Vous voyez un peu l'effet qu'a eu ce jeu sur moi ? Pourtant, j'ai pas fait une concession ! Ooooh, attendez, je vous vois venir. Vous croyez que j'ai forcé le trait. Que nenni ! Passé le menu principal, baigné par une musique enivrante dont il est impossible de se dépêtrer, Child of Light exerce séance tenante une étrange fascination. Si l'on a déjà passé l'adolescence, que l'on a eu la chance d'avoir des parents qui nous lisaient des histoires, de pouvoir s'assoupir sur des bouquins illustrés aux intrigues simplistes mais qu'on aimait à parcourir encore et encore, d'apprendre des poésies à l'école, un retour à l'enfance, dans ce qu'elle a de plus charmant, s'opère. Si l'on est encore bambin, l'attraction est immédiate. Au point de voir son langage s'altérer malgré soi. La narratrice et les personnages voient rimer leurs répliques, pourquoi ne pas, moi aussi, achever mes phrases de façon lyrique ? Dans mes mails, mes SMS, en répondant au téléphone... Toujours avec un petit sourire espiègle. Pourquoi ? Comment ? Explication des différents ingrédients d'un envoûtement on ne peut plus efficace...

Coup de canon auditif

Bien loin des AAA "classiques" sur lesquels le sieur Patrick Plourde, directeur créatif chez Ubi Montréal, a pu travailler auparavant, Child of Light ne joue pas la carte de l'enchantement qu'au niveau du langage employé. Tous les compartiments sont touchés. L'aspect sonore, en premier lieu. Composées par la jeune et talentueuse Béatrice Martin, artiste québécoise plus connue pour son projet musical baptisé Coeur de Pirate, les différentes mélodies ont quelque chose d'assez "Ghibli-esque". Une petite poignée de thèmes vont être déclinés sous différents tempos, tantôt au piano, à la flûte, aux instruments à corde, accompagnés par des bruitages adéquats. Par moment mélancoliques, quand le murmure du vent s'en mêle ; au contraire fort joyeux après la résolution d'un objectif, accompagnés des caquètements de minuscules créatures dont on aperçoit parfois les silhouettes ; épiques lorsque surviennent des affrontements, surtout face à un boss, où un orchestre et des choeurs survoltés semblent agir en armée boostant l'héroïne : difficile de résister à la justesse de cette partition qui s'imbrique à merveille dans le tableau global et soutient toujours avec exactitude les diverses phases par lesquelles nous passons au cours de l'aventure.

De l'autre côté du tableau

Je suggérais les oeuvres d'Hayao Miyazaki pour les sonorités. Le graphisme, coloré, évoque aussi le maître. Mais pas que. Dans ces décors d'aquarelle aux traits redoublés et aux dégradés somptueux, on peut distinguer du Yoshitaka Amano et aussi, pour les initiés, du - sous-estimé - SaGa Frontier 2. On reconnaît évidemment l'inspiration première, les travaux de l'illustrateur suédois John Bauer. Résultat : le titre, en 2D sous le moteur UbiArt Framework, est, quoiqu'on y décèle, et vous pouvez le constater, un régal. Entre une forêt inquiétante et lugubre, des cavernes étouffantes, des villages autrement plus chaleureux, une montagne bipède et vivante qu'on verrait bien animée par Frank Oz, des palais ou des ruines qui dévoilent des merveilles de végétation ou de vitraux, de statues, une scène de théâtres figée par la glace, sans parler des multiples bestioles et objets qui peuvent intervenir arrière-plan, il n'y a, pour ainsi dire, aucune faute. Chaque environnement traversé pourrait être - les jolies animations en plus - un tableau ou une page illustrée d'un conte pour enfants. Dans lequel on croise d'autres personnages adorables comme les Capillis, ces nains aux cheveux et barbes incroyablement longs, ou des souris avares et excentriques. Et même des monstres abominables, comme des chiens de feu, des araignées géantes, des spectres, des hommes de pierre, des hydres... Bref, il ne faudrait pas oublier que par-delà l'allure, il s'agit tout de même d'un jeu. De rôle. D'héritage japonais.

