Petit retour en arrière pour les étudiants en histoire de l'art du jeu indé. Fondé en 2010, Rain AS est un studio indépendant norvégien dont le premier projet prend la forme d'un titre multijoueur tendance casual : Minute Mayhem. Dans ce titre aux faux airs de Bomberman, jusqu'à quatre personnages, parmi huit, se combattent les uns les autres, et disposent de capacités spéciales. Parmi eux, un certain "Teslamancer", originaire de Teslagrad, la capitale d'une nation appelée Elektropia. Car oui, derrière ses mécaniques sans surprise, le jeu a développé un univers steampunk, et même une histoire... En 2012, coup de théâtre : Minute Mayhem est mis entre parenthèses, et c'est un certain projet Dark Rain qui occupe le studio. Ce dernier se déroule dans le même monde, et s'intéresse plus précisément à l'histoire mystérieuse d'Elektropia et des Teslamancers. Un platformer 2D à l'atmosphère sombre devenu, vous l'aurez compris, Teslagrad.

Les sanglots longs...

Sorti voilà déjà un an sur PC, Teslagrad, par le miracle de l'adaptation multi-supports (certes tardive), s'offre désormais aux possesseurs de Wii U, de PS3, PS4 et, bientôt, de PS Vita. Une aubaine pour ces derniers, qui découvriront là un titre dont la direction artistique tient de l'enchantement. Dès l'écran-titre, sous un empilement de menus, c'est un homme que l'on voit de profil, marchant sans se retourner. Dans ses bras, un nouveau-né. Le joueur, d'ores et déjà transporté par les lamentations magnifiques d'un violon, appuie sur Start. L'homme atteint alors sa destination, une demeure d'apparence simple, et dépose l'enfant dans les bras d'une femme. Un regard en arrière, furtif, et le voilà déjà parti. Les saisons passent. Ayant grandi, l'enfant doit s'enfuir de la maison alors que des hommes en uniforme rouge semblent mener une rafle. Qui sont-ils, que veulent-ils ? ... Ici, pas de narration, pas le moindre texte, mais une action muette, où tout est suggéré. Un conte, à sa manière - cruel, comme ils le sont en réalité bien souvent -, et une vision habillée de graphismes entièrement réalisés à la main qui tiennent du dessin animé vivant, avec effets de lumière à l'avenant. Un titre beau, tout simplement, et dont la minutie des décors recèle moult détails qui prennent tout leur sens une fois le jeu achevé. Une envie de "reviens-y" qui s'exprime avec d'autant plus de force qu'un total de 36 cartes cachées (qui dévoilent à leur manière le background du jeu), seules aptes à vous dévoiler la "vraie" fin, se révèlent pratiquement impossibles à toutes découvrir lors du premier run. Mais ne brûlons pas les étapes...

Attirance-répulsion

Une tour, immense, et vous qui devez progresser de sa base jusqu'à son sommet. Référence à la tour de Wardenclyffe, créée au début du XXe siècle par Nikola Tesla, le lieu est tout entier dédié à la déesse électricité, et à son fidèle compagnon, le magnétisme. De fait, le gameplay est ici tourné vers la maîtrise de la polarité (charge négative ou positive), que vous pourrez associer à divers éléments du décor (plates-formes, blocs...). Petit rappel : les contraires s'attirent, les éléments de même charge se repoussent. C'est tout simple, mais encore fallait-il y penser. Grâce à divers accessoires que vous récupérerez au cours de votre progression - des gants magnétiques d'abord, puis des bottes « éclair » (qui autorisent une téléportation à courte distance), une cape capable de modifier votre polarité puis enfin un bâton, seul capable de délivrer des charges offensives - les puzzles proposés gagnent en complexité, entre flux magnétiques, faisceaux électriques mortels, mécanismes divers, etc. Votre maîtrise du paddle, d'abord hésitante, finit par exiger des enchaînements parfaits, qui vous viendront comme par enchantement... après, parfois, des morts à répétition heureusement jamais réellement frustrantes (quoique...), les points de respawn étant liés à chaque nouveau tableau. Mention spéciale, tout de même, aux combats de boss, qui n'autorisent pas la moindre erreur, et réclament une connaissance parfaite de leurs patterns. Une exigence nécessaire pour soutenir une durée de vie finalement modeste (comptez 5-6 heures), que l'on ne voit de surcroît pas passer pour peu que, les deux doigts dans la prise, vous ne ressentiez que la décharge de délicieux frissons.

S'il n'a pas la complexité d'un Braid, le brio plein d'humour d'un Portal 2 et ne dispose même pas d'un level design aussi talentueusement structuré que les meilleurs Metroidvania, Teslagrad se démarque par sa structure narrative, finalement plus prenante encore que son gameplay, et son ambiance franchement hors du commun. Ajoutez à tout cela des mécaniques de jeu solides, un souci du détail inattendu (le visage du dernier boss est inspiré du masque mortuaire de Nikola Tesla lui-même !) et l'alchimie fonctionne à plein.