Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis compositeur pour Remember Me. J'ai étudié la musique enfant car mes parents m'avaient placé dans un conservatoire. En parallèle je suivais des études scientifiques pour devenir ingénieur en informatique et travailler dans les jeux vidéo. Sauf que je ne devais pas être un super programmeur. Et je me suis dit pour faire du jeu vidéo, c'était peut-être mieux de faire de la musique, parce que j'avais eu cette éducation - forcée quelque part - et comme ma passion première était le jeu, j'ai trouvé que c'était un bon moyen d'y accéder. J'ai travaillé entre autres sur la série des Obscure, le dernier Alone in the Dark, Of Orcs and Men, sur l'adaptation du film Raiponce et sur... Remember Me.

Comment ont été pensées les différentes musiques de Remember Me ?

Globalement, concernant la façon dont je travaille sur un projet, c'est le directeur créatif qui me dirige. Dans le cas de Remember Me, c'est Jean-Maxime Moris qui me donnait ses intentions. Mais quand il le fait, ça ne veut pas dire qu'il sait exactement quelle musique il souhaite. On parle plutôt d'intention, de ressenti que l'on veut que le joueur éprouve, en termes de transfert de Nilin sur lui. C'est tout cela qui va déterminer quelle musique va être jouée, quelle instrumentation. Mais il y a une période plus en amont, la rencontre avec Jean-Max, où lui parle avec des mots et moi avec des notes.

Et comment s'opère ce genre de retranscription ?

Quand il me propose une idée, je la traduis comme je l'entends. Cela peut être totalement éloigné de ce que lui s'était fait comme idée sauf qu'il peut se dire que c'est pas mal. Ou d'autres fois répondre par la négative. C'est un gros travail d'échange qui va aboutir à quelque chose de généralement assez unique.

Pour ce jeu, on note la présence d'un orchestre philarmonique, de l'électronique et d'effets de rewind. Comment met-on en place toutes ces idées ?

La singularité de ce jeu vient de son univers, tout à fait nouveau par rapport à sa localisation, Neo-Paris, et son époque, le futur. Il fallait réussir à répercuter ces idées dans la musique. Quand on développe les idées musicales, on cherche ce sur quoi s'appuyer. Là, il y a l'idée de Paris, son élégance avec ses immeubles haussmanniens, avec de grosses structures plus futuristes. Il y a aussi l'idée de la mémoire, quelque chose d'organique, qui devient numérisé. Enfin, il y a Nilin, qui n'accepte pas cette société contrôlée, peut remanier les souvenirs et a été remaniée aussi. C'est très confus. La première fois que j'ai rencontré Jean-Maxime, j'étais totalement perdu ! J'ai pensé que la musique devait refléter ça. Hormis le fait qu'on a parfois été trop loin, et ce n'est pas dans le jeu, on a essayé de transmettre cette confusion. Il y a une perte de repères où la musique acoustique est d'un coup manipulée électroniquement. Il y a une forme de "glitch" mais aussi un aspect clinique. Au moment où l'on passe en électronique, cela devient froid, glacial. Le jeu parle bien de ça. L'humain disparaît au profit de la sécurité, du robotique.

Ces expérimentations qui n'ont pas fait le chemin jusqu'au jeu, jusqu'où allaient-elles ?

La référence que je peux donner c'est Aphex Twin, un génie pour moi. Il est allé explorer des choses qui sont dans Remember Me certaines fois, à savoir le découpage de la granularité - un tout petit niveau de détail - que l'on va répéter pour instaurer un effet. Je suis parfois allé trop loin dans le sens où la musique finissait par devenir du bruit, une sorte de folie. Mais j'ai été surpris parce que Jean-Maxime ne me disait pas que j'allais trop loin. Il me disait de pousser encore. Parce que justement, au fur et à mesure, on réalisait qu'il y avait une progression. L'aventure démarre de manière plutôt naturelle, avec Nilin et le joueur en bas, là où les humains ne sont pas totalement digitalisés dans leurs têtes, et on traverse le jeu jusqu'à arriver tout en haut, où c'est complètement manipulé. La musique devient alors complètement barrée. Le joueur pourrait être perdu s'il était balancé directement à la fin du jeu. Mais il y a un vrai cheminement.