Une valkyrie de profil

Ce voyage qui pourrait être une rencontre entre l'Histoire Sans Fin, Narnia, Le Magicien d'Oz et Alice au Pays des Merveilles, trouve en son coeur une minuscule héroïne. Aurora, fille d'un duc autrichien trouvée sans vie le matin du vendredi Saint de 1895, voit son âme transportée dans le royaume de Lemuria. Désireuse de rentrer chez elle, la gamine aux cheveux de feu va se voir chargée de récupérer les étoiles, le soleil et la lune des mains de l'horrible Reine Noire et de ses non moins horribles filles. Avant d'y parvenir, il va falloir explorer, grâce aux ailes récupérées au bout de quelques minutes, d'une manière sonnant comme une réminiscence de Valkyrie Profile, les zones proposées. En forêt, en mer, en sous-sol, il sera question de dénicher les coffres cachés, éviter les pièges vers lesquels le Zephyr pourrait vous pousser, agiter ses méninges face à quelques puzzles (aux mécaniques simples et assez semblables, entre poussée de caisse et jeu de lumière), récupérer des lettres étranges, nommées Confessions, flottant dans les airs, résoudre de parfois hilarantes missions annexes... Et guerroyer. Armée de sa très lourde épée, notre princesse aux pieds nus va se retrouver seule ou avec un de ses compagnons, façon South Park : Le Bâton de la Vérité, à affronter des escouades de une à trois chimères simultanément.

Le temps, c'est de l'amour ?

La façon dont se déroule ces rixes n'a rien de bien compliqué et peut être assimilée et appréciée des novices qui pourraient être échaudés par l'idée d'un style au tour par tour. Mais elle ne manque pas de piquant et saura, par quelques touches subtiles, et sans prétention de réinventer la roue, satisfaire les habitués. En bas de l'écran se situe une jauge où défilent plus ou moins vite les icônes de chaque belligérant, découpée en deux temps. D'abord, le chargement qui mène au choix de la prochaine action. Puis l'exécution, dont la lenteur dépend de la nature (attaque, protection, fuite, magie, potion) et de l'amplitude, puisqu'il existe des frappes et sorts ciblant plusieurs adversaires. Pendant celle-ci, la moindre touchette peut se révéler fatale : il y a alors interruption et retour au début de la fameuse barre. Il faut donc composer avec cette temporalité pour éviter, justement, de donner un avantage trop grand à l'ennemi, en adoptant une posture défensive. Ou tirer pleinement parti de cet avantage pour parfois enchaîner plusieurs coups de suite. Cela se joue parfois au centième de seconde près, grâce, essentiellement, à l'apport d'un soutien de (petit) poids : une luciole que l'on pourrait comparer au Murphy de Rayman Legends : Igniculus.

Shadow of Igniculus

Vous ai-je dit que les combats n'intervenaient pas aléatoirement ? Durant le périple, un méchant peut être évité, pris de front ou par surprise, si on l'aborde de dos. Là peut intervenir l'assesseur incandescent, qu'il est possible de diriger à l'écran avec le stick analogique droit. Une simple pression sur la gâchette de gauche et voilà qu'Igniculus concentrera son éclat (avec utilisation régulée) pour, au choix, éclairer une zone assombrie, rendre un peu de vie à Aurora, ouvrir des coffres et autres contenants éloignés, absorber des boules lumineuses s'échappant d'arbres à voeux et lui rendant de l'énergie, enclencher certains mécanismes par le biais de jeux d'ombre et aveugler les créatures pour pouvoir les contourner en toute tranquillité. Et pendant les bastons ? Mêmes possibilités de rendre de la vitalité et faire joujou avec les plantes. Mais c'est surtout pour freiner la progression dans la barre d'action d'un antagoniste, en brillant. Et parfois vous en sortir à un cheveu. Indispensable sur le terrain, Igniculus l'est tout autant dans ces joutes qui honorent l'esprit du J-RPG et sont plus tactiques qu'elles n'y paraissent. La bonne nouvelle, c'est que si une autre personne venait empoigner une manette, elle pourrait participer en incarnant cette petite boule. Et qu'elle aura l'impression d'avoir une certaine importance dans le déroulement des opérations. M'est d'avis que des coopérations parent-enfant seraient tout à fait idéales pour passer un bon moment.

