Ceci est la seconde partie de mes réflexions sur Bioshock Infinite. Je vous renvoie à la première partie qui s'attarde sur la direction esthétique et le rapport entre Bioshock et Infinite. Je vous rappelle également que c'est SPOILER ALL THE WAY. Vous êtes prévenus.

 

JE NE CRAINS PAS DIEU, JE TE CRAINS TOI.

Bioshock Infinite repose sur deux piliers comme Bioshock mais la combinaison n'est pas la même. Le premier, c'est son background qui tourne autour d'un certain régime politique et de certains idéaux. Le second, c'est le concept de multivers et tout ce qui tourne autour du Chat de Schrödinger. Je ne me lancerais pas dans des explications détaillées de ce que renferme la physique quantique : allez pleurer chez Japman pour avoir plus de détails, je ne dirais pour ma part que des approximations. On a donc ainsi un décors avec ses lois politiques et sociales et ses lois scientifiques, physiques, voire métaphysiques. Tout le scénario de Infinite est donc coincé entre les deux.

Tout va bien à Columbia...

D'un côté on est là pour un objectif simple : « Récupérez la fille et on effacera la dette ». On avance dans un cadre où l'abolition de l'esclavage est considéré comme un acte hérétique et la rébellion comme un pêché. On observe la ville par couche, de la plus aisée à la plus pauvre et bien entendu, de la plus endoctrinée à la plus prompt à tout renverser. Cet aspect dystopique là est somme toute classique. Les amateurs de science-fiction n'y trouveront pas de nouveauté si ce n'est évidemment la direction artistique (ce qui est non négligeable). Je regrette simplement que le tout soit un peu téléphoné et que l'on devine au moment où l'on apprend son existence que cette chère Fitzroy, meneuse de la rébellion Vox Populi, ne vaut pas mieux que le Prophète Comstock. Toujours est-il que pour moi, ça fonctionne toujours très bien, d'autant plus que ce volet prend encore une fois le contre-pied de son pendant sous-marin. Au lieu d'arriver avec la ville en ruine, nous arrivons lorsque tout semble aller. La première heure du jeu est à ce titre vraiment bluffante puisque l'on se contente de se balader, de flâner à la fête foraine et de se demander « y a-t-il vraiment un problème ? ».

Les secrets sont cachés sous vos yeux.

De l'autre côté, le scénario, l'histoire à proprement parler est un peu plus sujette à discussion. On interprète Booker Dewitt, envoyé vers Columbia pour ramener Elizabeth sur le plancher des vaches. Le jeu met au départ l'accent sur une mise en énigme classique. Qui est Elizabeth ? Pourquoi est-elle gardée ainsi dans une tour ? Est-ce un moineau dans cette cage ou un aigle ? Plus le jeu avance et plus il est sous-entendu qu'elle n'est pas protégé de quelque chose, mais qu'on protège quelque chose d'elle. Cependant en parallèle de ce problème qui nous occupe l'esprit tout le temps, on a par touches des apparitions de deux compères qui parlent par énigmes et qui rappelle un autre chat celui de Cheshire. Dès leur première apparition, il y a possibilité de comprendre autour de quoi va tourner le scénario. Seulement pour le savoir...il faut recommencer l'introduction.

 

PILE OU FACE ?

En effet, la première rencontre avec les Lutèce se fait au moment d'arriver vers la tombola. On vient de prendre possession d'une machine (et d'utiliser son premier pouvoir au passage) et voilà que se tiennent devant nous deux personnages. L'un porte un tableau noir tel un homme-sandwich et l'autre une petite assiette avec une pièce. Ils demandent à Booker de choisir pile ou face. Et là, si vous n'avez pas recommencé le jeu comme j'ai du le faire (à cause d'une sauvegarde malencontreusement écrasée) vous ne saurez pas que Booker peut répondre pile comme face. C'est la base de la véritable intrigue de Infinite. Cachée sous une énigme plus simple et plus à taille humaine (qui est Elizabeth ?) il y a en fait toute une réflexion sur les choix multiples et les réalités parallèles. L'idée du jeu est de dire, qu'à partir du moment où l'on fait un choix, où l'on subit une action, il existera un monde parallèle avec les mêmes choix passés mais aussi avec une déviation au choix que l'on vient de faire. Il y a donc une infinité d'univers parallèles puisque cette règle s'applique à tous les moments de la vie. Vous noterez au passage pourquoi Bioshock 3 s'appelle INFINITE.

Avec cette idée, Ken Levine et ses équipes travaillent habilement sur l'intégration des règles du jeu vidéo dans l'univers scénaristique. Je l'ai déjà évoqué mais la force du premier c'était ce moment où l'on réalise que le dirigisme du jeu est part entière de l'idée de libre arbitre et que le non-choix est du à un stimuli intériorisé par le héros du jeu et le joueur. À chaque « je vous pris » de la part de Atlas/Fontaine, le héros, Jack se doit d'obéir. Comme par hasard, le joueur aussi (sinon il reste sur place à ne rien faire). Pour le cas d'Infinite, la conception des états multiples permet de parler deux aspects du jeu vidéo : le game-over et les choix moraux.

Les portes sont synonymes de croisée des chemins dans Bioshock Infinite. Quand on passe celle-ci en particulier, on ouvre un tout nouvel univers pour Booker...un dans lequel il voit la suite de l'histoire.

