Après avoir étudié la question du choix moral dans le jeu vidéo (Qu'est-ce qu'un choix moral ?Comment (bien) introduire un choix moral ?), on peut enfin s'intéresser aux jeux qui ont plus ou moins bien réussit à l'intégrer. Et c'est Dante's Inferno qui nous intéresse aujourd'hui.


 

# PITCH

Au programme : Descente au centre de la terre avec Dante qui s'en va arracher sa défunte Beatrice des griffes de Lucifer. Pas grand chose à mettre sous la dent d'un gamer en quête de choix moraux, c'est juste l'histoire d'un gars qui veut récupérer sa copine enlevée par un autre gars (Un hommage inavoué à Mario !?). Là où réside le potentiel moral du jeu, c'est dans son univers : l'Enfer et ses 9 cercles, un mélange à première vue explosif.

 

 

LA PUNITION OU L'ABSOLUTION

Durant son périple au pays des morts, Dante joueur va devoir repousser des damnés assoiffés de chair bien vivante. Plutôt que de tous les mettre en pièces, le joueur peut les achever individuellement à l'aide d'un finish :  la Punition ou l'Absolution. Chacun de ces finishs s'exécutent en réalisant de courtes séquences de QTE dont la difficulté varie selon le type d'ennemi.

 

  

 

€ A QUOI SERT DE PUNIR OU D'ABSOUDRE UN ENNEMI ?

En punissant ennemi, la jauge Impie du joueur augmente, tandis qu'en l'absolvant, c'est la jauge Sacré qui augmente. Remplir ces jauges permet au joueur de débloquer de nouvelles compétences qu'il pourra par la suite acheter avec les points d'expériences (orbes) récupérés sur chaque ennemi tué. Certaines des compétences sont propres à l'Impie, et les autres, au Sacré. Bonne nouvelle, le joueur n'est pas obligé de punir ou d'absoudre un ennemi, mais il y en a tout les intérêts afin de débloquer de nouvelles compétences.

Malheureusement, derrière la décision de punir ou d'absoudre, il n'y aucun aspect moral. En fait, le joueur choisit simplement quelle jauge il souhaite remplir, en vue d'acheter telle compétence impie ou telle compétence sacrée. L'intérêt ne ce fait qu'un niveau du gameplay, il est purement stratégique. Heureusement tout de même, Dante's Inferno ne tombe pas dans le piège qu'inFamous n'a pas su éviter. Plutôt que de contraindre le joueur à faire ses choix de la même couleur (bien ou mal) pour débloquer de nouvelles capacités, il lui offre l'arbre de compétences :


Même si il n'y a toujours aucune notion morale dedans, l'arbre de compétences est un bon exemple de réussite d'un point de vue gameplay. Il n'enferme pas le joueur dans l'une des deux branches, mais lui laisse carte blanche pour les gravir comme il le souhaite. Ne manquait plus alors que cet aspect moral...

 

# LES 7 PÉCHÉS CAPITAUX

En dehors des nombreux combats qui rythment l'aventure de Dante en Enfer, le joueur peut rencontrer dans chacun des cercles des personnalités du passé qui ont gagné leur place dans flammes éternelles en commentant l'un des 7 péchés capitaux. Un court texte présente alors la personne et le péché qu'elle a commit. Au joueur de la punir ou de l'absoudre, lui permettant de remplir tranquillement la jauge de son choix.


La morale, sans intérêt pour le jeu, est relayée au second plan. Le joueur a vite fait de varier les sentences s'il prévoit d'acheter des compétences impies et sacrées, ou bien de répéter bêtement le même choix pour progresser rapidement dans l'une des deux branches de l'arbre de compétences.

€ L'EFFET MIROIR :

Heureusement pour notre précieuse morale, Dante n'est pas lui non plus tout blanc... C'est en traversant les cercles les uns après les autres que l'on découvre qu'il ressemble un peu à leurs habitants. A l'entrée de chacun de ces cercles, une courte cinématique 2D nous révèle l'un des 7 péchés capitaux que Dante a commit lors de sa croisade. Pas le temps de réfléchir : Dante mérite lui aussi sa place en Enfer.


Cette grossière initiative des développeurs a tout de même le mérite de redonner un peu d'intérêt au choix que va effectuer le joueur en punissant ou absolvant ces personnalités. Celles-ci ont d'ailleurs généralement commis un péché similaire à celui de Dante. Idée intéressante, mais pas assez efficace, car il n'y a toujours pas de retour moral sur le jeu : le joueur comme le héros s'en sortent indemnes. Mieux, quel que soit le choix du joueur, il gagne des points impies et sacrés. Ce plan tombe peut-être aussi à l'eau parce que le joueur ne se sent pas vraiment impliqué dans l'aventure, la faute à un Dante trop superficiel. Un problème d'identification donc, qui nous intéressera lors d'un prochain post.

