L'heure est historique : cette année 2017 aura vu débarquer à seulement quelques mois d'intervalles un nouveau Zelda et un nouveau Mario. Si les joueurs nippons avaient pu connaître cet alignement des planètes en 2002, puisqu'étaient alors sortis Super Mario Sunshine et The Wind Waker, nous autres occidentaux n'avons encore jamais goûté à cet état de grâce. Et si les deux mastodontes n'ont a priori que peu d'éléments en commun, Nintendo semble avoir tout autant mûri les nouvelles aventures du moustachu à casquette que celles de l'hylien aux oreilles pointues.

C'était Illiade très, très longtemps

Bien que le point de départ d'une nouvelle aventure de Mario ne soit qu'un prétexte de plus pour voler au secours d'une tête couronnée pas fichue d'organiser sa garde rapprochée (même après cinquante kidnappings), le point de départ de Super Mario Odyssey permet de mettre en scène la rencontre entre notre mascotte et son acolyte chapelier. Viré tel le pote qui se pointe en jogging au mariage quelque peu forcé de la Princesse Peach et de ce looser de Bowser, Mario se retrouve alors privé de son iconique casquette. Qu'à cela ne tienne, puisque Cappy, le chapeau fantôme (à moins que ce ne soit finalement l'inverse), se trouve exactement dans la même panade : Bowser s'est emparée de sa promise afin de coiffer comme il se doit sa future épouse. Voilà donc le duo nouvellement formé prêt à se lancer à l'aventure, pour botter une fois de plus les fesses écailleuses de l'infatigable Koopa.

Grâce à Cappy, Mario élargit d'un coup de chapeau sa palette de mouvements : bien que le coup de poing salvateur des Super Mario Galaxy disparaisse, l'aventureux plombier peut désormais lancer son partenaire sur à peu près tout ce qui bouge. Et si les premiers Goombas volent en éclat devant cette nouvelle attaque, on se rendra bien vite compte de ce qu'autorise l'élargissement conséquent d'une palette de mouvements qui ne manquait déjà pas de piquant. Que les joueurs aux tempes grisonnantes se rassurent : leur héros se manie avec la même dextérité qu'auparavant, exception faite du long jump devenu plus exigeant avec l'âge et de la nage moins intuitive que dans les précédents épisodes. Au rayon des nouveautés, Mario pourra également rebondir sur Cappy pour aller plus haut (et croire encore à l'avenir), se rouler en boule pour dévaler les pentes les plus abruptes, ou encore exécuter une danse tournoyante à l'intérêt essentiellement cosmétique.

Cosi Fan Tutti Quanti

Mais la feature la plus attendue, celle qui résume le gameplay de ce tour du monde en moins de 80 heures, c'est bien entendu la Chapimorphose. Derrière ce néologisme aussi barbare qu'explicite se cache un redoutable parti-pris qui promet de très nombreuses surprises : en balançant nonchalamment son couvre-chef sur à peu près n'importe quel ennemi, Mario en prend alors le contrôle et profite à l'envi de ses capacités insoupçonnées : Chomp, Bullet Bill, Tank ou Bouche d'égout (!), personne ne sera en mesure de résister à votre gai galurin. Les équipes de Nintendo ont une nouvelle fois été touchées par la grâce, puisque ce seul twist permet d'un coup d'un seul de démultiplier les possibilités offertes par les vastes environnements qui s'offrent à vous : planer, conduire, s'étirer, tirer, tout devient possible et pensable, sans que cela ne trahisse jamais l'esprit original de la série.