Le game-over parce que le jeu peut justifier ainsi chaque retour du héros lors d'un décès où Elizabeth ne le remet pas sur pied. En réalité, il ne revient pas, il est mort pour de bon, mais dans un univers où c'est cette issue qui existe. La chance qu'a le joueur, c'est qu'il passe d'un univers à un autre. Ainsi il réapparaît immédiatement, transposé avant cette fourche où soit il meurt, soit il vit. Il tient alors au joueur de confirmer au jeu qu'il est dans une réalité où le héros ne meurt pas à ce moment là. Ce que je trouve malgré tout dommage, c'est que le titre ne force pas un peu plus sur cet aspect qui reste assez anecdotique alors qu'il s'intègre parfaitement dans la logique multivers du jeu. Je ne serais même pas surpris que cette explication du game-over ne soit absolument pas officielle. Le fait que l'on perde de l'argent et que le reste du temps, Elizabeth nous fasse revivre avec une piqûre et non pas en utilisant son pouvoir de traverser les failles, laissent à penser que cela reste de l'ordre de l'anecdotique.

En revanche, sur les choix moraux dans le jeu vidéo, il est très clair que Infinite a son mot à dire. La plupart du temps lorsqu'un joueur est exposé à un choix moral (binaire) dans un jeu, il va choisir le choix moralement le plus rentable au yeux de la société à savoir la gentillesse, la bienveillance et la courtoisie. Molyneux en avait parlé à la suite de Fable II : sur un premier run, 95% des joueurs choisissent d'être gentil du début à la fin. 4% choisissent d'être méchant au début et se rabattent de l'autre côté en cours de route et seulement 1% décide de faire le mal du début à la fin. C'est ce qui avait amené le game-designer anglais à intégrer des choix plus limites ou roublards dans ce Fable II.

Le problème, c'est que le joueur ne fera pas les même choix sur son second run ou pire encore, il fera une sauvegarde juste avant un choix pour pouvoir tester les deux ou trois possibilités qui lui sont proposées. Il fera des itérations de sa propre partie pour décider celle qu'il lui plaît vraiment en fonction de ce que cela lui rapporte. Dans le premier Bioshock, pratiquement tout le monde a tué une petite sœur, juste pour voir ce que cela rapportait par rapport au fait de ne pas la tuer, même si cela allait à l'encontre de sa propre morale. Cela avait d'ailleurs été pris en considération dans le jeu puisqu'il était autorisé d'avoir la « bonne fin » en ayant tué une petite sœur.

Quel que soit votre choix, l'autre existera...

Infinite détruit la possibilité technique de fabriquer une seconde itération du jeu. Sur console en tout cas, il est impossible de sauvegarder manuellement, ce qui au passage est particulièrement mal venu quand certains check-point sont éloignés. En revanche, il intègre tous les autres runs que fera le joueur à son univers. Les choix moraux et de combat que propose le jeu ne sont ainsi pas en opposition avec le personnage de Booker. Il y a une infinité de Booker qui choisiront tantôt de balancer la balle sur la tronche du couple au début du jeu, tantôt de l'envoyer sur le présentateur.

Malgré une certaine opacité de l'explication finale, ce parti pris est clairement mis en avant par le jeu. On nous montre un univers où Booker accepte le baptême et quelques minutes plus tard, un univers où il le refuse. C'est d'ailleurs l'une des clés de son identité. L'idée est de bien faire comprendre au joueur qu'un univers différent peut avoir le même décors et les mêmes personnages et que simplement avec un changement de choix de l'un de ces personnages, on créé automatiquement deux réalités qui existent chacune de leur côté.

On est toujours à un geste d'être quelqu'un d'autre.

 

MOI ET LE RESTE DU MONDE...

Autre interprétation possible qui viendrait s'y ajouter : la rencontre de Booker et Elizabeth avec leurs multiples doubles dans la zone de transition tend à placer le joueur parmi l'ensemble des autres joueurs. En effet si on considère que le joueur joue sa première partie, et que chaque mort est une mort définitive d'un Booker dans un univers, il n'y aurait aucune raison que lorsqu'il arrive pour la première fois dans ce monde transitoire où se situe toutes les portes (le fameux océan où se dressent une infinité de phare) il retrouve d'autres Booker qu'il n'a pas joué. Ma vision de la chose est donc que les autres Booker, accompagnés des autres Elizabeth sont la représentation de tous les autres joueurs qui, chacun dans leur univers forment une couche du multivers global qu'est Bioshock Infinite. Ce que j'aime beaucoup avec cette interprétation (qu'on pourra trouver, comme toute interprétation, capilotractée) c'est qu'elle reste dans l'idée de Bioshock premier du nom ou d'un Metal Gear Solid, mais à une échelle supérieure. On ne fait pas simplement du joueur un être du jeu. On fait de lui un être parmi d'autres du jeu.

Le joueur est mis face à l'impossibilité d'être le seul héros. Quoi qu'il arrive, il ne sera qu'un joueur parmi tous ceux qui ont relevé le défi de finir le jeu.

Après cet ensemble d'interprétations qui valent ce qu'elles valent, je vous proposerais une dernière partie sous peu qui concernera les personnages de Booker et Elizabeth et qui sera intitulée Qui est Elizabeth ? Qui sont Booker ? En attendant, je vous renvoie chaudement à cet article de MajorBob qui revient déjà sur ce que vais expliquer également dans cette dernière partie.

Je mettrais à jour cet article pour que vous puissiez cliquer sur l'image en dessous pour accéder à la suite.