Si on avait dit à l'ado que j'étais en 1994 et qui découvrait, extatique, Final Fantasy VI en version originale, qu'il se retrouverait quelques vingt années plus tard au balcon de l'opéra mythique d'où Celes, alors, jetait son bouquet pour la première fois ; et qu'il applaudirait à tout rompre Uematsu Nobuo, le papa de morceaux inoubliables tel que les thèmes de Tina, de Locke ou de Cefca -, sans doute n'y aurait-il pas cru et aurait-il balancé à l'importun des bouts de gomme en active time battle.

 
Sauf que voilà : un jour, on se réveille (ou c'est tout comme), on a pris quelques rides, de la bedaine, perdu quelques cheveux dans la foulée pour satisfaire aux exigences de l'échange équivalent, on se découvre confortablement installé dans un fauteuil rouge sombre, sans trop savoir ni quand, ni comment, ni pourquoi on est arrivé là, on est en parfaite compagnie, ce qui ne gâche rien (coucou, Mister Snake_in_a_box !), et on s'extirpe de la torpeur du quotidien juste à temps pour voir débarquer sur scène un drôle de cinquantenaire aux pieds nus façon Hobbit, bourré d'humour, plus remonté qu'un lapin Duracell, flanqué de trois acolytes aux looks improbables mais aux palmarès prestigieux (à la batterie : Fujioka Chihiro, directeur de Super Mario RPG sur SFC et de Mario & Luigi RPG sur GBA ; à la basse : Hirota Yoshitaka, co-compositeur sur Shadow Hearts et directeur sur Theathrythm ; à la guitare : Okamiya Michio, producteur de Kantai Collection ; au clavier : Narita Tsutomu, arrangeur sur Theathrythm, Final Fantasy X HD et Final Fantasy XIV, ...).

 

 

 

 

 

L'ambiance est détendue, façon "20 ans à répéter dans un garage", le sérieux n'est pas de rigueur, les gros melons non plus - ceux qui venaient assister à une messe seront quittes pour une déception : et que ça plaisante, et que ça rigole, et que ça joue avec le public, et que ça lance à tour de rôle quelques mots en français appris pour l'occasion, mais surtout, surtout, et que ça fait vibrer les cordes, tonner les cymbales, pleurer les claviers. Dans le cadre d'un J-RPG, on appellerait ça de la magie - un sort de "Charm", mais en plus efficace -, de celle qui fait passer deux heures en dix minutes, qui vous plonge une armée de fans blasés dans un même état de rêve éveillé, qui vous affûtent les sens (l'ouïe, tout particulièrement), qui vous possèdent, littéralement, pour vous obliger à battre des mains à n'en plus finir (tudieu, que ce rappel tarde à venir !) ou à beugler des "Fight ! Fight ! Fight !" sur l'Otherworld, au diapason de la salle en délire. A quelques ronchons près - qui auraient préféré une approche plus intime (comprendre : juste un piano, moins de sourires...) -, le public est conquis : les gens battent la mesure, se lèvent pour applaudir - mais sans plus se rasseoir -, lancent quelques phrases en japonais (plus ou moins correctes au niveau syntaxe, mais hé ! C'est l'intention qui compte), s’époumonent, se déhanchent - manquent de se battre, même, par moment, tant les esprits s'échauffent (on parlera de "trance", ici, et on ajoutera : "les vrais savent").

 

 


Une fois n'est pas coutume, on leur accordera les circonstances atténuantes : les solos diaboliques se succèdent en riffs déchaînés, les arrangements metal (Guilty Gear X peut aller se rhabiller) donnent une deuxième jeunesse à des morceaux que l'on croyait connaître par coeur, l'énergie dégagée par ces "Dancing Dad" bondissants est communicative, tendance exponentielle (Uematsu qui entonne a cappella la victory fanfare, reprise à pleins poumons par les spectateurs, ou qui finit le concert en jouant avec... son postérieur : priceless), la playlist (redoutable) ne laisse pas une seule seconde de répit (petit bémol sur le "To Zanarkand" tout de même, dont la mélancolie peinait à faire corps avec le reste du programme)... et mieux encore : pas de One Winged Angel, pas de Chocobo Jazz, Mambo, Valse à trois temps, que-sais-je-encore, pas de thème d'Aerith, ni de Melodies of Life, ni d'Eyes on Me, ni de "What can I do for You ?". Un soulagement. En lieu et place, un véritable feu d'artifice de chaque instant, sans fausse note ou faute de goût. Uematsu, ce soir, est autant Gandalf que Frodo. Jugez plutôt :

 

 

 

 

- Battle at the Big Bridge

 

- Dancing Mad

 

- Decisive Battle

 

- Festival of the Hunt

 

- Force Your Way

 

- Fight with Seymour

 

- Homecoming again – Fanfare

(tiré de Symphonic Odysseys, le concert hommage à Uematsu

qui a eu lieu en Allemagne courant 2009)

 

- J-E-N-O-V-A

 

- Kefka (coup de coeur personnel)

 

- Maybe I'm a Lion

 

- Otherworld

 

- Those who Fight

 

- Those who Fight Further

 

 - To Zanarkand

 

 

 

 

 

Autant dire que ni les hipsters ignorant tout (ou peu s'en faut) de ce qu'ils venaient écouter, ni la Team-Final-Fantasy-X-en-force, ni l'absence de medley Mystic Forest/Haunted Train (soupir) n'auront terni l'éclat d'un événement à dimension humaine (petite salle, superbe cadre), intime, fiévreuse, jubilatoire. Alors que les Distant Worlds n'en finissent plus de s'embourgeoiser et tournent tristement à l'usine à gaz, quel plaisir que de redécouvrir ces thèmes emblématiques des épisodes VI-VII-VIII-IX-X façon Black Mages... en mieux (ce qui n'est pas peu dire). Pas de sentiment de déjà-entendu ce soir, même pour un vieux briscard grognon comme moi.
 
Un tour de force.

Sur le papier, ce concert-là ne payait peut-être pas de mine mais contre toutes attentes, c'était celui que les fans du bonhomme ne devaient manquer sous aucun prétexte (pas même celui de la manif' qui bloquait les accès à l'extérieur)... et si l'attente de la sortie d'un hypothétique CD live risque d'être longue (beaucoup ! C'est le moment de glisser CD Japan dans ses favoris, et d'investir dans l'album studio éponyme), impossible de ne pas se réjouir en apprenant que le bonhomme revient dans notre bonne capitale dès avril 2015, histoire de remettre ça.

Autre tournée, autre cadre, autre approche musicale, sans doute...

Mais n'est-ce pas une raison de plus pour rempiler aussi ?

 

 

 

 

 

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