Le premier attrait du titre d'Ubi Montpellier vient du visuel. Nous l'avions remarqué dès la première vidéo : cette véritable bande-dessinée interactive - plus que dessin-animé, tant pour le style que l'aspect volontairement simpliste des animations - jouit d'une patte assez fantastique. On pourrait comparer le trait de Paul Tumelaire, designer principal, à des tas d'autres auteurs. Au final, son identité s'affirme sans peine comme plutôt unique, surtout dans le jeu vidéo. Que l'on parle de personnages principaux ou secondaires, tout à fait expressifs, ou encore des différents lieux traversés de Paris à Ypres en passant par Reims, toujours en 2D, et autorisant parfois des voyages sur différents plans, on note un souci du détail ravissant et aucune faute de goût. Si bien que chaque moment traversé, suivant un éclairage et une teinte savamment appliquées, parvient à transmettre l'émotion désirée. Et cela sans paroles - ou presque, si l'on occulte les instants narrés ou les échanges épistolaires. Seuls des murmures typés selon les nationalités et des pictogrammes se présentent, aux côtés d'une musique toujours juste, pour compléter une ambiance aux petits oignons.

Achtung, baby !

L'ambiance, justement. Comment vous expliquer. Sous ses atours charmants, cette production n'en reste pas moins concentrée sur un conflit qui a détruit des millions de vies. Les quatre chapitres proposés - le cinquième, aux côtés d'un pilote britannique, George, présenté voilà quelques mois et évoqué brièvement dans cette version, ayant tout vraisemblablement disparu - ne peuvent laisser insensible. Emile le fermier de Saint-Mihiel et son gendre Karl, Lucky Freddie, l'américain en quête de vengeance, et Anna, courageuse infirmière belge, s'ils se croisent tous à un moment, ont leur petite histoire propre.

Les attendent des chemins pavés d'héroïsme, de tension, d'amitiés, de bons sentiments, d'injustice, de sacrifice, de chance, de lueurs d'espoir, de rébellion... Vraiment, ne vous faites pas d'idées : vous ne rirez pas beaucoup. La période ne s'y prête pas. Même la présence de Walt, un toutou secouriste aussi dévoué qu'adorable, ne parviendra pas à atténuer la peine ressentie à la vue ou l'évocation de certaines situations. Pour tout vous avouer, j'ai versé ma petite larme à la fin. Preuve qu'attachement il y a et que le sujet, proposé avec une documentation riche et consultable à tout instant pour mieux connaître les faits marquants de la "Der des Ders", n'a pas été traité à la légère.

Et toi, tu creuses

Concernant le gameplay, on est dans le pur jeu d'aventure à énigme, genre point-and-click avec contrôle direct du protagoniste, façon The Cave. On se balade dans des tableaux plus ou moins vastes, conscient de ne pouvoir transporter qu'un seul objet avec lequel on devra interagir d'une façon ou d'une autre suivant la situation. Soit en l'utilisant au bon endroit, soit en le lançant - surtout s'il est explosif. Beaucoup de leviers à récupérer et tirer, de TNT à placer, de caisses à pousser ou soulever, d'éléments à ramasser à l'aide de Walt, auquel on peut ordonner, en maintenant une gâchette, de se placer, faire diversion ou de ramasser quelque chose d'intéressant, de codes à retenir ou de routournes roues à faire tourner. Vraiment beaucoup. Les conditions et les décors changent. Mais les concepts ne varient guère. Si bien que, si les environnements varient, le reste se répète un peu trop durant les 7-8 heures de jeu proposées. Au point que l'on en vient à deviner parfois ce qui nous attend quelques encablures plus loin...

Cela vaut, en dépit des spécialités de certains héros (par exemple Emile, qui creuse, et Freddie, qui coupe les barbelés), pour les phases plus actives, apportées pour conférer un peu de tonus. La plupart des ces dernières étonnent en premier lieu, puis réapparaissent plus d'une fois, avec moins de fraîcheur : les passages d'esquive d'obus, de cache-cache nécessitant l'appréhension du timing des mitrailleuses ennemies, d'adresse en tant qu'Anna qui soigne par le biais d'un jeu de rythme à la Guitar Hero ou qui conduit en devant éviter les obstacles, d'affrontement face à un boss bien massif... A l'exception d'un passage de conduite de tank, un peu lourd, cela devient vite routinier.

Histoire compliquée pour jeu simple

Sans que l'immersion n'en soit pour autant affectée, on répète ses gammes sans, un moment, éprouver la moindre difficulté à avancer. Le mode Vétéran, pour ne plus mettre en évidence les objets interactifs ni proposer d'indice en cas de blocage (assez difficile à envisager), intéressera peut-être les moins aguerris, très clairement ciblés par un Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre qui a aussi, via l'accès aux archives d'époque, un rôle d'enseignant. Les joueurs un peu moins portés sur la pédagogie et la personnalité de cette fable humaine - traitement assez rare pour être souligné dans un titre se focalisé sur une guerre - de grande qualité, eux, retiendront peut-être un challenge faiblard et redondant. Mais ce serait terriblement réducteur.

Ce jeu porté sur la Grande Guerre fait indubitablement son effet. L'habillage est parfait, les tranches de vie contées avec justesse, pleines de rebondissements et très souvent poignantes. Permettant de se rappeler qu'on vit aujourd'hui une époque plutôt peinarde, en France. S'il parvient à aborder une des plus tristes pages de notre Histoire sans fausse note, Soldats Inconnus ne réussit pas à se renouveler sur le plan ludique. Ce qui pourra endommager son capital sympathie chez une frange de joueurs. Reste que s'il s'agissait d'une BD ou d'une série animée, on ne se poserait probablement aucune question et on plongerait sans réfléchir...