Pour celles et ceux qui ne sont pas familiers de la série et de son protagoniste Travis Touchdown, on peut se permettre un raccourci pour présenter l'ensemble. En particulier avec cette épisode qui s'amuse et s'inspire de la popularité des super-héros. Travis est un peu le Deadpool du jeu vidéo. C'est un assassin, il est à la fois ridicule et redoutable avec sa lame électrique léthale mais à recharger avec un mouvement suggestif du poignet.

Il brise régulièrement le quatrième mur comme le cou de ses adversaires avec une souplesse à la Tiger Mask, les défiant aux chaises musicales ou en se transformant en héros de tokusatsu. Dans ce nouvel épisode, la menace vient de l'espace. Prince FU, le boss d'aliens connus aux quatre coins de la galaxie pour être les meilleurs des mauvais, prendra le contrôle de la Terre si personne ne vient les faire chuter de leur place au top 10 du "classement galactique des super-héros". De retour à Santa Destroy après un exil qu'il s'était imposé, Travis l'assassin devient malgré lui le héros de l'humanité, lancé dans la bagarre pour remuer les charts et prendre la place de number one.

"Ah shit, here we go again."

Ce contexte, cette galerie de personnages, c'est bien sûr l'une des grandes forces de No More Heroes III . Surtout quand cette bande de vilains est présentée sous forme de figurines, avec des designs et des noms tous plus cools les uns que les autres. Comme dans les précédents jeux, les influences sont évidentes dès lors qu'on est passionné de Star Wars, de Gundam, de Kamen Rider, de catch, d'Akira, de Cobra, de cinéma d'exploitation ou de celui de Takashi Miike. Bref, tout ce qui est culturellement fondateur pour beaucoup de monde né il y a entre trente et quarante ans. C'est pour ça parfois que Goichi Suda est comparé à Quentin Tarantino : les références sont séminales, l'humour aussi décomplexé que l'esthétisation de la violence. Les pixels se mélangent aux gerbes de sang, dans une variété de styles et d'effets aussi déconcertants qu'enthousiasmants, en particulier pour celles et ceux qui auraient pour la première fois le plaisir de découvrir l'audace et l'humour qu'a Suda de tout mélanger, de les perdre pour mieux les surprendre. Cet esprit punk qui s'affranchit de ce qu'on imagine d'un jeu vidéo pour embrasser la radicalité d'une personnalité, d'une identité toujours surprenante, si bien que l'on veut toujours un peu plus continuer sa partie pour découvrir quelle nouvelle excentricité nous est réservée, à travers des cinématiques, des mises en scènes aussi loufoques que soignées, stylisées, évocatrices. Et c'est peu dire que c'est du point de vue des styles visuels multiples, de l'expérience bizarre et iconoclaste qu'on nous transporte d'abord essentiellement, des phases d'action ensuite, jouissives dès lors qu'on les maîtrise. Car on peut tout aussi affirmer sans problème qu'avant d'être embarqué, ou plutôt de s'y résoudre, il faut aussi se prendre dans la tronche, une réalisation archaïque qui laissera sans aucun doute bien des curieux sur le pas de la porte.

FUUUUUUUUUUUUUUUUU

C'était déjà les mêmes reproches pour les deux jeux précédents sortis sur Nintendo Wii : bien que détonants, originaux et fous dans leur concept, leur ton et leur direction artistique, la prise en main souvent et la technique tout le temps, n'étaient pas au niveau de la personnalité de l'ensemble. Ce qu'on pouvait alors pardonner, car des titres allumés comme No More Heroes ne couraient pas non plus les rues alors, en particulier sur la très familiale Wii. Et puis parce qu'aussi dans l'ambiance générale de l'oeuvre, foutraque et punk, ça collait finalement à l'esprit un peu trollesque de l'ensemble. Mais depuis, une dizaine d'années est passée, tout comme d'innombrables jeux indés (après lesquels semblait courir Suda dans Travis Strikes Again) et qui ont réussi, avec des budgets plus ou moins épais, à concilier le fond et la forme. Certes, la Switch est une console limitée techniquement par rapport à la concurrence, comme l'était la Wii à l'époque. Mais là, l'argument pour dédouaner le titre sur cet aspect ne tient plus.

