Bioshock Infinite est un gros morceau de cette année, c'est indéniable. Initialement, j'avais prévu les choses ainsi:

1 - Un article à chaud sur mes sensations quant à la fin du jeu. Je comptais y parler de tout ce que j'avais ressenti sur le jeu, rapidement après l'avoir fini, histoire de ne pas me censurer ou oublier des détails, quitte à mélanger de la critique et de l'interprétation scénaristique.

2- Un test du jeu. L'exercice classique.

3- Un article de philosophie politique pour mobiliser un peu de Hannah Arendt sur les sociétés décrites par Bioshock et Bioshock Infinite.

Il se trouve qu'hier, j'ai écrit pendant près de 3 heures ce qui me venait à l'esprit sur le jeu, à chaud donc et que la longueur du texte aurait été beaucoup trop indigeste pour en faire un article d'un seul tenant (je veux dire beaucoup plus indigeste que ce que je propose d'habitude). En conséquence, je vais diviser ce premier article en deux parties et il est probable que je ne fasse pas de test du jeu en bonne et due forme. Je mets donc tous mes articles sous la rubrique "Dossiers" de mon blog, mais il n'y a aucune véléité de ma part de tout traiter. Quoi qu'il en soit, je démarre donc avec cette partie 1 intitulée Darkest Night / Brightest Day et je posterais sûrement un article "hub" pour avoir accès à ce tout ce que j'ai ou vais écrire sur Bioshock Infinite.

 

L'article contient de nombreux spoilers sur Bioshock et Bioshock Infinite.

Voilà, voilà. J'ai fini Bioshock Infinite depuis quelques minutes. Si j'avais un miroir devant moi, il est fort probable que je pourrais constater une expression, assez fortement marquée, de circonspection devant ce que je viens de vivre. Je vais essayer de rendre compte d'un ensemble de choses qui n'ont pas forcément beaucoup de rapport entre elles et le tout à chaud. Un peu comme je l'avais fait avec le premier article de mon dossier avorté sur Mass Effect (dossier qui renaîtra un jour, j'en ai fait le serment).

Bioshock: le gentilhomme en guenilles

Le premier Bioshock pour moi, c'était un peu le gentilhomme en guenilles ou le rustre fort bien vêtu. Il y avait une part d'élégance, avec ce monde bloqué dans les années 50, ce scénario qui utilisait la coercition du game-design dirigiste basique pour provoquer un cassage de quatrième mur assez saisissant et le tout qui reposait sur une dystopie interrogeant le libéralisme extrême (mais pas trop). Bref beaucoup de mots inutilement pompeux pour dire que ce titre avait une forme particulièrement soignée et dépassant de très loin ses congénères dans le genre encombré du FPS ; ce dépassement ne tenant bien sûr pas simplement au fait que le reste de la production de FPS était et est toujours d'une débilité sans nom.

De l'autre côté, il avait cet aspect beauf et bourru du FPS justement. Même s'il parvenait à se démarquer par quelques temps morts plus réflexifs (dans le sens tactique comme scénaristique) il demeurait d'une brutalité sans nom qui faisait dire assez justement à Anthony Burch dans un épisode des excellents RevRant : « What does it say about our medium ? That one of our most treasured games is still about killing people in really, really inventive ways ? ». Bioshock avait clairement cette ambition d'être autre chose et dans une certaine mesure, il y parvenait, par quelques moments de génie absolu où sa violence servait réellement le propos. Je pense notamment à la confection d'une œuvre macabre pour Sander Cohen ou bien entendu au retournement scénaristique concernant Andrew Ryan. Au final pourtant, il reste un jeu bipolaire. À la fois FPS assez bien pensé en terme de mécanique mais provoquant la bien trop habituelle satisfaction de tuer tout ce qui bouge ; à la fois jeu à histoire et contexte fouillé qui use habilement de symbolisme pour intégrer sa ''faiblesse'' de level-design dans l'histoire vécue par le joueur. Bioshock c'est donc l'un des rares jeux dont j'aime les bouts séparément mais pas ensemble. C'est le jeu que j'aime malgré son gameplay, dans le sens où celui-ci a beau se tenir, j'aurais préféré jouer à autre chose pour que l'on me raconte l'histoire.

