Chez moi comme chez beaucoup d'autres, le souvenir de Banjo-Kazooie sur N64, sorti il y a déjà 10 ans, reste vivace. C'était le seul à avoir su livrer un après Mario 64 digne de ce nom sur la machine, voire, de l'avis de certains, de le surpasser. Caractérisé par une richesse sidérante aussi bien visuellement que ludiquement, un univers déjanté et un humour juste, Banjo-Kazooie trône fièrement au firmament des grands noms du jeu de plate-forme, et au sommet des meilleures productions de ce Rare d'une autre époque... D'une époque regrettée ? Peut-être, mais ce Rare là me semble bien de retour cette fois-ci, même s'il prend nos attentes à contre-pied avec Nuts & Bolts.

Grincheux, restez dans votre grotte

Une fois n'est pas coutume, j'ai envie de beugler un coup sur vous autres, les joueurs qui pestent parce que ce Banjo-Kazooie Nuts & Bolts n'est pas un jeu de plate-forme "comme avant". Vous avez tort de lui en vouloir : car même si la plate-forme est réduite à sa plus simple expression dans cette nouvelle formule (elle reste présente du point de vue exploration et secrets de la ville centrale, nous y reviendront), il reste résolument fidèle aux qualités de la série résumées plus haut. Comment en vouloir à Rare non seulement d'innover, mais de le faire à contre-courant des attentes d'un public qu'il aurait pu satisfaire en clonant la formule d'antan par solution de facilité ? On pourra toujours leur reprocher d'avoir négligé une occasion de nous livrer un digne représentant d'un genre décidément bien rare sur 360, certes. Mais donnons lui la chance qu'il mérite, car Rare a fait du bon boulot.

Jouer avec son cerveau

Ce nouveau Banjo s'articule autour des anciennes mécaniques : ramasser des pièces de puzzle pour débloquer de nouveaux mondes, dans lesquels se lancer ensuite sur de nouveaux défis rapportant eux-mêmes des pièces de puzzle, et ainsi de suite. Chacun des mondes, complètement déjantés et brillamment réalisés, peut-être exploré au départ depuis une ville-hub centrale, qui s'avère non seulement assez grande, mais aussi bourrée de choses à y faire. Ramasser des notes de musique comme dans les niveaux (lesquelles servent de monnaie pour acheter des éléments de construction de véhicules ou des plans), jouer à un jeu d'arcade digne des 8 bit où, pour le coup, il n'y a qu'une seule action à faire : sauter (joli pied-de-nez), libérer de petits personnages emprisonnés par erreur et enfermer ceux qui devraient l'être à leur place, dénicher des caisses remplies de pièces de véhicules et cachées un peu partout... bref : il y a de la plate-forme, un peu, dans cette ville. On cavale, on grimpe sur des poteaux et on "funambulise" sur des filins électriques, le tout pour accéder à des recoins insoupçonnés et qui nous récompensent souvent pour notre esprit d'exploration. Il m'est arrivé de passer plus d'une heure, en ville, au lieu de poursuivre les défis dans les différents mondes, sans jamais m'ennuyer, tant elle est richement modélisée, bourrée de vie et de choses à découvrir. C'est un moyen d'obliger le joueur, avec brio, à retrouver une formule plus classique de plate-forme. Car partout ailleurs, c'est vrai, ça n'a plus grand chose à voir : on nage dans un jeu "de création".