Quel est votre rapport au jeu vidéo de manière générale ?

Je suis un hardcore gamer au sens large, je joue beaucoup mais je n'essaie pas de choper tous les achievements. J'essaie d'avoir des expériences différentes. Je joue aussi bien aux blockbusters qu'aux titres indépendants, comme Proteus qui m'a charmé dernièrement. J'ai la fascination du pixel. Du moment que ça bouge, que je le fasse bouger, ou que ce soit un univers totalement virtuel, ça me fascine. Je trouve que, de plus en plus, ça devient intelligent. Au début, on devait libérer la princesse dans Zelda, c'était plus un fantasme. Et aujourd'hui on a droit à des mondes hyper sombres et réalistes, genre Call of Duty, dont j'admire le niveau de production, qui proposent plus de sensations que le cinéma. On est au début du médium, il va y avoir des choses encore plus intéressantes dans les années à venir, avec la nouvelle génération de machines mais aussi grâce aux "faiseurs". Il y a des gens qui produisaient des AAA qui se tournent vers des moyens de productions plus petits pour réaliser des projets plus intéressants.

Quel regard portez-vous sur l'évolution musicale dans le jeu vidéo ?

Dans les années 80, avec l'Amiga, l'Atari, la Super NES, on avait des univers, des couleurs jeux vidéo. A l'époque, quand on me parlait de musique de jeux vidéo, on me disait : "ah ouais les jeux vidéo, piou piou piou". Mais j'adorais ça, il n'y avait que le jeu vidéo qui proposait ces sonorités. Ensuite, avec l'arrivée du support CD, on a eu droit à des orchestres. Ça me faisait moins rêver car, pour moi, on était entrés dans la reproduction du cinéma, de la production avant de faire de la substance. Aujourd'hui, avec la technologie, on avance suffisamment pour recréer de la substance. Avant, c'étaient des gars dans leur garage qui pouvaient faire des choses liées au gameplay. Par exemple, Mario, avec la mélodie accélérée lorsque l'on récupère l'étoile d'invincibilité. Ce genre de chose se retrouve de plus en plus, surtout dans les jeux indépendants. C'est ça qui est intéressant : la musique revient pour soutenir le gameplay, le jeu vidéo tel qu'il est, et non pas essayer de copier le cinéma.

Justement, quelles musiques t'ont le plus charmé ces derniers temps ?

Ca se situe surtout sur la scène indépendante. Journey, évidemment. C'est très beau, très bien fait. Mais ce pour quoi ça marque autant les esprits tient à autre chose. Il s'agit de deux heures intenses, non-stop, totalement différentes, qui suivent une ligne. Tous les chevaux sont mis sur deux heures d'expérience alors que la plupart des titres, dont Remember Me, vous avez dix à quinze heures de jeu. Et c'est impossible de tout balancer pendant autant de temps. Il va y avoir des variations. Avec Journey on se prend tout dans la gueule, c'est fabuleusement exécuté et ça m'a énormément touché. Proteus aussi est intéressant, en apportant une narration dans son gameplay... qui n'a pas de gameplay comme on l'entend aujourd'hui. C'est une expérience qu'on va se faire soi-même.

Finissons par deux questions toutes bêtes : qu'est-ce qui selon vous est le plus français dans Remember Me ?

Je dirais que les jeux français, de manière générale, ont tous une identité particulière. Ce qui fait de Remember Me un jeu français, c'est qu'il est unique, il a son univers. Quand je regarde les jeux Quantic Dream, ceux de studio disparus sur les générations de machines précédentes, ça se sentait qu'ils étaient français. Bon, parfois pour de mauvaises raisons...

Et comment voyez-vous Paris en 2084 ?

Je ne sais pas... Je le vois pas, je serai mort !