Testé à partir d'une version import japonaise.

Dès le début, 7th Dragon 2020 nous balance à la gueule une intro chantée par Hatsune Miku, l'idol virtuelle ultra populaire au Japon, dont même le Grand Journal s'est tristement fait l'écho. Au-delà du sens aiguisé de la promo croisée, l'important dans ce clip, ce sont les noms qui défilent, des artistes reconnus et utilisés quasiment comme un appeau à gamers. Rieko Kodama. Kazuya Ninou. Yuzo Koshiro. Ils ont écrit les plus belles pages du jeu vidéo désormais old school, de Phantasy Star à Streets of Rage. L'important pour Sega, c'est que tout le monde sache qu'ils sont tous unis derrière ce projet destiné autant à plaire aux vieux de la vieille qu'à faire revenir les brebis égarées. A un moment, 7th Dragon 2020 se permet même de placer une vanne sur El Shaddai. Ils ont tout compris. "JRPG is not dead".

Une étoile est née

Mais 7th Dragon n'est en aucune façon un concept nouveau. Sorti il y a 3 ans sur DS, le premier jeu de la série marquait déjà l'envie de Sega de créer son propre "Etrian Odyssey". Bien connu des joueurs de RPG, le jeu d'Atlus a relancé la vague des JRPG "hardcore", ceux aux contours modestes mais à l'efficacité redoutable. La vague rétro des RPG à la Eye of Beholder et Wizardry s'est propagée sur portables, véritables eldorados de l'exploration de donjons. Derrière cette nouvelle donne se cache le fameux Kazuya Ninou. Après Etrian, la série qu'il a créée pour Atlus, il a rejoint l'éditeur aussi modeste que son nom baroque le suggère. "Imageepoch", à la limite de la faute de typo. Leur crédo ? "Puisque personne ne fait de RPG à la japonaise, nous, on va le faire". "JRPG" est devenu un sigle, incarné depuis par le nom d'un site dédié où ils enchaînent les jeux aussi fréquemment que les déclarations d'intention. Leur premier RPG HD sortira cette année.

Quand à Ninou, leur goldenboy maison, il a réalisé coup sur coup des hits de niche. On se souviendra de Last Ranker pour Capcom et des expériences telles que Black Rock Shooter, utilisant un matériel vierge de toute consistance pour expérimenter différentes voies. La PSP est d'ailleurs le canevas idéal pour ça. Comme un dessinateur et un musicien, tout comme son collègue Matsuno, Ninou a une vraie patte, des idées assez claires pour faire vivre ses RPG, quelques fulgurances qu'on va retrouver jusque dans 7th Dragon 2020.

"All your base are belong to us"

Sa marque de fabrique, depuis Etrian Odyssey, c'est de mettre le héros en retrait pour mieux laisser respirer le système de jeu, toujours avec des bases solides. Ca tombe bien, la tendance c'est le héros désincarné. Ou plutôt c'est d'en faire une coquille vide que le joueur doit remplir. Un peu "do it yourself", comme dans Dark Souls ou, or donc, Etrian Odyssey, ces avatars ne sont finalement que de bons soldats au service de la mécanique de 2020. Ici, les professions seront Samurai, Psychic, Destroyer, Hacker et Trickster, suffisamment explicites pour qu'on en devine leur équivalence dans un monde "héroic fantasy". Ninou simplifie faussement ses systèmes, pour laisser ensuite d'énormes possibilités de customisations très précises. Et cette fois, en plus d'être cruel sur la difficulté, il a décidé que notre équipe de secouristes du futur ne pourra pas compter plus de 3 membres permanents.

Tokyo Decadence

D'une ambiance "armures, épées et heroic fantasy", 2020 bascule dans un urbanisme exacerbé que ne renieraient pas les Persona. Avec son design coloré pour les héros tous vêtus de fringues qui semblent sortir du dressing Nomura, le tout dans un monde contemporain post-apocalyptique, 7th Dragon 2020 se la joue rupture tranquille avec son prédécesseur. Il s'agira une fois de plus de libérer le monde du joug des dragons. Un indicateur, tel un compteur Geiger, indiquant leur degré de domination sur chaque zone. Dès les premières escarmouches, on comprend vite que la ville que l'on doit délivrer de la menace draconique n'est autre que Tokyo ! La bonne vieille ville qu'on croyait coincée "entre tradition et modernité", n'est plus qu'un champ de ruines. Shibuya en miettes, Shinjuku sans le moindre néon, pas un chat dehors. La gare d'Ikeburo toute chamboulée va ainsi devenir une vraie Tour de Babel à escalader, et les débris de wagons de la Yamanote en seront les marches. C'est en toute logique depuis les restes du Tôchô, le bâtiment qui abritait autrefois le gouvernement japonais, que va s'organiser la résistance, et le refuge où seront renvoyés les quelques survivants qui n'auront pas été croqués par les dragons.

