Il est des jours où rien ne semble se passer comme on l'aurait souhaité. Tiré des bras du doux Morphée par un fantôme un brin à l'ouest, notre héros (bien dépourvu de bras, en l'occurrence) entame son improbable épopée en s'extirpant d'une grotte qui n'avait a priori rien à faire là. À peine aura-t-il le temps de goûter au doux parfum de la liberté retrouvée qu'une bande de villageois visiblement en pétard enferme sans ménagement notre pauvre héros, pris à son insu pour la bête du Gévaudan locale.

Jesus he knows me

Mais alors que tout semblait perdu, la bande de péquenots se rend compte de son jugement un peu hâtif, et s'empresse de relâcher le prévenu, non sans l'avoir fait jurer qu'il lui faudra réparer le pont récemment endommagé. C'est en débutant par cette simple quête que Piku va se retrouver sans trop le vouloir à la tête d'un petit groupe prônant la lutte armée, tentant à son humble niveau de lutter contre les dérives visibles du capitalisme devenu fou. C'est que contrairement aux apparences, tout n'est pas si joyeux que cela dans le petit monde coloré de Pikuniku : la nouvelle pépite signée Devolver s'ouvre en effet sur une belle séquence d'esbroufe qui nous laisse découvrir ce qui résulte sans doute du croisement entre le télévangéliste sans scrupule et le YouTubeur sans amour propre. Dans cet univers où la nature conserve encore une partie de ses droits, un sombre entrepreneur achète en effet la conscience du peuple à grands coups d'espèces sonnantes et trébuchantes, et envoie en contre-partie ses robots géants récolter tous les matériaux qui dépassent, y compris des forêts entières. Le problème, c'est que l'écosystème dans son ensemble risque vite d'y passer, à ce rythme-là.

Le peuple de l'herbe

Heureusement, la vie est parfois bien faite, et notre héros aux jambes de faucheux va de fil en aiguille rencontrer un trio de résistants à l'envahisseur au gré de ses pérégrinations. Il faut dire que Pikuniku parvient toujours à vous guider sur la tâche à accomplir, sans jamais vous restreindre ou forcer le destin : chacune des trois grandes zones du jeu fourmille d'autochtones ayant chacun besoin d'un coup de main plus ou moins grand, et pas forcément obligatoire. À l'heure des jeux à chemins scriptés, Pikuniku vous offre un sentiment de liberté appréciable : située quelque part entre le jeu d'aventure et de plate-forme ; l'aventure vous poussera à récolter de nombreux items pas forcément nécessaires pour avancer, mais qui incitent toujours à explorer les environs plus que de raison, et parce qu'un bon mot peut débarquer au détour de n'importe quelle ligne de dialogue.

Gravity's a bitch

Chaque personnage pourra aussi bien vous envoyer bouler, ou vous entraîner dans une phase de plate-forme pas toujours évidente, la faute à une physique bien particulière couplée à un centre de gravité tout aussi singulier. Dépourvu de bras et doté de gambettes à ne plus savoir qu'en faire, notre héros a bien souvent du mal à atterrir comme il le voudrait. Et si le comique de la situation l'emporte souvent sur le reste, certains passages requièrent tout de même suffisamment de doigté pour faire rager de temps à autre. La palette d'actions est pourtant simple, puisque Piku devra se contenter d'un saut, d'un coup de pied et d'une rétractation en boule qui lui permet d'avancer bien plus rapidement, la physique s'occupant du reste. Le jeu profite en effet très largement de la gravité, en usant des crânes, tonneaux et autres boules en tous genres qu'il vous faudra bien souvent conduire tant bien que mal vers un bouton correspondant.

La beu-bar à papa

Chaque phase de gameplay sera surtout prétexte à dérouler une galerie de personnages loufoques servis par une écriture sarcastique et second degré au possible, qui devrait déclencher ici et là quelques francs éclats de rire. Pikuniku traite en l'espace de quelques heures de vrais et nombreux sujets de société, en citant ni vu ni connu du Brooklyn 99 ou du Westworld, histoire de se mettre dans la poche une bonne partie de la rédaction. Difficile de ne pas projeter dans cet univers peu prompt à la critique et à la remise en cause les troubles de notre époque. Véritable plaidoyer caustique d'un retour à la raison, Pikuniku joue de sa candeur visuelle proche des Barbapapa pour dérouler un enchaînement d'événements absurdes qui s'accorderait parfaitement avec l'univers des Shadocks. Quel dommage que la musique n'ait cependant pas bénéficié du même soin : si quelques épreuves sortent du lot sur le plan sonore, l'aventure dans sa globalité fait preuve d'une répétitivité qui finit rapidement par lasser.

Sushi et maquis

L'oppresseur industriel étant vaincu en quatre heures douche comprise, c'est vers le mode co-opératif qu'il faudra ensuite se tourner pour prolonger la durée de vie de cette courte aventure. Cela tombe bien : les dix épreuves proposées s'accordent à merveille avec le gameplay basé sur la physique, en réussissant à décliner des mécaniques simples dans des genres assez différents, du duel de panier aux accents de Rayman Legends à la course de voiture qui finira nécessairement dans un éclat de rire général. Si l'aventure laissera quelques bonus à dénicher aux joueurs les plus forcenés, c'est clairement pour son mode coopératif que l'on relancera Pikuniku dès qu'un pote pointera le bout de son nez à la maison.