Difficile d'imaginer une entrée en matière plus éloquente que celle de Fire Emblem : Three Houses. La série a certes coutume d'entamer les hostilités par des cinématiques aussi somptueuses que poignantes, mais cette bataille dantesque se distingue par son envergure sans précédent, et surtout par sa férocité surprenante pour une production estampillée Nintendo. D'autres séquences animées de la même trempe ne tardent d'ailleurs pas à lui emboîter le pas, parfois à des moments inattendus, et souvent tragiques. L'ombre de Game of Thrones plane à l'évidence sur cette histoire, portée par la partition résolument dramatique de Takeru Kanazaki, dont les habituelles symphonies épiques s'effacent presque devant l'ambiance mélancolique grandissante de la bande son dans son ensemble. En effet, les instants de légèreté n'offrent que de brefs répits face à la mort qui rôde constamment. Et pas seulement parce que cet épisode donne à son tour l'opportunité de déterminer d'emblée si tomber au champ d'honneur entraîne un retrait provisoire, ou un décès définitif assorti d'adieux larmoyants.

Construction dramaturgique

La narration se tient cependant éloignée de toute grandiloquence, grâce à la justesse des dialogues doublés en japonais et en anglais (une option proposée également dès le début). En prime, ils concernent l'intégralité des conversations, jusqu'à la plus insignifiante en apparence. Au delà de la montagne de texte que cela représente, quitte à en avoir le vertige ou d'éventuelles somnolences - d'aucuns le jugeront trop loquace - le récit parvient ainsi à insuffler davantage de caractère aux personnages, d'autant plus intéressants et marquants de fait. La perspective de devoir rapidement choisir de quelle maison notre héros, ou notre héroïne assurera la tutelle n'en devient que plus intimidante. Pourtant cette décision ne modifie dans l'absolu que le point de vue depuis lequel se déroulent les événements, alors que d'autres dilemmes nettement plus cornéliens se profilent à l'horizon. Car la plupart des discussions accompagnées de questions servent effectivement à se rapprocher des principaux protagonistes, des liens qui s'avèrent à terme extrêmement prégnants.

Programme Erasmus

A la façon de Persona, ils cachent des personnalités moins classiques que le character design le laisse augurer, et ne se dévoilent qu'au fil des échanges et du temps. Celui-ci suit un calendrier dont les jours, les semaines et les mois impriment le tempo de cette aventure, avec le monastère de Garreg Mach qui accueille la fine fleur des trois régions de Fódlan en guise de théâtre. Au regard des chouettes et autres hiboux volant parmi ses couloirs, cette académie rappelle Poudlard dans Harry Potter, un endroit propice à la naissance d'amitiés, voire à d'autres types de relations. Dans la veine des visual novels, les contacts avec ses ouailles influent sur leur attachement, à l'instar des cadeaux, des objets retrouvés et du partage de moments privilégiés, tels qu'un repas ou un thé, des séquences au fort parfum d'otome. Il faut donc apprendre à connaître les goûts de chacun pour espérer gagner leur sympathie, ou les recruter, un point là encore décisif plus tard. Rallier à sa cause des professeurs ou des étudiants issus d'autres maisons ne demande pas que du charme toutefois.

La vie monastique

Qu'il s'agisse de profiter de séminaires ou de renforts temporaires, certaines aptitudes (explicitement précisées) sont requises. Et elles s'acquièrent par l'expérience d'enseignant glanée en parallèle, via la multitude d'activités que renferme le monastère, y compris la collecte de livres. Ce lieu d'exploration assez gigantesque (dont les différentes zones s'ouvrent progressivement) comporte notamment un bassin de pêche associé à un mini jeu, une serre pour cultiver pléthore de plantes, un réfectoire afin d'y cuisiner, une cathédrale dédiée à la prière, à la chorale, ou aux interrogations confessionnelles, sans oublier un pavillon amiibo dans l'optique de récupérer régulièrement des ressources plus ou moins précieuses. Fort heureusement, la carte répertorie la localisation des individus, leurs potentielles interactions et ceux impliqués dans les quêtes, son usage se montre par conséquent crucial pour gérer ces occupations. Bien que certaines s'apparentent à de simples distractions, la majorité s'inscrivent dans l'esprit essentiellement collégial de Three Houses.

Catéchisme à la carte

Contrairement à la caserne d'Awakening ou au château de Fates, il y a vraiment de l'animation ponctuée de diverses célébrations dans cet univers. Les phases de quartier libre dépendent d'un capital de points qui matérialise les heures qui s'écoulent, et suscite un sentiment de tension permanent. Cette réserve augmente à mesure que notre instituteur élève son niveau, idem quant à la teneur de ses leçons. Elles consistent à prodiguer des cours plus ou moins particuliers en fonction des talents des élèves et de leur moral, à leur attribuer des corvées, et les instruire suivant les objectifs fixés, dans l'espoir d'obtenir des certificats, autrement dit de changer de classe par le biais d'examens. Libre à quiconque néanmoins de faire l'impasse sur cet aspect communautaire, de se délester des enseignements effectués automatiquement le cas échéant, ou même de s'affranchir des missions et autres escarmouches optionnelles. Inévitablement, la notoriété du professeur en pâtit, or cette influence se révèle très utile pour doper les caractéristiques de ses troupes en restaurant les statues de l'église.