Cool & Radical

La mécanique de 2020 est en fait assez simple, ce qui rend les combats très rythmés, quasiment à la Dragon Quest. L'ombre des "FOE" d'Etrian Odyssey plane sur les combats. Il s'agit de ces ennemis, largement plus puissants et résistants que les monstres lambda. Les tuer fera baisser le taux de dragons dans l'air... mais à quel prix. Pire encore, si un autre dragon se trouve être à proximité du combat, ce dernier va se taper l'incruste, histoire de vous écraser plus facilement. 2020 propose dès le début de l'aventure une option pour joueurs casuals. C'est d'ailleurs quasiment la norme. De l'enfantin FFXIII-2 à un Saigo no Yakusoku no Monogatari, difficile à s'en ouvrir les veines, tous proposent maintenant une alternative light qui, en général, a pour effet d'augmenter un peu l'expérience pour que le salaryman ne passe pas sa vie à faire des allez-retours dans des couloirs. Il faudra quand même s'accrocher. Comme dans Dragon Quest, l'aventure est assez millimétrée et il n'est pas rare d'achever le gros boss dragon avec un ultime perso à l'agonie.

Ce qui différencie 2020 des dizaines d'autres jeux de donjons qui sortent chaque année, c'est cette fameuse tour gouvernementale qui va, au fur et à mesure, se faire ravaler sa façade. Des étages condamnés seront réaménagés. Les survivants vont s'organiser. Un peu comme dans Soulblader ou Actraiser, la vie reprendra ses droits pendant que vous irez rosser du dragon. Il faudra parfois récupérer des matériaux pour cela, mais certaines salles remises en état vous permettront de mieux arpenter les quartiers de Tokyo. Ainsi, avec un peu de matériel de récup', un QG mieux équipé vous fera bénéficier de nouvelles techniques de soutien pour se repérer dans les souterrains. Les ennemis seront plus faciles à détecter. Plus de soins. On prend tout ce qu'on peut. La survie de la race humaine s'organise.

Production Stardom

On peut s'étonner de la direction artistique, mélangeant des décors connus (le fameux croisement de Shibuya), des personnages soignés et de la SD. Il faut y voir une volonté de Rieko Kodama (productrice de Phantasy Star) de revenir à une certaine tradition des RPG génération 16-bits. Et il n'y avait pas meilleur choix que Yuzo Koshiro pour mettre en musique 7th Dragon 2020. On a du mal à évoquer sans vibrer les oppressantes compositions techno-urbaines de Streets of Rage et les poussées épiques d'Actraiser. Le génie de Koshiro, c'était de savoir utiliser à la perfection le matos de son temps pour se fondre dans le genre voulu. On en serait presque à regretter l'avènement du CD tant les limitations d'autrefois donnaient un cachet à son œuvre. Pour une fois, il est utilisé dans le cadre d'un RPG post-apocalyptique, ce qui lui permet de signer une musique plus agressive que sa compo d'Etrian Odyssey. Encore lui.

Sega fait honneur à son histoire de créateur renommé de RPG. Ce n'est certes pas Phantasy Star, mais en mettant dans le même bain sa productrice ainsi le réalisateur de JRPG le plus efficace du moment, cela ne pouvait faire que des étincelles. Racé et radical, 7th Dragon 2020 a la patate d'un jeu Falcom et le charme d'un Etrian Odyssey. Alors un conseil : je serais Square Enix, plutôt que de préparer des Final Fantasy XIII-3 qui finiront par lasser même les plus courageux, et puis aussi pour faire oublier l'erreur d'avoir laissé filer Matsuno, je regarderais attentivement ce qui se passe ici. Un jeu qui n'annonce aucune révolution, mais qui déroule méticuleusement son programme post-apocalyptique. Une aventure néo-old school comme on aimerait en jouer plus souvent.