 

# LES PROCHES

Le congé sabbatique de Dante en Enfer va être aussi pour lui l'occasion de retrouver ses défunts proches (père, mère, beau-frère...) et de régler leurs problèmes passés. De quoi impliquer plus personnellement le héros dans sa quête. Cette rencontre est introduite par une cinématique qui révèle les liens difficiles entre Dante et le proche en question, puis aboutit à combat.


A l'issu du combat, c'est l'occasion pour le joueur de choisir de punir ou d'absoudre les âmes de ses proches. Un choix qui aurait encore une fois été intéressant si il avait eu des répercussions sur le jeu autres que l'incontournable gain de points impies ou sacrés.

€ PAS DE PITIÉ POUR LES FIGURANTS

Le truc dommage avec Dante's Inferno, c'est que comme on a pu le voir, il y a des bonnes idées, qui inabouties ne permettent malheureusement pas de proposer une expérience morale au joueur. J'ai été quand même un peu touché par le passé de Dante et ses compagnons d'armes conté lors des cinématiques 2D. Et devinez quoi ?! On croise sept de ces derniers vers la fin du jeu. Dante les découvre damnés, prisonniers de l'Enfer à jamais, ces mêmes compagnons avec qui il a partagé tant de pêchés et de souffrances.


Et bien malheureusement pour eux, ce sont les seuls ennemis de base du jeu que l'on ne peut ni punir, ni absoudre. Vraiment dommage que les gars de Visceral Games aient retiré ce choix au joueur... Ils avaient peut-être une raison, que j'aimerais bien connaitre d'ailleurs, car pour une fois, je m'étais vraiment décidé à absoudre quelqu'un...


# BILAN

On va enfin pouvoir se servir des deux posts précédents (Merci Dante !), et vérifier si Dante's Inferno répond en gros correctement ou non aux critères définis :

  • Le choix moral entraîne-t-il des conséquences sur le gameplay ? Oui. Punir ou absoudre un ennemi permet de remplir les jauges Impie ou Sacré. Cependant, la valeur de ces conséquences est toujours positives, donc sans réel contraintes pour le joueur.
  • Le choix moral entraîne-t-il des conséquences sur le récit ? Non. Les choix du joueur n'affectent en rien Dante ou la suite de son aventure. Le choix perd sa nature morale et se voit remplacer par un intérêt stratégique.
  • Le joueur est-il au courant qu'il est en train d'effectuer un choix moral (synonyme de conséquences futures) ? Oui. L'action est clairement perceptible dans le gameplay au travers de QTE.
  • Le joueur est-il au courant de toutes les solutions qui peuvent lui permettre de résoudre ce choix ? Oui. Il n'a que 2 choix définit : punir ou absoudre. Cependant, bon point, le joueur n'est pas forcé d'effectuer ce choix, bien que le jeu lui en donne tous les intérêts...
  • Le joueur est-il au courant de la nature de ces solutions ? Oui. Punir c'est châtier ("mal") et absoudre c'est pardonner ("bien"). Les conséquences viennent d'ailleurs par la suite confirmer cette construction manichéenne du choix.
  • Le joueur est-il au courant des conséquences futures de son choix ? Non. Le joueur ne sait pas ce qu'entraînent la Punition ou l'Absolution. Cependant, la répétition abusive du choix dans le gameplay permet au joueur de rapidement comprendre le système, et par conséquent, de l'exploiter sans limites.

Le format de choix moral proposé par Dante's Inferno, même si ce dernier n'a jamais prétendu le contraire, n'est pas un exemple de réussite. La surexploitation du choix binaire punir/absoudre à des fins stratégiques de gameplay entraîne sa banalisation, et donc la perte de notion morale pour le joueur. On retiendra tout de même l'arbre de compétences qui est un début de piste intéressant, ainsi que l'effet miroir des crimes que doit juger le joueur quand il croise des personnalités damnés.

 

€ Qu'est-ce que Dante's Inferno nous apporte de plus dans notre définition du choix moral ?

  • Proposer trop souvent le même choix au joueur lui donne un avantage trop important. Il l'aborde avec moins d'appréhension, consient des conséquences qu'il a déjà vécues lors de choix similaires passés. En résumé : il faut varier les choix, et par la même occasion, leurs conséquences.
  • Trop de conséquences positives entraîne la perte de la nature morale d'un choix. Il doit y avoir un enjeu, des risques. Si le joueur ne peut pas imaginer puis constater l'existence de ces risques, il n'aura quasiment aucune pression morale lors du choix. A quoi bon s'inquiéter si l'on est gagnant à tous les coups ! En résumé : des conséquences, oui, mais avant tout des conséquences négatives, et surtout au niveau du gameplay. Car s'il y a bien un levier sur lequel agir pour réveiller le joueur et remettre en cause ses choix, c'est bien celui-ci.

Merci à Dante pour sa participation.