Alliances au combat

Cela signifie aussi se priver de ce qui constitue le coeur de Three Houses, en l'occurrence les affinités croissantes entre les personnages, développées tout spécialement lors des séances de soutien sujettes à des confidences quelquefois fondamentales. Et cette dimension humaine s'exprime également sur le champ de bataille, à commencer par les coutumiers intermèdes initiés inopinément en plein pugilat. Plus concrètement, les alliances se traduisent toujours au combat par les statistiques rehaussées de ces unités lorsqu'elles luttent côte à côté, bonus tactiques idéalement à l'appui. L'avancée la plus frappante réside dans les escouades, qui se manifestent à la fois par l'augmentation de certaines compétences et par la possibilité d'effectuer des manoeuvres spécifiques. Celles-ci se résument par exemples à repousser les positions de l'adversité, à l'immobiliser, ou à altérer l'environnement. Leur mise en scène rend les affrontements éminemment plus spectaculaires, au point d'occasionner quelques saccades à l'image des déplacements dans l'immensité du monastère.

Fourmillantes batailles

D'autant que la présentation en trois dimensions et les mouvements dynamiques de caméras au plus près des joutes décuplent leur intensité. Plus globalement, la multiplication des belligérants et l'étalement des maps donnent aux batailles un aspect plus organique. Entre les variations atmosphériques et de relief du terrain, l'incursion de créatures colossales, et l'ambiance viscérale qui se dégage de ces arènes, la facette stratégique impitoyable de Fire Emblem tend presque à se fondre dans le décor. Elle n'en demeure pas moins présente, même si ses similitudes avec les échecs s'estompent sensiblement, a fortiori avec le secours de l'Impulsion Divine (à usage limité) qui permet ici encore de revenir en arrière. La modularité qu'autorisent les escouades, évolutives et composées de soldats de toutes sortes, illustre clairement ce phénomène, comme les assistants chargés de tâches fort pratiques que l'on a loisir d'allouer aux unités les plus méritantes. Certains puristes s'en plaindront, malgré un mode ardu calibré pour eux, en revanche ce volet y gagne indubitablement en richesse.

Des armes et des sorts critiques

De même, le fameux système triangulaire des classes conserve ses principes logiques, tel que l'avantage au corps à corps d'un épéiste sur un archer, ou de ce dernier sur un opposant aérien. Mais son application se déporte judicieusement sur les capacités, une massue se montrant plus efficace qu'une hache pour briser une armure. En outre ces armes ont à nouveau une durabilité restreinte, jusqu'à perdre quasiment toute leur force de frappe une fois usée. Et s'il est possible de les réparer à la forge pour un coût non négligeable, le recours aux capacités les abîme encore plus vite. C'est souvent le prix à payer pour faire pencher les confrontations en sa faveur, et même carrément inverser leur tournure, de surcroît avec les reliques. En sus, les magies se régénèrent toutes seules entre chaque conflit, ce qui procure aux lanceurs de sorts un pouvoir encore plus considérable. De cette somme d'ajustements résultent de profondes transformations du gameplay, plus intuitif et cohérent que jamais. En témoigne la méthode d'accession aux jobs, littéralement scolaire, fût-elle soumise à des sceaux.

L'heure des braves

Aucun épisode de la série n'a bénéficié d'une prise en main si simple, nonobstant les allures de long prologue didactique des premières (dizaines) d'heures, pour deux centaines au total. De la même manière que Fire Emblem : Three Houses pose lentement mais sûrement son intrigue, en tissant les rapports entre les personnages qui décuplent ensuite leur incidence scénaristique, vraiment bouleversante, dans la lignée de Genealogy of the Holy War, ses mécaniques s'appuient sur son héritage savamment élaboré et introduit pièce par pièce, pour mieux exulter à la fin. Une vision sur la durée qu'illustrent ses ouvertures en ligne délibérément réduites, entre la comparaison de résultats, les âmes fumantes des soldats d'autres joueurs qui hantent les funestes recoins des cartes (avec leurs trésors de guerre abandonnés sur place), et surtout l'échange d'unités en provenance du monde entier. Leurs souvenirs sont l'occasion d'étoffer son arsenal à prix réduit, tandis que les parties de cache-cache aident à renforcer son armée, tout particulièrement par l'apprentissage de techniques exotiques, en attendant les futurs DLC. Décidément, l'union fait la force.