La conséquence de ce qui m'apparaît comme une malencontreuse schizophrénie, c'est que je n'attendais pas Bioshock Infinite outre mesure. J'étais très curieux de voir ce que pouvait proposer la bande à Ken Levine sur le plan artistique, mais le fait d'avoir affaire encore une fois à un FPS finalement assez bas du front, en terme d'objectifs concrets, ne m'emballait pas. Maintenant que je suis arrivé au bout, je peux d'ores et déjà dire qu'il me laissera le même arrière goût amer que son aîné. Ambitieux sur la forme narrative, mais dans le fond du gameplay tellement peu réfléchi. Certes ce Bioshock ménage plus de plages détentes, de moments contemplatifs, mais à l'arrivée, on joue à un FPS. Un FPS avec ses originalités diverses que je prendrais peut-être le temps de développer en Test, mais un FPS quand même. C'est usant...

Du coup, si j'ai apprécié les mécaniques de jeu, globalement, malgré de terribles séquences calibrées par des singes (tiens je vais mettre 50 ennemis et toi tu dois défendre ce truc. GLHF bitch) ce que je veux retenir de ce Bioshock Infinite, c'est ce qui va autour.

 

BIOSHOCK : THE DARKEST NIGHT / INFINITE : THE BRIGHTEST DAY

Je ne sais pas ce qu'il en était réellement de la volonté de faire un jeu avec la philosophie Bioshock ou non au début du projet, mais une chose est certaine, Infinite transpire l'antithèse de son grand frère. Rapture était une ville sous-marine et cachée, construite dans le but de se couper du monde extérieur pas assez libéral pour l'ambitieuse science rêvée par Andrew Ryan. Columbia est une citée aérienne dont le prophète Comstock s'est emparé pour la soumettre à un régime autoritaire, voir dictatorial (j'y reviendrais dans un article dédié) visant la contingence de toute forme de déviance à un idéal dogmatique, en l'occurrence religieux et raciste. Andrew Ryan échoue parce qu'il surestime la capacité de l'homme à s'adapter à la liberté totale. Comstock échoue parce qu'il sous-estime la capacité de l'homme à se rebeller. Bioshock est sombre et désaturé. Bioshock Infinite est lumineux et coloré. La somme d'opposition ne s'arrête pas là et mon idée n'est pas de recenser chaque aspect de Columbia qui renvoi directement ou indirectement à Rapture. L'idée est plus de dire que le lien de parenté est évident et que malheureusement, la comparaison sera inévitable. Veuillez m'excuser par avance d'en abuser.

Maintenant, reste à savoir si Infinite réussi là où son aîné restait justement dans les mémoires. Est-ce que la direction esthétique, musicale et scénaristique pousse Infinite au point que j'oublie, partiellement, que c'est un FPS bas du front ?

Visuellement, Columbia est d'une beauté à couper le souffle. L'architecture américaine du début du 19ème siècle fait déjà en elle-même une part du travail. Le fait qu'elle soit suspendue dans les airs aide encore l'entreprise. Cependant la vraie cerise sur le gâteau, ce qui flatte l'œil plus que l'usage et abus des fameux god-ray (les effets du Soleil filtré par les nuages) c'est la gamme colorimétrique qui fait plaisir à voir. Bioshock Infinite est saisissant parce qu'il nous remet enfin des couleurs chaudes et froides joliment mélangées. Malgré le contexte du jeu qui fera que l'émerveillement du départ trouvera une certaine extinction en même temps que la beauté de la ville, les designers parviendront à mettre un dernier petit coup dans les mirettes lors de son dénouement final. À vrai dire, bien plus que Bioshock, qui était surtout iconique par son élégance, Bioshock Infinite est un jeu qui veut être iconique de A à Z. Ce que j'entends par iconique, c'est créer des moments, visuels ou sonores, qui marqueront comme un tableau, comme une icone.