Oh hisse, Oculi

Revenons à nos fights. Outre la manipulation du temps, il faudra vite apprendre à composer ses duos d'attaque en fonction des ennemis rencontrés. Cela durant le combat, sans injustice de voir quelques secondes s'échapper. Outre notre bretteuse capable de lancer des sorts de lumière, on emploiera des compagnons de route aux profils assez variés. Rubella et Tristis, arlequins de leur état, sont portés respectivement sur le soin et le soutien, un peu comme Noah, soeur de notre protagoniste et Gen, fille-poisson ; Finn, le Capilli, est un sorcier maniant les éléments (eau, feu et éclair) ; Robert la souris est un archer plutôt rapide ; Óengus le fier guerrier tape et encaisse comme personne. Les différentes associations devront être trouvées en direct lorsque vous réaliserez que certains gredins résistent et contrent les attaques physiques ou magiques, sont insensibles à un type de magie... Avec les points gagnés par chaque niveau d'expérience passé, vous aurez comme devoir de choisir parmi les trois chemins des arbres de compétences (améliorant statistiques comme pouvoirs) de chaque équipier. Sachant que vous ne les remplirez jamais tous à la première partie, il va falloir bien décider ce que vous comptez privilégier. Pour vous donner encore d'autres avantages, vous pourrez user des Oculi, pierres précieuses qu'on jurerait tirées de Diablo. Rubis, émeraudes, saphirs peuvent être enchâssés sur arme, bouclier et collier pour des bonus (attaques plus puissantes et ciblants plus d'ennemis, pour l'attaque, la défense, les statuts, le soin, la magie de feu, d'eau ou de foudre) de bon aloi, et se voire associés, par trois, pour obtenir des versions plus balaises ou des croisements (tourmaline, citrine...) aux effets toujours utiles.

La balade des gens heureux

Reste la grande question de la durée de vie. Oui, certains risquent de ne pas apprécier de terminer à 100% un jeu de cet acabit en 10-12 heures. Mais davantage n'aurait-il pas été trop ? L'histoire est développée convenablement, se vit sur un rythme agréable, les mécaniques se répétant, on évite le moment où ça risque de se voir réellement. Même avec un New Game + et un second mode de difficulté, cela pourra sembler peu. Mais à un prix assez dérisoire au vu du soin apporté (14,99 euros en simple téléchargement, 19,99 si vous craquez pour l'édition collector qui, en plus du code pour le download vous file un perso + un costume et, dans sa boîte, abrite un artbook, un porte-clé et un poster dessiné par Yoshitaka Amano), doit-on se permettre de désosser Child of Light comme on teste une bagnole ? Ou peut-on se contenter d'apprécier la qualité phénoménale de l'expérience proposée, la facilité avec laquelle on rentre dans ce joli conte numérique, le fait qu'il s'agisse d'un met raffiné et rafraîchissant ? Je pencherai pour la seconde option. Na.

A l'heure où l'on se plaint : "les jeux sont tous les mêmes !"
Comment ne pas craquer pour ce joli poème ?
Ce RPG touchant qui ravit yeux, oreilles
Est à tous les niveaux, une petite merveille
A moins d'être insensible ou hermétique au style
Vous tomberez assurément sous le charme
Sentirez monter l'envie de faire des rimes habiles
Bref, cet enfant de lumière vous fera rendre les armes.