200 millions d’exemplaires et 16 années de bouteille plus tard, Assassin’s Creed revient à ses premiers amours. Pour célébrer cet anniversaire symbolique de la licence, Ubisoft Bordeaux a décidé de tirer sur la corde nostalgique en prenant ses distances avec les derniers épisodes orientés action-RPG et en renouant avec ses racines le temps d’un jeu un peu à part. Un pari presque osé, qui aurait pu signer un véritable renouveau pour une saga qui s’était déjà retrouvée à bout de souffle, épuisée par ses sorties annuelles. Mais si Assassin’s Creed Mirage est un bel hommage aux jeux d’antan, il est loin de tenir sa promesse d’un véritable retour aux sources.

Retour là où tout a commencé

Assassins Creed Mirage test

De voleur des rues à Maître Assassin il n’y a qu’un pas. Basim Ibn Ishaq l’a appris à ses dépends. Un petit casse chez le Calife et un simple contact avec un artefact mystérieux le conduira à rejoindre Ceux qu’on ne voit pas, la fameuse guilde qui a un penchant assumé pour les lourdes capuches et les lames secrètes. Adieu les vikings donc, on retourne là où tout avait commencé pour la licence, le Moyen-Orient. Direction Bagdad en 861, durant l'âge d'or de l'Islam. Conflits et complots sont les maîtres mots dans la Capitale de l'Empire califat abbasside, qui est à un tournant de son histoire. Ceux qu’on ne voit pas, les ancêtres de la confrérie, veillent au grain alors que l’Ordre poursuit ses machinations dans l’ombre. Une quête que l’on suivra donc à travers les yeux d’un jeune Basim, dont la trogne est plus que familière pour les joueurs d’AC Valhalla. Pas besoin d’avoir fait l’épisode avec les vikings pour comprendre les tenants et aboutissants du scénario, mais force est de constater que le récit fonctionne quand même bien mieux quand on connaît son destin. Son récit ne sera donc approfondi qu’en surface pendant la quinzaine d’heures nécessaires pour en voir le bout, Ubisoft Bordeaux se servant du passé du personnage pour nous replonger dans l’essence même du premier épisode.

Sur ce point, le jeu parvient clairement à tirer sur la corde nostalgique. Difficile quand on a connu les péripéties d’Altaïr de rester insensible à tous ces petits détails qui fleurent bon la bonne vieille époque. La relation entre l’apprenti et son mentor, le retour à Alamut, le rituel d’intronisation, ces tenues rouges et blanches et cette petite part de mystère, tous les ingrédients sont réunis. AC Mirage parvient clairement à tirer son épingle du jeu grâce à son atmosphère, portée soit dit en passant par une bande-son absolument magistrale. Mais si Ubisoft Bordeaux n’a jamais caché son envie de se recentrer sur la narration avec ce jeu, son scénario paraît presque anecdotique tant il est relégué au second plan. La faute à un problème de rythme dû au fameux système de traque introduit dans Origins. On passe d’une cible à une autre, on enquête et on enchaîne les missions à la mise en scène quasi insipide, tout comme l’histoire qui manque cruellement de moments épiques et marquants. C’est d’autant plus regrettable que les quelques scènes qui fonctionnent nous font vraiment retourner à l’époque des premiers jeux. Et c’est là tout le paradoxe d’Assassin’s Creed Mirage : c’est un bel hommage sur le papier, il coche toutes les cases pour remplir son cahier des charges, mais il pêche cruellement dans l'exécution.

Un véritable retour aux sources ?

AC Mirage test

L’objectif d’AC Mirage était clair : revenir à ce qu’être un assassin veut dire. Se recentrer sur le crédo de la guilde et donc une expérience centralisée à nouveau autour du parkour, la discrétion et l’assassinat. Cela passe donc par une ville plus intimiste, un monde ouvert réduit et des allées plus exiguës pour que le personnage puisse sauter de bâtiment en bâtiment. Ubisoft prouve encore une fois son savoir-faire en matière de récréation de villes en nous livrant une Bagdad dense, condensée, vivante, saisissante, tantôt dépaysante, parfois flamboyante. Les panoramas dignes d’une carte postale ne manquent pas et les rues grouillent assez de vie pour être convaincantes et créer une véritable ambiance qui ne manque pas de faire son petit effet. Du moins si on ne s’attarde pas plus de cinq minutes sur les PNJ aux animations vieillottes.