 

Comme Marston qui chevauche au Soleil couchant au départ de Red Dead Redemption. Comme Althaïr qui surplombe Jerusalem lors de la première cavalcade de Assassin's Creed. Comme Solid Snake qui atterri au ralenti sur un tanker dans Metal Gear Solid 2. Comme l'arrivée au phare, après le crash d'avion dans Bioshock. Bioshock Infinite suinte cette ambition d'être marquant visuellement, mais du début à la fin et pas seulement par touches. En un sens, il y parvient, notamment avec son introduction qui arrive à surpasser celle du premier (ce qui n'était pas chose aisée). D'un autre côté, je n'ai pu m'empêcher de ressentir un certain effet de trop plein parfois. Non pas que le jeu soit outrageusement grandiloquent. Il l'est, grandiloquent, mais c'est en adéquation avec son propos et l'état d'esprit dans lequel baigne cette ville supposément élevée moralement et spirituellement par rapport à la Sodome inférieure, les États-Unis en 1912. En revanche quelques passages, magnifiques sur le stricte plan artistique, auraient sans doute mérité de ne pas être dans le jeu parce qu'ils ne font que délayer la sauce. Ça je vais y revenir.

Autre point qui ne concerne pas simplement l'architecture, il m'a semblé que l'opposition au joueur n'était pas très charismatique. Les ennemis de base n'ont jamais l'aspect malsain et presque effrayant des chrosomes et pour cause, on attaque la plupart du temps des gens relativement sains mentalement donc des ennemis assez lambda dans le domaine vidéoludique ; les forces de l'ordre ou les rebelles. La vraie déception reste pour moi la partie machine du bestiaire. Visuellement, on a encore une fois rien à redire de particulier. Le design des Handyman par exemple est franchement réussi (dans l'absolu, je le trouve même plus réussis que les Big Daddy). Par contre, ils n'ont aucun intérêt particulier sur le plan ludique, si ce n'est être des sacs de HP et de gros DPS, si vous me passez les expressions du e-sport. Surtout, ils n'ont aucun rapport avec la trame principale à proprement parler et sont plus là pour des questions de background général. Les Big Daddy était dans le cœur de l'intrigue de Fontaine dans Bioshock. Les Handyman ou ''Mecha-Lincoln'' sont plus là pour être là qu'autre chose.

En plus de n'être pas particulièrement agréable à combattre (ils allient trop de force, de vitesse et de vie d'un coup) les Handyman ne sont jamais vraiment explicité dans le jeu et n'ont pas de rôle particulier comme pouvait en avoir les Big Daddy.

En revanche, Songbird est vraiment l'enigmatique et charismatique machine qu'on pouvait attendre. Un excellent design et une excellente implémentation dans l'histoire. C'est un peu dommage qu'il soit le seul à avoir autant de gueule.

Pour rester sur l'enrobage, musicalement, Gary Schyman est très propre. Cependant, la partition pâti vraiment de la comparaison avec celle de Bioshock. Ne sachant pas très bien se situer entre la reprise ''hommage'' et l'invention propre à ce nouvel univers, le résultat est très bon mais pas marquant. Pour moi, il a le même souci que Assassin's Creed III ou Hitman Absolution ; les partitions sont bonnes, mais rares sont les morceaux à ne pas rappeler autre chose. Seul le début se démarque avec sa douceur vocale religieuse.

Une fois tout cela dégagé, il me reste à aborder le scénario et c'est là que je vous demande de bien prendre en considération le fait que je ne l'ai pas encore laissé décanté, mais que j'ai choisi d'en parler immédiatement, histoire que l'on puisse justement en débattre. Je vous invite à suivre le reste de ma pensée dans l'article suivant intitulé Rêve Quantique.

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