Si les premiers pas peuvent s'avérer hésitants, on s'habitue bien vite à se rendre coupable d'intelligence avec l'ennemi : il suffira de posséder le bon bad guy pour étendre immédiatement le champ des possibles. L'exemple le plus parlant reste sans doute le Cheep Cheep, puisque cet ennemi de toujours deviendra d'un coup votre plus fidèle allié dans les zones aquatiques : déplacements fluides, apnée infinie permettant d'atteindre les profondeurs : tout ce que Mario ne saurait faire devient alors une partie de plaisir. Chaque nouvelle contrée embarquera son lot de surprises, et si la grenouille de départ permet de comprendre assez facilement les possibilités offertes par Cappy, certaines transformations relèvent purement et simplement de l'improbable. Mario en bouche d'égout, vous vous y attendiez ? Nintendo l'a fait.

Souffle du Sauvage

Passé le tutoriel obligatoire, le premier monde qui s'offre à vous annonce d'emblée la couleur à ceux qui craindraient la frilosité légendaire de Nintendo. Si Link pouvait embrasser dès son réveil l'immensité du monde qui s'offre à lui dans le révolutionnaire Breath of the Wild, Mario prend dès les premières minutes l'apparence d'un T-Rex. Bam. Comme ça. Mic drop. Voilà de quoi marquer d'entrée de jeu les esprits, et d'envoyer ainsi un message clair et net : Super Mario Odyssey est l'épisode de tous les possibles. Si la série n'avait certes pas baissé en qualité en comparaison des derniers Zelda, ce nouveau Mario casse un nombre incroyable de conventions que l'on pensait jusqu'alors inamovibles.

L'histoire nous dira sans doute plus tard s'il s'agit là de l'influence de Yoshiaki Koizumi (producteur de la série depuis le stratosphérique Super Mario Galaxy 2), mais le renouvellement est permanent. À l'instar du dernier Zelda, Mario abandonne son costume de toujours pour enfiler de nombreuses tenues thématiques (souvent magnifiques au demeurant) en fonction des environnements parcourus. Mais surtout, Super Mario Odyssey s'inspire du sentiment de liberté insufflé par Breath of the Wild pour offrir des zones vastes, denses, et bourrées à ras bord de secrets. Des surprises, il y en a partout. Partout. PARTOUT ON VOUS DIT.

You dense motherfucker

La structure de cette Odyssée s'éloigne de l'offre pléthorique des Galaxy et autres Super Mario 3D World qui offraient de très nombreux environnements, pour bien plus se rapprocher d'un certain Super Mario 64. De l'épisode fondateur 3D, ce nouvel opus conserve une approche bac-à-sable propice à la découverte et à l'émerveillement permanent. À une exception près : si la grosse douzaine de mondes (restons vagues...) proposés peut paraître un brin chiche en 2017, il ne faudra sûrement pas se contenter de sept étoiles à découvrir avant de passer à autre chose, Ô que non.

Une fois de plus inspirées par l'ouverture et la liberté offertes par Breath of the Wild, les équipes de Nintendo nous offrent une aventure hors-norme où chaque élément du décor se révèle propice à l'investigation : cette caisse qui brille, cette vibration qui parcoure le bout de vos doigts en escaladant une colline, ce recoin qui demande d'orienter différemment la caméra, il n'y a pour ainsi dire rien qui ne mérite de ne pas s'arrêter un instant dans Super Mario Odyssey. La répartition n'est pas des plus égalitaristes (contrairement à cet incroyable staff roll), mais certains mondes contiennent à eux seuls une centaine de ces précieux sésames. Autant dire qu'il va falloir la jouer méticuleux comme pas deux pour espérer en faire le tour. Cette prolifération rampante de lunes est pourtant l'un des piliers du jeu, et permet à tout un chacun de progresser à son rythme : si les joueurs simplement curieux obtiendront toujours de quoi progresser en flânant nonchalamment le sourire aux lèvres, les maniaques obsessionnels (dont votre serviteur se réclame sans s'en cacher) finiront par avoir le tournis devant l'immensité de la tâche à accomplir.

