce qui aurait impliqué un usage encore plus poussé de l’horrible de-aging. Oui, on a échappé au pire. 

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La fin actuelle est également plus en phase avec le traitement de son aventurier à la retraite, qui aurait préféré rester dans le passé sans avoir à revenir dans le présent et à se confronter à cette réalité où il a perdu un fils, qui est mort, où sa femme a fait une demande de divorce et où il est en décalage total avec l’époque et les préoccupations qui en découlent. Pour Mangold, il n’y avait pas de doute, le dénouement choisi était le meilleur et le plus puissant. « Le personnage d'Indy est soudainement confronté à quelque chose qu'il n'a fait qu'imaginer toute sa vie. La réalité de quelque chose qu'il n'a regardé qu'à travers le trou de la serrure de l'histoire et des artefacts et qui s'y trouve soudainement. Et quel moment puissant cela pourrait être pour Harrison lui-même de jouer tout ça... » (via Inverse). Et pour le coup, le metteur en scène n’a pas tort. Ce qui n’empêche pas que la mort des méchants est beaucoup trop faible, et que cette séquence dans le passé est aussi très vite expédiée. Une conclusion en demi-teinte comme le reste d’Indiana Jones 5. Décidément. 

Un bide commercial qui fait pleurer Mickey 

Indiana Jones 5 n’a pas encore quitté les salles obscures mais son avenir est bien sombre. Au box-office mondial, cet ultime opus n’est même pas sûr de générer autant de revenus qu’Indiana Jones et le Temple maudit (333 millions de dollars). Pour l’instant, Indiana Jones et le Cadran de la Destinée a seulement dépassé la barre des 300 millions de dollars. Une tonne de billets verts de prime abord, mais pourtant, on tient l’un des flops de l’année voire de toute la franchise donc. Comment est-ce possible ? Disney, la production et Harrison Ford ont vu gros, très gros.

C’est l’un des films les plus chers de l’histoire avec un budget officiel de 300 millions de dollars. Mais en coulisses, le très sérieux Deadline rapporte que le long-métrage aurait plutôt coûté 329 millions de dollars. Un investissement massif qui rejoint ceux d’Avatar 2, Avengers Endgame & Infinity War, Pirates des Caraïbes : La Fontaine de jouvence ou encore Justice League. Ca pique ! Et attention, car cette somme n’inclut pas les frais de marketing qui seraient de 100 millions de dollars selon Deadline. 

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Il est par conséquent très peu probable, et même impossible, qu'Indiana Jones 5 soit rentable avec son exploitation en salles. D'autant plus que les studios ne récupèrent pas l'intégralité des ventes de billets. Alors pour ce qui est des profits... La sortie DVD / blu-ray relancera peut-être un petit peu la machine, mais pas au point de remplir les poches de la firme aux grandes oreilles.

Un échec qui a commencé dès le week-end d'ouverture puisqu'Indiana Jones and the Dial of Destiny, avec ses 60,4 millions de dollars amassés, est parvenu à être derrière d'autres oeuvres comme Solo: A Star Wars Story (84,4 millions de dollars) ou Transformers Rise of the Beats (61 millions de dollars). Si cette tendance se confirme, ce sera le film de la saga le moins rentable. 

  1. Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal - plus de 786 millions de dollars
  2. Indiana Jones et la Dernière Croisade - plus de 474 millions de dollars
  3. Indiana Jones : Les Aventuriers de l’arche perdue - plus de 376 millions de dollars
  4. Indiana Jones et le Temple maudit - plus de 333 millions de dollars
  5. Indiana Jones et le Cadran de la Destinée - plus de 302 millions de dollars

Les sources de Deadline expliquent que le budget de ce dernier film, qui acte de la fin de la franchise, a été mangé en partie par les cachets de Steven Spielberg, James Mangold et Harrison Ford. L’interruption de la production, pour cause de pandémie mondiale, a aussi eu un impact négatif. 

Indiana Jones 5 : une fin qui laisse un goût plus qu’amer

Si Indiana Jones 5 est en train d’échouer, c’est peut-être à cause du film en lui-même et des mauvaises critiques qui sont sorties après la projection du Festival de Cannes 2023. Il y a eu évidemment des avis positifs, voire très positifs, mais peu de retours dithyrambiques comme celui de Spielberg qui avait survendu cette conclusion. À l’heure des réseaux sociaux, la réputation d’un long-métrage peut être faite et défaite en une fraction de secondes. 

Outre-Atlantique Indiana Jones et le Cadran de la Destinée a été qualifié de « perte de temps » par IndieWire ou encore accusé par ScreenDaily de « piller les chers souvenirs d’une franchise autrefois merveilleuse ». Quant à nous, on se range complètement du côté des avis négatifs. Avec son rythme poussif et son introduction vraiment moche, Indiana Jones 5 nous a fait peur dès sa première partie. Malheureusement, la fraîcheur et les talents de Phoebe Waller-Bridge n’ont pas suffi à nous émerveiller. 

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On a, encore une fois, déterré un vestige du passé pour rien, si ce n’est l’appât du gain. Entendons-nous bien, ce n’est pas un film atroce en soi, mais c’est bel et bien une cruelle déception par rapport à la licence et au genre auquel il appartient. Et oui, au risque de recevoir des colis piégés chez nous, on en est arrivé au point où l’on réévalue Indy 4 sur certains aspects. Mais bien entendu, pas tous, on est quand même encore sain d’esprit. Au final, le Cadran de la Destinée est l’antithèse d’un Mission Impossible 7 Dead Reckoning partie 1. De la part du réalisateur James Mangold, on s’attendait également à beaucoup mieux - le deuxième effet kiss kool.