Avant tout, il est temps de rappeler les faits. A savoir ce qu'est la licence Ace Attorney. Pour faire simple, il s'agit d'une série de simulations d'avocat. Evidemment, comme traiter des piles de dossiers et feuilleter son Dalloz toute la journée pour se présenter à la cour quatre ans après le début d'une enquête n'a rien de sexy, Capcom s'est éloigné de la réalité. Jeux d'aventure fortement textuels, les péripéties de Phoenix Wright (et Apollo Justice dans le précédent volet) se découpent en deux phases... Il y a d'abord l'investigation, où l'on analyse des scènes de crime et où l'on recueille témoignages et pièces à conviction. Ces séquences sont très dirigistes, puisqu'il y est impossible de progresser en ayant loupé un élément important. Et puis ensuite il y a les procès. Ceux-ci sont assez folklos. Ils se tiennent le lendemain d'un crime, sont à charge, se bouclent en une ou deux séances et accueillent de sacrés énergumènes, autant du côté civil que de celui de la Justice. Tout est misé sur l'exubérance des échanges, des contre-interrogatoires et des présentations de preuves. La particularité de ces moments, c'est qu'ils puisent énormément dans le genre du jeu de baston. Une objection assénée, un objet présenté au bon moment pour affirmer une incompatibilité de faits et "l'adversaire" semble sonné. Il y a d'ailleurs, durant les phases au tribunal, une barre de vie qui s'amenuise lorsque le juge vient à coller une pénalité pour une remarque peu pertinente. Un Ace Attorney vous place donc dans de véritables combats judiciaires, cloqués de rebondissements et d'une incroyable intensité dramatique. Et les cinq affaires de ce nouvel épisode vont laisser des traces.

Objection !

Un an s'est écoulé depuis Ace Attorney : Apollo Justice. On retrouve avec plaisir l'ami Phoenix Wright, réintégré dans ses fonctions d'avocat, accompagné d'Apollo et d'une petite nouvelle au sein de son cabinet, Athena Cykes. La présence de ces trois personnages jouables différents apporte naturellement du sel à l'intrigue générale, dont je ne vous dévoilerai pas une ligne mais qui tourne autour des moyens mis en place pour arriver à ses fins, quitte à maquiller la vérité. Elle permet surtout d'apporter, en plus d'un brin d'occultisme, une certaine variété, ponctuellement, à une recette impliquant beaucoup de lecture et des pressions sur A pour passer au dialogue suivant (et désormais B pour en accélérer le défilement). Chacun dispose en effet de son petit truc pour déceler la vérité dans les dires d'un témoin. Wright, affublé d'une pierre nommé "Magatama", fait sauter les verrous psychiques en démontrant les contradictions. Apollo, à l'aide son bracelet, autorise un zoom sur une personne appelée à la barre de manière à déceler des tics nerveux traduisant un mensonge pendant une déclaration. Athena, quant à elle, spécialisée dans la psychologie analytique, profite de son pendentif "Widget" pour révéler un état mental inadéquat (entre joie, surprise, colère et tristesse) liée à une situation donnée. En y ajoutant les phases habituelles et les conclusions, demandant de tout mettre bout à bout quand la situation semble désespérée, cela procure aux procès un rythme supplémentaire, en parfaite harmonie avec la puissance des échanges, plein de jeux de mots et d'attaques gratuites entre les bancs opposés. C'est clairement là où, comme ses prédécesseurs, Dual Destinies se révèle imparable. Parce qu'il y a une qualité d'écriture divine, surfant sur des thèmes sérieux, voire macabres, avec loufoquerie et décalage, et des personnages travaillés et attachants. Parce qu'au tribunal, c'est une punchline toutes les deux répliques. Parce que les scenarii, qui se rejoignent dans un exceptionnel bouquet final (avec certain talent pour le fan-service) savent nous tenir en haleine, nous mener vers de fausses pistes pour mieux nous rire au nez. On se fait balader, on réfléchit, on crie eurêka... et c'est terriblement cool.

