Mais tout vient à point à qui sait attendre, et après la localisation tant attendue d'une certaine Collection of Mana l'an passé, Seiken Densetsu 3 joue à son tour la carte du remake, deux ans après un insipide Secret of Mana en 3D que l'on préférerait oublier. Un quart de siècle passé depuis sa sortie sur Super Famicom, Trials of Mana peut-il prétendre à entretenir la flamme d'une saga que Square Enix semblait destinée au seul jeu mobile ? Comme souvent dans l'existence, la réponse est plus complexe, et nécessite au moins quelques paragraphes. En avant !

Premier degré de la gamme

Sorti en 1995 sur une console maîtrisée de bout en bout par le roi du J-RPG Squaresoft, Seiken Densetsu 3 prolongeait en tous points la formule du deuxième opus, en offrant aux aventuriers une aventure pleine d'action, de dépaysement et de plot twists obligatoires. A la différence de Secret of Mana, le joueur constituait lui-même le trio de héros avec lesquels il partait à l'aventure, assurant une rejouabilité certaine grâce aux multiples dénouements possibles. Vingt-cinq ans plus tard, Trials of Mana reprend au pied de la lettre la formule d'époque, pour lui offrir un nouvel écrin en trois dimensions, plus conforme à notre temps. À l'inverse d'un autre remake rôliste (Final Fantasy VII Remake, au pif), Square Enix a tenu à conserver toutes les spécificités, le ton, le rythme et en grande partie la gameplay de la version Super Famicom, et il ne faut ici pas s'attendre à autre chose qu'une transposition respectueuse, mais sans doute un brin scolaire.

Assez logiquement, Trials of Mana hérite donc des forces et des faiblesses de l'original : l'aventure ne souffre ainsi d'aucun temps mort, et va souvent à l'essentiel au prix de nombreux allers-retours dans les mêmes environnements restreints, pour suivre une intrigue résolument premier degré, dans laquelle le relatif sérieux des protagonistes tranche avec une ambiance carton-pâte de contes de fées. Le ton n'est en revanche pas toujours des plus justes, puisque si la VO japonaise colle au style décidément premier degré de cette aventure sortie des années 1990, les sous-titres français trahissent parfois une traduction trop littérale (sans doute réalisée sans les cut-scenes correspondantes), en témoignent certains écarts, comme l'amabilité incompréhensible de nos héros face à un meurtrier en train de s'échapper. Les dialogues au sein de l'équipe qui prennent place lors des phases d'exploration constituent pourtant un très sympathique ajout, qui donne un peu de corps à l'aventure, et illustre les relations qui existent au sein de votre trio taillé sur-mesure. Mais les nombreuses cut-scenes qui permettent de faire avancer une histoire aux tenants et aboutissants pas toujours clairs lors du premier run (à cause d'intrigues toujours entremêlées) ne font aucun effort de mise en scène, et enchaînent des cadres presque automatisés, qui trahissent le budget alloué.

Ondine entre amis

Bien moins laid que Secret of Mana cuvée 2018, Trials of Mana reste heureusement très coloré, mais sa technique souvent limitée gâche un peu l'expérience, à plus forte raison sur Switch. L'esprit Mana est parfaitement respecté, mais les modélisations des bâtiments, des villes et des différents protagonistes donnent l'impression d'une équipe pressée par le temps, et soumise à des arbitrages trop voyants au final. Les textures sont souvent à la bourre, les intérieurs de nombreuses habitations ne sont que de simples copiés-collés, et les palais donnent surtout l'impression d'arpenter des couloirs aussi vastes que... vides. Désespérément vides. En parcourant les villes pour effectuer des achats, tuer le temps (des phases obligatoires à certains moments de l'intrigue) ou simplement entamer un énième aller-retour, il apparaît clairement que l'échelle adoptée n'est pas forcément la bonne, et que le jeu aurait clairement gagné à restreindre certaines zones, ou augmenter la vitesse de déplacement. Heureusement pour vous, le patch day one vient offrir deux options supplémentaires dans la gestion de la course : c'était effectivement nécessaire.