La Guerre de Troie n'aura pas lieu

Démesuré, Super Mario Odyssey l'est assurément, et il va sans dire que cette aventure homérique donnera bien plus de fil à retordre que n'importe quel opus passé. Le pathfinding offre en plus une incroyable liberté, tout en permettant de ne jamais perdre de vue l'objectif à suivre : chaque accostage s'accompagne d'une colonne de lumière indiquant la marche à suivre pour faire avancer l'intrigue. Libre à vous de retourner avant cela chaque centimètre carré, mais certaines missions se révèlent obligatoire pour accéder aux niveaux suivants. Et lorsque vous pensez avoir fait le tour et avez botté en règle les fesses du boss local, chaque monde ouvre alors d'autres perspectives : la fin du souffle glacial en plein désert permet par exemple de faire fondre les blocs de glace qui s'y trouvaient, laissant place à de toutes nouvelles zones, sans parler des nouvelles missions qui n'apparaissent qu'une fois le combat final remporté.

Comme c'est le cas depuis belle lurette, la confrontation avec Bowser ne représente en aucun cas un défi de taille : les mordus de plate-forme et d'aventure botteront rapidement les fesses de l'indéboulonnable antagoniste à pointes, et n'auront d'yeux que pour ce qui n'arrive qu'après le générique de fin. À l'instar de tous les chefaillons qui auront le malheur de croiser votre route, le roi Koopa n'opposera guère de résistance, et il n'y a finalement aucun boss sur lequel on ne se soit pas essuyé les pieds comme un malpropre, même lors des affrontements les plus coriaces. C'est d'ailleurs bien dommage, puisque les deux Super Mario Galaxy nous avaient offerts de fabuleux combats mettant parfois les nerfs à rude épreuve. On se demandait également ce que Nintendo nous réservait après l'incroyable Kage Bunshin no Justu de Bowser Chat à la fin de Super Mario 3D World, et on peut vous dire sans spoiler que la séquence de fin nous aura retourné le cerveau tellement on ne l'avait pas vue venir !

Coup de Gripsou

La défaite de ce dinosaure en smoking ne sonne certainement pas la fin de la partie. Oh que non. En plus des centaines de lunes que vous aurez laissé briller dans la nature, Super Mario Odyssey en place une pour les vrais, ceux qui se rient du danger et partent la fleur au chapeau affronter les défis les plus velus, pour lesquels ils avaient de toutes façons signé. Et si certains avaient pu jouer les Cassandre en apprenant que la notion même de vies disparaissait de cet épisode, l'astuce se révèle au final d'une efficacité redoutable. Plutôt que de cumuler en quelques heures des vies par centaines dont on se fiche complètement par la suite, Nintendo a choisi de frapper directement au portefeuille, et ça change tout. En perdant des pièces à chaque défaite (et elles restent nombreuses grâce aux zones de vide intersidéral ou de substances toxiques qui one-shotent direct), on voit son précieux magot diminuer, et les possibilités de le dépenser s'amenuiser.

C'est là tout le génie du géant kyotoïte : en faisant des pièces un élément important de ce nouvel épisode du célèbre entrepreneur de Brooklyn, Nintendo rend leur collecte pour la première fois indispensable (et je passe volontairement sous silence l'accumulation déstabilisante à souhait de New Super Mario Bros. 2). À l'instar des grandes villes touristiques, chaque environnement accepte sans broncher deux types de devises : les pièces jaunes qui débloquent lunes et costumes rigolos, et les pièces violettes thématiques, qui permettent de s'offrir d'autres nippes et quelques souvenirs, histoire d'égayer l'intérieur de son vaisseau iconique. Votre copain Cappy changera également d'aspect en fonction des changements au vestiaire, ce qui permettra à votre pote bien réel de casser la monotonie. Anecdotique, le jeu à deux permet à un acolyte de contrôler le haut-de-forme fantomatique, mais ne laissera à personne un souvenir impérissable.