Hold it !

Reste que si l'ensemble fonctionne aussi bien, c'est que les développeurs ont également bien affiné les bases. Cela commence avec une réalisation et un mise en scène d'un autre niveau que ce que l'on a pu trouver sur GBA et DS. En passant aux polygones cel-shadés pour ses personnages et ses décors (pour ceux que l'on doit fouiller, il y a même des changements de points de vue convaincants), Capcom a tout bonnement pondu un des plus beaux jeux de la machine, du genre à nous laisser pousser le curseur 3D à fond sans rechigner. Les protagonistes paraissent moins statiques, plus vivants. Le rendu de leurs mimiques est excellent et, de fait, la galerie de zozos aux looks improbables (du procureur samurai qui sort de prison pour bosser à une journaliste émettant un bruit de serpent et planquée dans un carton, en passant par un cosmonaute toujours en combinaison) semble plus vivante que jamais. Notamment lorsque ces personnages sont mis face à leurs erreurs ou dévoilent leurs vrais visages... Notons enfin qu'une vingtaine de cinématiques animées (doublées en anglais et non sous-titrées) font leur apparition pour soutenir une ambiance difficilement attaquable. Surtout que la bande-son, quoiqu'un peu redondante, ne souffre d'aucune véritable fausse note. Thèmes musicaux adéquats, appuyant aussi bien les instants gags que ceux plus tendus ou remplis de bons sentiments, et bruitages chocs favorisent réellement l'immersion. Tenez, au moment où je vous parle, je suis en robe et j'ai envie qu'on m'appelle Maître.

Take that !

Il s'agit aussi de l'épisode le plus confortable et le moins perturbant pour les novices. Outre des mots-clés toujours d'une couleur différente, des objets bien indiqués lors des fouilles et le droit d'accéder aux pièces à conviction et profils des acteurs d'un procès, histoire de nous mettre la puce à l'oreille, on nous laisse un carnet pour se rappeler les prochaines étapes d'une investigation et la possibilité de remonter les dernières lignes de dialogues au cas où quelque chose aurait échappé à notre vigilance. Malin. En revanche, on peut chercher l'intérêt d'avoir laissé la barre de vie alors même que la pénalité finale, le game over, ne dure qu'une poignée de secondes pour nous ramener... au moment-même de son échec ! Bien que les enquêtes soient compliquées et que trouver la bonne inconsistance au bon moment fasse parfois mal au crâne, cette absence de sanction ferme et définitive rabaisse tristement la difficulté, là où la pression aurait eu pour effet de calmer les bourrins. Mais nous implorerons néanmoins la clémence, le jeu ayant, en dehors de cela, une attitude irréprochable.

Alors oui, Dual Destinies est un titre qui prend la suite de ses ancêtres avec maestria. Oui, cela peut, pour certains, tenir davantage du roman graphique que du jeu vidéo. Pour autant, si vous aimez les polars, les films noirs, les séries policières et acceptez que l'humour le plus décalé qui soit s'y introduise, vous pouvez foncer. Capcom livre là un superbe titre, bien réalisé, superbement écrit et loin de se laisser dompter, malgré quelques velléités d'empêcher tout blocage, dont les enquêtes - hormis peut-être la deuxième - vous surprendront à coup sûr. Ensuite, si vous étiez déjà convaincus et que vouliez un avis de gros fan : ce titre se hisse quasiment au niveau d'un Trials And Tribulations. Voilà, c'est dit. Pour finir, espérons que son absence en version boîte et le fait qu'il soit exclusivement en anglais ne vous rebutera pas...

PS : j'aurais aimé vous parler du premier (et vraisemblablement seul) DLC prévu en Europe, censé faire la transition entre Apollo Justice et cet épisode. Sauf qu'il n'apparaît pas dans la liste des éléments que je peux télécharger, contrairement aux trois costumes gratuits. Je vais devoir mener l'enquête...