Trials of Mana donne ainsi l'impression d'une aventure réchauffée avec soin, mais que l'on ne rangera pas aux côtés d'un boeuf bourguignon ou de saucisses lentilles, ces plats encore meilleurs le lendemain de leur préparation (désolé les vegans, mais je prends vos suggestions). Ce qui change, en revanche, c'est le système de combat : avec le nouveau point de vue à la troisième personne, et surtout la disparition non-négociable de la coop' (un crève-coeur), il aura fallu rebattre les cartes. L'attaque de base se double d'un second coup, plus puissant, que l'on peut charger et d'un bouton d'esquive en forme de roulade. Avec autant de commandes en façade, il n'est donc plus possible de piloter aussi facilement les actions de vos co-équipiers, même si une pression sur une gâchette permet de passer de l'un à l'autre assez facilement. Le menu radial typique de l'époque s'ouvre désormais avec la flèche du bas, et ce grand nombre de touches couplées à la gestion d'un trio ne s'avère pas franchement des plus ergonomiques, ni même des plus simples à appréhender.

Moi je me pique de le savoir

Heureusement, la gestion de la magie arrive petit à petit, et laisse le soin de se familiariser avec ce système pas toujours bien fichu, qui ne parvient pas malgré sa montée en gamme à masquer des combats assez répétitifs et peu tactiques, en dehors des boss, qui ont fait l'objet de bien plus de soin. Chaque rencontre dessine les contours d'un cercle dont il est souvent possible de s'échapper, et resserre ainsi l'action. On alterne entre coups normaux et spéciaux, esquives et autres sorts offensifs, mais les joutes s'enchaînent et se ressemblent, malgré des ennemis variés et toujours visuellement fidèles à la série. Square Enix a eu la bonne idée de pousser bien plus loin les paramètres de stratégie, qui permettent désormais de régler assez finement les types d'attaques de chacun, en définissant des seuils de PM par exemple, ou en orientant un combattant plus balèze vers les ennemis avec peu de points de vie. S'il reste toujours plus efficace de gérer la distribution des sorts offensifs et défensifs, certaines compétences propres aux classes peuvent créer des cercles vertueux, et l'on peut par exemple permettre à un mage noir de dépenser sans compter une fois que ce dernier récupère des points de magie à chaque ennemi défait.

Les boss, au contraire, semblent donc avoir fait l'objet de bien plus de soin, et proposent des affrontements plus structurés, divisés en phases et qui nécessitent de bien observer son environnement, et restent ainsi un peu plus mémorables, surtout lorsque l'aventure s'oriente vers un génocide conscient des bénévolons. Ce chapitre très ouvert tranche avec le dirigisme de la première moitié, mais l'ajout d'un guide fera gagner du temps à ceux qui ne peuvent plus le passer à chercher au pif à quel PNJ il faut s'adresser pour faire avancer l'intrigue. Cette option que l'on pourra désactiver permet tout de même de conserver un rythme encore plus soutenu, sans détours, même si l'affichage de la carte permet tout de même de récupérer quelques items supplémentaires avant de foncer tête baissée vers la prochaine location.

Damn Damn Drum

Et si Trials of Mana ne requiert pas un leveling intensif, loin s'en faut, il conserve tout de même quelques travers de l'original, en plus des innombrables allers-retours déjà évoqués. Si vous ne défoncez pas du mob par centaines pour maintenir votre niveau, faites-le au moins pour votre équipement : comme dans Seiken Densetsu 3, chaque bourgade ou presque proposera des armures et des armes pour votre trio, qui coûtent rapidement un bras, et obligent à faire de véritables choix. Dans la liste des vrais ajouts, on trouve la chasse au Ptit Cactus déjà annoncée par l'éditeur, qui se contente mollement de reprendre le principe des mini-médailles de Dragon Quest en le simplifiant, puisque la plante épineuse reste visible dans les différentes zones du jeu, et n'offre que des récompenses assez dispensables. La quatrième classe en post-game s'avère plus intéressante, surtout pour les vieux briscards de l'action-RPG, qui y trouveront de quoi s'occuper encore quelques heures passé le générique de fin.

Ceux qui choisiront de revivre cette aventure pourront en tous cas compter sur les mélodies toujours aussi efficaces du vénérable Hiroki Kikuta, proposées telles quelles pour les nostalgiques et autres épris de sons chiptune, mais aussi dans des versions réorchestrées qui ne prennent jamais le moindre risque. Les quatre (!) arrangeurs de Trials of Mana se sont en effet contentés de faire jouer les mélodies originales par un orchestre synthétique, pour un résultat sympathique, mais clairement peu inspiré. Dommage, quand on sait désormais le soin qui a été apporté aux compositions de Nobuo Uematsu via Final Fantasy VII Remake. Le charme opère toujours, c'est certain, mais il y avait tellement de possibilités pour rendre hommage à cette bande-son moins connue que celle du second opus qu'on ne pourra que regretter cette relative tiédeur.