Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis un des cinq cofondateurs de Dontnod, directeur créatif du studio et réalisateur de Remember Me. Cela fait à peu près dix dans que je suis dans le jeu vidéo. J'ai débuté chez Ubisoft, pendant cinq ans. D'abord en Chine, en tant que chef de produit, ensuite à la production externe, à Montreuil, ou j'étais Creative Producer.

Comment s'articule l'équilibre entre les différents gameplays de Remember Me, à savoir le combat, l'aventure, la réflexion ?

C'est une expérience que j'ai voulu avec plusieurs couches d'accessibilité. Je voulais qu'on ait une couche d'action-aventure qui soit très codifiée, avec beaucoup de combat, de plateforme, de puzzles, pour que, une fois les joueurs bien installés dans quelque chose qu'ils connaissent, on puisse leur proposer un peu d'innovation avec le Memory Remix, le Combo Lab. Au-delà de ça, il y a tout un tas de thèmes qui baignent le jeu, qui interrogent sur les réseaux sociaux, leur évolution, leur rôle aujourd'hui dans la société... Et il y a cette couche principale d'action-aventure. C'est du 50/50, avec beaucoup de combat, des scènes de poursuite, du boss fight et, de l'autre côté, un univers fort, un minimum d'exploration même si le jeu est linéaire, à quoi s'ajoutent le Memory Remix et des puzzles axés autour du thème central du jeu, la mémoire.

Concernant le Memory Remix, est-ce qu'il y eu l'envie de placer différentes issues, des erreurs de parcours sur lesquelles on ne pourrait pas revenir, qui nous feraient louper des éléments mais en même temps laisseraient l'opportunité à une plus grande replay-value ?

Remember Me a une structure narrative et un design linéaires. C'est un choix conscient et le meilleur quand on est un studio de 70-100 personnes et non de 800 personnes en train de bosser sur un quadruple A qui revisite les assassins ou les gangsters dans le nouveau monde. Cette structure est le moyen le plus efficace de garder un contrôle sur les émotions et les événements que le joueur va traverser. Action-aventure = histoire forte, personnage fort. Avant tout, ce que l'on raconte est l'histoire de Nilin. Ce qui est vrai pour la structure générale du jeu l'est aussi pour le Memory Remix. Il fallait que l'on reste le plus compréhensible possible. Le concept est simple dans la façon dont on le joue mais très compliqué dans l'élaboration au fil des années de développement. On a un objectif dans le monde réel, un objectif dans le souvenir. Le but c'est qu'une fois sorti du Memory Remix le joueur raccroche immédiatement les wagons et se dise : "Ah oui, c'est parce que j'ai changé ça qu'il y a eu cet effet de ouf dans le monde réel". En testant, on s'est rendu compte que si on avait des issues différentes, ça voulait dire qu'il fallait grandement les varier et que les joueurs perdaient le fil. Les embranchements faisaient perdre de l'impact émotionnel. Ce qui n'empêche pas qu'il y ait des embranchements narratifs au sein des Memory Remix avant de trouver la solution. On peut développer les personnages, déclencher des bugs sur un traitement plus humoristique, en tuant les personnes remixées dans leurs propres souvenirs, ce qui crée un paradoxe : on ne peut pas se souvenir qu'on est mort.

La linéarité est une chose mais quid de la difficulté, assez peu élevée dans les phases de plateforme notamment ?

On a voulu toucher le plus de monde possible à travers l'histoire, les thèmes qu'on aborde mais aussi en dosant la difficulté. La plateforme n'est pas un élément qui se joue au millimètre, il s'agit avant tout d'un outil pour rythmer le jeu entre les séquences de combat, les puzzles, les cinématiques, la narration environnementale... On a néanmoins laissé la possibilité à ceux qui souhaitent du challenge de réfléchir un minimum pour exploiter le Combo Lab. Impossible de s'en sortir en s'adonnant au button mashing. Il faut un minimum d'adresse pour pousser les mécaniques à fond. Reste qu'en étant relativement "noob", on peut s'en sortir mais avec beaucoup moins de classe.

Le fait d'avoir Yoshinori Ono ponctuellement en soutien a-t-il beaucoup apporté, notamment pour les combats ?

Ono-San est arrivé en fin de production. Il a eu un rôle de superviseur légitimé par les vingt ans d'expérience qu'il a engrangés chez Capcom. Nous étions au stade des réglages, du peaufinage. On parlait de couleurs, d'effets visuels, de timing d'animation, des attitudes des ennemis qu'on interprétait peut-être pas assez bien. Les échanges ont permis de polir le jeu mais le système de combat est clairement une création originale de Dontnod.

Le Combo Lab se développe sur le long cours, si bien qu'on a l'impression d'avoir peu de coups au début. Comment cela se développe-t-il par la suite ?

Il n'y aura pas de combos de vingt coups. On finit avec quatre combos, déverrouillés progressivement. Alors, déjà un combo de six coups, ce n'est pas si facile que ça à placer, les ennemis sont très agressifs. Il faut bien esquiver en milieu de combo et le continuer juste après. Il y a une mécanique mentale à mettre en marche, pas forcément évidente au début, ainsi qu'un timing, toujours le même. C'est très permissif mais il ne faut absolument pas marteler les touches sinon on se retrouve à n'exécuter que le premier enchaînement. Il faut y aller tranquille pour développer ses combos. Pour revenir à la question, nous proposons quatre combos, vingt-et-un coups à débloquer. Rien qu'avec ça, il y a plusieurs millions de possibilités, de combinaisons de Pressens, de leurs effets au sein des combos, sachant que certaines règles font que plus un coup est placé loin, plus son effet est important. Il y a vraiment des mécaniques avancées pour les joueurs avertis qui vont vouloir exploiter toute la profondeur du système.

Les combos s'articulent autour d'un timing plutôt "tranquille". Pourquoi avoir choisi ce système plutôt qu'un autre qui profiterait de pressions plus ou moins longues sur les touches ?

Nous voulions justement nous démarquer des beat them all tels que Devil May Cry ou Bayonetta, qui proposent des tas de combos avec des variations de timing très importantes. Nous souhaitions articuler les combats autour du rythme. Lorsque l'on commence à maîtriser ses combos, il y a une musique dynamique qui vient appuyer, récompenser le joueur. On rentre dans une boucle vertueuse de succès dans ces combos. On souhaitait aussi quelque chose de plus "réaliste" que les titres que j'ai cités. On avait besoin de davantage d'étapes d'animations et cela collait parfaitement.

Finissons par deux questions toutes bêtes : qu'est-ce qui selon vous est le plus français dans Remember Me ?

Neo-Paris, ça tombe sous le sens. Mais aussi le Memory Remix. Parce que nous sommes partis de concepts de très haut niveau sur ce qu'on voulait dire sur la société de surveillance, les réseaux sociaux extrapolés et qu'on a beaucoup réfléchi sur la manière de faire prendre la sauce au niveau du gameplay. Nous avons fait nos français, à vouloir partir dans des idées un peu folles pour ensuite les recoller au maximum avec la réalité pragmatique du jeu.

Comment voyez-vous Paris en 2084 ?

Personnellement ? Comme dans Remember Me, tout simplement ! (rires)