L'homme est une créature sociable. Terriblement sociable. Nous nous épanouissons dans l'échange, la communication, le partage d'opinion. Mais aussi et surtout, nous aimons les potins, les ragots et les rumeurs, tentés que nous sommes de nous appuyer sur des informations de seconde, voire de troisième main.

Et en matière de jeux vidéo, cela peut déboucher sur des situations sincèrement tragi-comiques : vous comme moi en avons tous fait l'expérience, je veux parler des trolls qui aiment à parler d'un jeu sans y avoir jamais joué. C'est compréhensible : nous sommes des passionnés, enthousiasmés par le medium, et comme nous n'avons pas accès aux jeux en tant que tels avant leur sortie, nous en venons parfois à être mal informés. Nous ne pouvons alors nous appuyer que sur ce que les autres nous disent.

Quitte à devenir des monstres sociopathes. Laissez-moi vous expliquer.

Il ne suffit pas de voir pour croire !

La grande majorité des passionnés de jeux vidéo ne fait pas partie de la presse professionnelle. C'est un fait. Il est alors inévitable que nous nous abattions tels des vautours sur la moindre information disponible et fournie par cette dernière.

Ainsi, par le biais de la presse et des medias, nous "voyons" le jeu, mais cela suffit-il pour pouvoir émettre une opinion pertinente sur ce dernier ? Eh bien non. Dans le cas des jeux vidéo, voir ne suffit pas pour croire. En fait, dans le jeu vidéo : il faut jouer pour y croire.

Le marché du jeu vidéo a profondément changé depuis l'avènement d'Internet. Avant qu'il y ait le Web, les magazines - et quelques très rares émissions de télé - étaient la seule porte dont nous disposions pour obtenir des informations sur la scène du gaming. Les derniers tests de jeux, les prochains titres à venir, etc., tout cela était contenu, maîtrisé.

A présent avec le Net, toute l'information que vous souhaitiez sur les jeux vidéo n'est qu'à quelques clics de distance. Ainsi, avec la multiplication des sources d'information, vous êtes très facilement tenté de croire que vous savez déjà tout sur tout à propos de tel ou tel jeu, avant même sa sortie. Vous n'avez jamais joué au jeu en question, mais avec la quantité de petites infos parcellaires que vous avez glanées ici et là, vous pouvez vous sentir dans votre bon droit en assénant votre vérité - que cela soit "Ce jeu est génial" ou "Ce jeu est une merde" !

Vous devenez alors le genre de fan horripilant que nous détestons tous lire.

Bien évidemment, les éditeurs et les studios de développement ont vite compris l'émergence de ce nouveau type de public et essaient de le maîtriser tant bien que mal via leur politique de communication en livrant, plus ou moins au compte-goutte, force interviews, trailers, screenshots, etc., sans se douter que cela ne fera que nourrir encore plus les fans avides, augmentant alors d'autant les chances qu'ils en viennent à se forger une image fausse de ce qu'est réellement le jeu.

"Je le savais !"

Voilà, ça fait des mois que vous vous informez sur un jeu, des mois que vous savez qu'il sera génial ou nul, et vous avez l'intention de prouver au monde entier que vous aviez raison. Parce que vous ne pouviez qu'avoir raison.

Lorsqu'approche enfin la date de sortie et qu'arrivent les multiples tests du jeu, vous pouvez enfin sortir votre opinion du placard, qu'elle soit idolâtre ou haineuse, pour l'asséner sur toutes les plateformes de communication à votre portée. Vous pensez que vous en avez largement assez vu à présent pour valider votre propre opinion, et vous vous lancez dans une véritable opération de propagande - et ce sans même avoir la moindre preuve concrète.

C'est là, à ce moment précis, que vous devenez un troll. Votre objectif devient alors une obsession : descendre un jeu ou bien le mettre sur un piédestal, sans avoir la moindre connaissance de la vérité. Nous avons tous été victime de ce processus (oui, même toi là-bas qui te cache au fond !), et il faut l'avouer, le trollage peut être une activité des plus divertissantes - du moins, en tant qu'expérience psychologique - parce que nous avons tous envie de paraître intelligent/érudit/cultivé et être considéré comme une référence, le pourvoyeur de toute connaissance en matière de jeu.