Et si le jeu semble parfois techniquement daté et que les textures assez vilaines sont légion, la ville est juste belle comme tout. Le travail sur Bagdad est d’autant plus impressionnant que le défi était de taille pour les équipes. Là où elles pouvaient s’appuyer sur de la documentation pour les épisodes précédents, tout ce qui avait trait à la ville a été détruit. Leurs recherches ont alors dû s’axer sur ce qui restait de l’époque comme des poèmes par exemple. Je ne suis pas historienne, mais le résultat est assez fascinant et on ressent clairement tout l’affect du studio pour cette glorieuse cité d’antan. Ce que l’on ressent aussi, c’est que la reconstruction de la ville a été guidée par les impératifs de level design, avec des chemins tout tracés pour les escapades de Basim. Malheureusement, la balade n’en sera pas aussi mémorable que dans les épisodes d’antan. Si le parkour est l’un des piliers d’Assassin’s Creed Mirage, les fondations du jeu s'effondrent dès les premiers sauts.

Basim n’a qu’une vingtaine d’années, mais il se déplace comme un assassin octogénaire à bout de souffle. Même Ezio en fin de carrière avait plus d’agilité et de souplesse. Les déplacements sont lourds, patauds et le free run manque cruellement de fluidité et de panache. On a l’impression de contrôler un papi arthritique. Quitte à s’inspirer des anciens épisodes, le feeling, et les cabrioles aussi classes qu’exemplaires d’AC Unity semblaient toutes indiquées. On aurait pu mettre ça sur l’inexpérience de la nouvelle recrue, sauf que l’on suit justement Basim au fil de sa progression au sein de la guilde et cela n’a absolument aucune incidence sur le gameplay et très peu narrativement aussi. On est partisan des Assassin’s Creed old school, mais en 2023 ce n’est pas possible d’avoir un parkour aussi rigide. Difficile de prendre véritablement plaisir à arpenter cette ville dans de telles conditions, surtout quand le petit bleu a parfois du mal à répondre au doigt et à l'œil. J’ai arrêté de compter le nombre de fois où il refusait de rentrer par l’ouverture d’une fenêtre, qu’il peinait à aller dans la direction demandée quand il ne se mettait pas à sauter pile là où il ne faut pas. Et encore, Basim n’est pas le plus à plaindre.

Une IA complètement old school

Assassins Creed Mirage test

Ce sont bien les ennemis qui ont de gros soucis comportementaux. L’IA est complètement dépassée. Ca n’a jamais été l’un des points forts de la franchise, mais celle d’Assassin’s Creed Mirage est franchement à la ramasse. Les développeurs ont semblent-ils oublié d'incorporer toute forme d’intelligence aux soldats, tantôt aveugles, quelques fois avec des yeux bioniques inexplicables, et surtout bêtes comme pas possible. L’artificiel est bien là, ils feront bien semblant de vous chercher, mais ne mâchons pas nos mots, c’est totalement archaïque. Old school ne doit pas foncièrement dire dépassé et on se retrouve encore avec les mêmes situations cocasses comme frustrantes de l’époque. En mettant trop l’accent sur le retour aux sources, le studio en a presque oublié qu’il était nécessaire de renouveler les fondements de son jeu, là où de nouvelles productions ont imposé des standards plus modernes.

Ubisoft aurait pu allier old school et renouveau en s’inspirant de ce qui s’est fait ces dernières années chez la concurrence. Quand on a eu des récents Hitman, difficile de ne pas trouver que le gameplay a parfois un vilain arrière-goût périmé. La comparaison avec l’agent 47 fait d’autant plus mal que Mirage promet faussement diverses approches pour les grands contrats d'assassinats. Le joueur peut entrer de diverses manières dans le palais ou autres lieux où la cible se cache après l’avoir identifiée. Mais factuellement, cela ne change absolument rien. Que l’on demande à des gardes de créer une diversion ou que l’on aide un marchand pour se faire passer pour son homme à tout faire, la mission se déroule exactement de la même manière à quelques différences près, parfois. On peut choisir un assassinat aérien, utiliser des couteaux de lancer ou autre, mais rien de transcendant. La mise en scène reste inchangée et donc plate comme pas possible, d'autant que les situations d’infiltration peinent à se renouveler.