The Darkest Side of the Moon

Il faudra donc courir un grand nombre de lièvres à la fois pour satisfaire ses envies complétionnistes, d'autant que le nombre de niveaux s'avère conséquent une fois atteint le dernier palier réclamé par l'Odyssée, même si tous ne sont pas forcément mémorables. Mais le joueur exigeant se verra dans l'obligation de revenir sur ses pas, tant la progression permet de toujours mieux comprendre le fonctionnement de Super Mario Odyssey. En visitant à nouveau les premiers mondes parcourus, on rie de sa propre ignorance d'alors : tout était là, sous nos yeux, mais nous n'étions pas encore assez curieux pour voir ce qui s'y cachait. Pour ceux qui ont encore des pièces à dépenser après avoir acheté tous les magnifiques costumes du jeu (qui n'apportent presque rien mais que l'on prend plaisir à accorder), l'ami Toad dealera des locations de lunes manquantes moyennant un bakchich. Et même en y ajoutant à cela les conseils gratuits d'un perroquet bien bavard, difficile d'atteindre les 100% dans chaque niveau. Les possesseurs d'Amiibos déballés pourront compter sur leurs précieuses figurines pour accélérer gentiment leur recherche.

Et comme la vie est parfois bien faite, Nintendo a pensé à tout : chaque lune obtenue est consciencieusement listée dans un menu pensé pour, ce qui permet de ne pas trop se paumer lorsqu'arrive l'heure de l'exhaustivité. Les nombreux drapeaux faisant office de check points permettent d'ailleurs une exploration grandement facilitée : un bon point qui empêche toute forme de frustration. En revanche il est dommage de constater que les mondes (et ils sont plus nombreux qu'on ne le pense) ne soient pas tous de la même qualité : on côtoie l'excellence (New Donk City ou le Piton du Frouno) comme le classique (Flocons en Flonflonnie). Mention très spéciale pour l'esthétique incroyable du Château de Bowser qui marquera les esprits et toise tout ce qui s'est fait auparavant, et pour très longtemps. L'audace est ici on ne peut plus payante. Et comme il est désormais de rigueur, l'ultime challenge à débloquer mettra les nerfs des esthètes du triple saut à rude épreuve. Vous avez aimé souffrir à la fin de Super Mario Galaxy 2 ? Vous adorerez basculer du côté très obscur... Les fans tutoyant les anciens épisodes souriront également plus d'une fois en découvrant les innombrables clins d'oeils toujours bien pensés et jamais gratuits qui mentionnent presque toute la saga, même en musique.

Hot down, summer in Donk City

Techniquement, Super Mario Odyssey ne brille pas autant que les lunes qu'il demande de récolter : l'aliasing s'en donne à coeur joie, surtout en ce qui concerne les ombres au sol, et si l'on a largement pardonné à Breath of the Wild une limitation graphique due à d'immenses environnements systémiques, on comprend moins pourquoi la Switch souffre de petits problèmes de digestion dans ces univers pourtant plus resserrés. Rassurez-vous : le jeu reste très beau et lumineux lorsqu'il doit composer avec un affichage en 900p sur grand écran, mais loupe une marche quand il s'agit de passer en mode portable. Bloquée à 720p, la version portable supprime quelques effets de lumière, et l'affichage des textures a parfois un léger retard à l'allumage. Si votre emploi du temps le permet, il vaudra mieux privilégier le confort d'un canapé et d'un grand écran pour profiter pleinement de l'aventure.

Enfin, terminons cette modeste bafouille par l'ambiance sonore : là où les Galaxy optaient pour la formation symphonique et où 3D World faisait le pari du big band, Super Mario Odyssey ratisse plus large et profite de toute la palette chromatique et instrumentale disponible en 2017. L'identité de chaque monde est ainsi joliment soulignée par l'orchestration qui l'accompagne : les flûtes sud-américaines rendent le désert encore plus mystérieux, tandis que les gammes pentatoniques de la fin de l'aventure s'accordent avec les incroyables environnements alors proposés. Une identité moins tranchante donc, mais qui se justifie par la variété des contrées visitées par nos deux compères.