L'optimisation inexistante et l'aspect graphique calamiteux des phases en moto (oui, la moto est de retour, modèle Kaneda cette fois) est simplement hallucinante pour un titre proposé en 2021. Et surtout, on a l'impression qu'il donne le bâton pour se faire battre. Que les différentes zones de l'univers de No More Heroes soient épurées, stylisées à l'extrême simplicité car limitées par la technique, certes. Mais là, de piteux PNJ inutiles et tous semblables sont placés dans ces zones vides, comme trois véhicules et demi qui disparaissent tristement quand on les touche, ce qui arrive souvent, car la fière moto de Travis a tout du char d'assaut dans son maniement. Les décors misérablement vides apparaissent par un clipping et un brouillard d'une autre époque, ça rame fort, et on évitera de faire des captures d'écran pendant les cinématiques ou même les phases de jeu au risque de perdre la synchronisation sonore ou d'avoir d'autres soucis. De plus, beaucoup de choix de game design interrogent : pourquoi proposer un chemin, un escalier, une porte ouverte dans un bâtiment pour finalement se cogner dans un mur invisible ? La liberté toute relative des phases d'exploration permet peut-être d'éviter la linéarité du second volet, mais sur ce point, le titre est stupéfiant tant il ne semble pas au point. Encore une fois, ce n'est pas tellement différent des problèmes des premiers jeux, mais 10 ans après, impossible cette fois de dédouaner sur cet aspect. Le style ne suffit plus.

Ichiban killer

Et du style, heureusement, Travis n'en manque pas face aux sbires ou aux boss. Certes se retrouver dans des zones limitées, quasiment identiques pour défaire régulièrement trois sous-fifres relève des problèmes précédemment cités : à part la mise en scène déjantée des affrontements face à l'équipe de bad boys venus du cosmos, l'ensemble manque d'ampleur. Mais en conservant le Death Glove du spin-off de 2019, les affrontements gagnent en intensité, en complexité, disons, tactique. Et Joy-Cons en main, c'est un vrai plaisir de trancher, d'esquiver, d'utiliser les pouvoirs offerts par ce gant et les puces qu'on peut y associer, après les avoir créées. La réalisation est bien moins archaïque dans ces phases où l'on incarne Travis sur la terre ferme ou dans l'espace, alors transformé en metal hero, même si ces dernières sont souvent pénibles dans leur prise en mains. Si au départ, à la manière de plein d'éléments du jeu, beaucoup de choses paraissent cryptiques, on prend vraiment son pied à maîtriser la fureur de Travis au fur et à mesure et à comprendre comment on enchaîne les combos, les prises, les gains d'invincibilité ou du mode "Mustang", dans laquelle l'action devient alors démentielle. Souvent fouillie, aussi. Car en permanence, on s'interroge sur ce que le gameplay, la réalisation technique va nous mettre comme bâton dans les roues pour que tout ne réponde pas au doigt et à l'oeil ou qu'on suspecte la technique pour nos propres erreurs présumées. Et pour ce genre de jeu qu'est No More Heroes III, on pense forcément à des productions pleinement optimisée, à l'image de celles de PlatinumGames, dont l'action débridée ne semble pas souffrir des mêmes problèmes. Mais au final, la satisfaction d'atomiser avec style les ennemis prend tout de même le dessus, d'autant plus évidemment pour celles et ceux qui de base sont sensibles à la personnalité punk, référencée et iconoclaste de la série, qui le sauve de ses écueils car on a toujours envie de voir quelle dinguerie nous attend après, aussi pénible soit le chemin qui y mène.