Dans son préambule, Lost Words nous présente le personnage d'Izzy, petite fille malicieuse et très attachée à sa grand-mère. Son compagnon de tous les jours ? Son journal intime, qui lui sert d'exutoire et de support idéal à son imagination.

Des mots pour soigner les maux

La nature proprement narrative du jeu est évidente dès les premiers instants de l'aventure puisqu'une partie de l'intrigue se déploiera à travers le journal d'Izzy, que l'on est amené littéralement à parcourir. Le joueur prend le contrôle d'un petit avatar aux cheveux ondoyants qui se déplace de phrase en phrase sur les pages du journal d'Izzy à mesure que celle-ci couche sur le papier ses pensées. Cela donne lieu à de petites séquences de plate-forme où, au gré des mots qui apparaissent, le joueur devra en faire apparaître de nouveaux ou se servir de certains pour avancer dans le journal.

Ainsi, lorsqu'un mot se trouve en surbrillance, il suffit de marcher dessus pour qu'Izzy continue de raconter son histoire. Le journal se pare également de couleurs et de dessins avec lesquels il faudra parfois interagir pour progresser. À l'aide d'un curseur toujours présent à l'écran, le joueur pourra alors se saisir littéralement de certains verbes d'action (découper, effacer, libérer etc.) qui apparaissent dans les phrases d'Izzy pour les déplacer sur les images en question et ainsi former des liens logiques. En plus de servir de plates-formes à notre personnage, les phrases se déplacent parfois, tombent ou s'élèvent, s'évaporent ou s'inclinent, mimant l'état d'esprit de l'héroïne sur le moment.

En sautillant de phrase en phrase, le joueur s'en trouve ainsi témoin des joies et des peines de cette petite fille, d'autant plus que chaque phrase matérialisée s'accompagne d'une voix touchante et convaincante (doublage en anglais uniquement). À noter également le bon travail effectué par la localisation française puisque le titre joue souvent la polysémie de certains mots ; par exemple lorsqu'une phrase mentionne : "Lançons-nous dans l'aventure" ("Let's swing into adventure" en anglais), incitant le joueur à se saisir effectivement d'une corde et à s'y balancer pour atteindre une plate-forme éloignée.

That Dragon, Cancer

Outre le récit de ses journées et l'étalage à coeur ouvert de son ressenti, le journal permet également à Izzy de tirer profit de son imagination débordante pour raconter une histoire que le joueur vivra au gré de son processus d'écriture. Ainsi, les séquences du journal sont entrecoupées de moments de pur gameplay qui représentent en réalité les deux tiers du temps de jeu. Dans ce conte élaboré par la jeune fille, le joueur devra faire certains choix comme choisir le nom du protagoniste parmi trois proposés (disons Robyn), la couleur de sa tenue ou le caractère de certains personnages rencontrés. Malheureusement, ces choix n'ont qu'une faible incidence sur le déroulé de l'aventure et ne servent qu'à faire varier un peu la narration.

Celle-ci se déploie donc au gré de la progression du personnage que l'on contrôle, véritable avatar d'Izzy en réalité. En effet, on comprend très vite que les obstacles auxquels sera confronté Robyn ne sont que des représentations allégoriques des propres angoisses d'Izzy. C'est d'autant plus évident à partir du chapitre 2 lorsque la dégradation de la santé de la grand-mère d'Izzy, à laquelle elle est extrêmement attachée, l'amène à développer son intrigue autour de la poursuite par Robyn du dragon qui a ravagé son village.

Renvoyant évidemment à Barbara, la grand-mère d'Izzy, la gardienne du village Ava sera celle qui remettra à Robyn le livre des mots magiques qui permettra à la jeune aventurière de progresser dans son périple. De la même façon, face aux peines et aux moments de solitude, Izzy pourra s'en remettre aux formules réconfortantes de sa grand-mère. Il s'établit donc une correspondance entre les deux histoires, que le joueur découvre alternativement au gré des huit chapitres que comporte le titre et des quatre à cinq heures nécessaires pour en venir à bout.

Page blanche

Robyn pourra faire usage de mots magiques pour s'ouvrir la voie et avancer dans sa quête. Elle en acquiert l'usage au fil de sa progression, sachant que certains ne seront que temporaires. Concrètement, ces mots magiques agissent un peu comme ceux du journal et permettent au joueur de "casser" un obstacle, de "relever" une plate-forme ou encore d'en "réparer" une pour que le chemin se libère. Pour ce faire, il suffit d'ouvrir le livre des mots magiques, saisir le verbe et déplacer le curseur sur l'élément en surbrillance. Rien de plus simple, et c'est bien là l'écueil majeur de ce Lost Words : à aucun moment le jeu ne cherche à pimenter un peu l'expérience du joueur.

En plus de proposer un gameplay sommaire dans lequel on ne pourra que sauter, utiliser les mots magiques et déplacer (rarement) une plate-forme, le level design s'en trouve dépouillé lui aussi, avec très peu d'embranchements différents ou d'énigmes susceptibles de solliciter ne fût-ce qu'un instant la matière grise du joueur. La recherche des 120 lucioles magiques (protectrices du village et qui ont disparu après l'attaque du dragon) aurait pu donner lieu à davantage de complexité mais ces dernières se trouvent presque toujours sur le chemin du joueur, de sorte qu'elles lui permettent surtout de savoir à quel pourcentage il se trouve dans sa progression du chapitre.

On l'aura compris, Lost Words : Beyond the Page vaut surtout pour l'originalité de sa narration et la qualité de son ambiance, mélancolique à souhait et portée par une bande-son réussie. Même si ce n'est pas un bijou visuel, il se dégage du titre de Sketchbook Games une certaine candeur à même de faire fondre le coeur des joueurs.