Basim a bien à disposition quelques gadgets pour varier les plaisirs, comme les bombes fumigènes (oui elles sont toujours aussi cheatées), des couteaux de lancers, des bombes sonores ou encore une sarbacane. Tous peuvent être améliorés, mais même sans ça, l’assassin ne fait qu’une bouchée de ses cibles. La compétence focus enlève elle aussi toute once de challenge. Grâce à elle, Basim peut concentrer son énergie et verrouiller plusieurs ennemis à la fois pour les enchaîner en se téléportant de l’un à l’autre. C’est indéniablement classe, mais un meilleur équilibrage pour forcer un peu plus de variété dans les approches d’infiltration n’aurait pas été de trop. Pourtant, quand les astres sont alignés, oui, on retrouve bien ce côté old school. On s’assoit discrètement sur un banc, on épie une conversation et hop on en sait un peu plus sur sa cible. On plante sa lame discrètement dans une ennemi, on se fond tapis dans l’ombre, on appâte son collègue et on lui fait subir le même sort discrètement. Le charme à l’ancienne fonctionne franchement bien les premières heures, mais s'essouffle rapidement tant Assassin’s Creed Mirage a cette fâcheuse tendance à exposer ouvertement ses lacunes.

Emporté par la foule

Assassins Creed Mirage test

Les joueurs constateront à leurs dépens, mais le jeu manque également de précision et se montre bien trop souvent approximatif. Nombreuses sont les fois où un R1 censé déclencher un assassinat discret se transforme en une attaque au corps à corps. S’ensuit alors des combats hasardeux qui cassent toute l’immersion et la volonté du studio. Avec ce spin-off, Ubisoft Bordeaux souhaitait recentrer le gameplay sur l’infiltration. Le travail sur les affrontements directs est réduit donc à son strict minimum, avec une palette de coups limitée et un système de parades et d’esquives tout sauf passionnant. Les combats ne sont jamais grisants, ni même difficiles ou punitifs comme cela avait été promis. Résultat, on peut tout aussi bien opter pour une approche rentre-dedans pendant tout le jeu, sans jamais être véritablement en difficulté et ce même avec le niveau d’alerte maximum. Il suffit de parer, tuer chaque ennemi en un coup et aller arracher quelques affiches ou soudoyer quelques personnes pour faire baisser sa notoriété.

L’usage de la foule et des bancs, comme à l’époque d’Altaïr, ont vite fait d’être relégués au second plan. L’appel à la prudence et la discrétion pêche cruellement dans son exécution et met directement à mal l’ambition du studio. La découverte de la richesse culturelle de Bagdad fait son petit effet, notamment avec des quêtes spécifiques qui permettent d’en apprendre davantage sur son histoire et ces missions font figure de bon élève. Monde ouvert plus petit ou non, on n’échappera pas aux requêtes peu intéressantes, aux collectibles et aux chasses aux trésors. Pour un spin-off vendu une cinquantaine d’euros, Assassin’s Creed Mirage aura le mérite de proposer une durée de vie honnête.

Attention, Assassin’s Creed Mirage n’est pas un mauvais bougre pour autant, au contraire. Si on le prend tel qu’il est, c’est-à-dire un DLC transformé en un petit spin-off, il sait se montrer franchement sympathique tant par son ambiance que sa ville somptueuse et quand l'IA ne fait pas des siennes. Un AC dans la trempe des productions plus récentes plein de cœur, mais qui tente maladroitement de mettre l'accent sur l'infiltration avec une formule épurée. Si vous avez aimé les derniers jeux, alors vous serez en terrain conquis, mais il faudra faire avec ses défauts et s'affranchir des promesses d'un jeu à l'ancienne. C’est surtout dommage d’avoir mobilisé plus de dix studios dessus et d’avoir survendu son “retour aux sources” pour se retrouver avec une exécution autant en demi-teinte. On rêve maintenant d’un véritable jeu à l’ancienne modernisé et de ce qu’il pourrait donner.