LittleBigIngénieur

Tous les défis suivent le même schéma : un personnage explique ce qu'il va falloir faire, puis le choix s'offre à vous d'opter pour le véhicule le plus approprié à la tâche demandée. Certains défis imposent un véhicule, mais la plupart enjoignent plutôt à faire un tour au garage de Mumbo, l'éditeur, pour en construire un spécialement conçu pour le défi. Cet éditeur, particulièrement efficace, laisse véritablement libre cours à notre imagination. Mais l'ensemble du jeu est baigné d'un moteur physique réaliste, tant et si bien que construire un véhicule efficace relève aussi de la réflexion. L'équilibrer correctement, le doter de capacités spéciales, opter pour un hélico ou un avion, un bateau ou un tank, ou encore un mélange amphibie, tout est possible, du moment que vous avez à votre disposition suffisamment de pièces. Moteurs, réservoirs, roues, éléments de carrosserie, gadgets pour détacher une section de l'appareil ou le faire bondir sur des ressors, fusées, ballons et flotteurs, ou encore armes et protections. Tout y est. Il suffit de comprendre les principes de base et, pour tous les amoureux des Legos (j'ai personnellement attendu jusqu'à l'âge de 12 ans avant de ranger définitivement les miens), conceptualiser, fabriquer puis tester et optimiser un nouveau véhicule est un jeu à part entière. Pour décrocher la pièce de puzzle d'un challenge, il faut le compléter avec une certaine réussite, c'est à dire souvent en un temps minimal, ou encore en collectant un certain nombre d'objets... et chaque challenge dispose d'un succès de référence qui permet d'obtenir un trophée spécial en plus. Pour certains trophées, il faut vraiment réfléchir et concevoir un véhicule malin, et lorsque le design fonctionne et qu'on décroche le trophée, la satisfaction s'en trouve d'autant plus grande qu'il ne s'agit pas juste d'une question d'habileté à la manette, mais aussi de jugeote. Et pour ceux que cette partie effraie, il y a toujours des plans préconstruits, ou le moyen de télécharger des replays de défis complétés par d'autres joueurs, ainsi que les véhicules qu'ils ont conçus. Un côté participatif et une optique de création radicalement différente de celle de LittleBigPlanet, mais qui fonctionne à mon sens à merveille.

Dépaysement total

Les mondes de Banjo, son ambiance, son graphisme absolument superbe, l'humour (avec autodérision et références par trouzaines), et la masse imposante de choses à faire, à collectionner, à débloquer (131 pièces de puzzle au total, et d'autres choses) en font incontestablement le Banjo le plus ambitieux de tous. L'échelle de ce qu'ont créé les développeurs de Rare force le respect, et une fois plongé dans cette ambiance, pour peu qu'on accroche, on finit vite par appréhender cette logique décalée qui fait de véhicules improbables les meilleures réponses à des lois physiques proches des nôtres, mais aussi volontairement biscornues, à l'image de l'univers. Malheureusement, beaucoup de défis usent et abusent des mêmes ficelles, à commencer par les courses, ou les collections d'objets à pousser / rapporter / faire tomber, etc. C'est finalement le seul point noir de ce Nuts & Bolts : devant le tsunami de variété graphique et de choses à faire, le renouvellement des situations ne parvient pas à égaler leur nombre. On pourrait en gros dire que pour un défi absolument génial et motivant sur lequel il faut réfléchir autrement qu'en termes de taille, de vitesse ou de capacité, 3 autres se ressemblent comme deux gouttes d'eau et sont vite résolus à force de pièces cumulées... Dommage. Enfin, les modes multi (27 mini-jeux !) ne valent vraiment la peine que lorsque chacun peut utiliser son propre véhicule. Mais dès lors, il n'y a pas de secret : c'est bien souvent le meilleur des véhicules qui fait la différence. Faites un match de foot avec un joueur qui a construit un titan qui pousse joueurs et balle d'un seul coup, et la partie perd vite de son intérêt (NDJulo : RaHaN qui fait des métaphores footballistiques, on aura tout vu !)... Heureusement, il suffit de le reproduire pour se retrouver dans une situation d'égalité tacite face au défi proposé, et c'est très facile puisqu'il suffit entre chaque round de se rendre au garage pour modifier son véhicule, et qu'en capturant une photo de celui d'un joueur, on en acquiert automatiquement le plan. Reste qu'une fois de plus, on nage en pleine orgie, avec largement de quoi s'amuser entre amis, mais souvent on préférera s'en tenir à télécharger des replays de défis pour s'y mesurer offline, plutôt qu'à jouer véritablement en multi.

Banjo-Kazooie : Nuts & Bolts fait partie de ces jeux aux idées brillantes, presque inclassables, dont les charmes furieusement rafraîchissants seront de suffisants prétextes pour certains d'oublier qu'il tient un peu du fruit exotique à la peau chatoyante, mais au coeur qui manque encore de saveur. Pour d'autres, l'immense envie de croquer le fruit et le plaisir qu'on en retire se faneront face à ce manque de sucre une fois la bouchée bien mâchée. Personnellement, je ne peux pas m'empêcher de continuer à croquer dans ce fruit, et je salue Rare d'avoir osé le choisir exotique, plutôt que nous filer une bonne vieille pomme, même très sucrée.