L'orgueil est péché né de la connaissance...

Et en plus, il faut vous presser car vous devez absolument marquer votre existence avant la fin du premier mois de vie du jeu - moment où il sombrera dans l'oubli.

Dès lors, au moment où sort le jeu et que les tests commencent à être publiés, on observe toute une tripotée d'individus qui commencent soudainement à se gausser : ils "savaient" comment le jeu allait se porter, ils sont vraiment trop forts. "Ouais, je savais que Final Fantasy XIII serait nul : pas de villages, trop linéaire... mais à quoi pensaient les développeurs ?" Ou encore "Mais bien sûr que je savais que Mass Effect 2 serait géniaaaaaal ! Ils ont juste enlevé tout ce qui ne plaisait pas dans le premier opus et voilà, c'était vraiment pas compliqué !" Pire encore, si vous vous intéressez à la scène des MMORPGs : le moindre forum est un véritable nid à spéculateurs prêts à déchaîner les enfers une fois le jeu sorti : "Funcom, ils ont *encore* raté la sortie de leur jeu - on avait l'habitude !", "Mythic, tu nous as menti ! Où sont les autres capitales ?!" Blablablah, etc.

Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais moi quand je lis des commentaires comme ça, je me dis qu'il y a de bonnes claques qui se perdent.

C'est là tout le problème de la profusion de l'information sur Internet : moins d'impressions de première main et énormément plus de spéculations plus ou moins futiles. Quand vous en venez à vous fiez à un site d'analyse pour appuyer vos arguments, vous savez qu'il y a quelque chose qui cloche - peu importe la fiabilité des sources de ce site. Après tout, vous avez déjà lu tout ce qu'il y avait de disponible sur le jeu, vous pensez bien que vous vous y connaissez !

Les habits neufs de l'empereur

Pour rappeler ce que je disais au début de ma diatribe, les jeux vidéo sont un genre de divertissement particulier : ils sont interactifs. Heureusement pour vous, aucun test ou vidéo du jeu ne pourra vous dire la façon dont le jeu vous fera réagir une fois entre vos mains, ni comment votre cerveau interprètera le contenu fourni. Peu importe la quantité de discussion que vous aurez passé sur tels et tels forums à spéculer sur le jeu, rien de tout cela n'équivaudra à une véritable expérience du jeu en tant que telle.

Malheureusement, il est impossible de convaincre des sceptiques qu'un jeu est bien ou pas sans devoir leur fournir carrément le jeu vous-même. Vous pourriez dire "Heavy rain suscite des émotions très fortes pour un jeu ! Trop fou !" mais cela ne servira à rien face au sceptique qui n'y a pas touché et qui a déjà décrété que le jeu serait "nul". Par ailleurs, ce qui pourrait vous impressionner au sujet d'un jeu pourra très bien laisser un autre complètement indifférent, ou être détesté par un autre.

Franchement, qui ici n'a jamais eu envie de ridiculiser pour de bon tous ces trolls et fanboyz pour s'être trompés sur la qualité de tel ou tel jeu ? Qui veut montrer à la face du monde à quel point ces spéculateurs à ragots sont les sombres crétins qu'ils paraissaient une fois le jeu sorti ? Qui veut les voir finir tel l'empereur dans ses nouveaux habits, nu comme un ver face à la foule hilare ?*

Moi.

Bon, que faudra-t-il retenir de cet article ? Quel infime parcelle de sagesse aurais-pu partager avec vous ? Formuler votre propre opinion, en essayant vous même le jeu ? Ce serait déjà un bon début.

Et n'oubliez pas, si vous rencontrez un cinglé qui commence à complètement délirer à propos d'un jeu, que ce soit sur Internet ou ailleurs, dites-lui de ma part :

Est-ce que tu y as joué ? Alors ta gueule.

* Un bon point pour celui qui trouve la référence.