« Paris en automne, les derniers mois de l'année... Et la fin d'un millénaire. Paris évoque en moins des souvenirs de café, d'amour... et de mort.» Nom d'une pipe, nous étions en 1996, le PC était peut être rôdé aux click'n play mais pas les joueurs consoles dont le support Playstation a permis aux Chevaliers de Baphomet d'avoir un si grand succès. Il reste encore aujourd'hui avec sa suite Les Boucliers de Quetzalcoatl, comme un des tous meilleurs jeux du genre grâce à une écriture fine, subtile, des énigmes non linéaires, un graphisme à tomber et une voix française d'une rare expressivité. Bref, le must. Hélas, la série s'est ternie avec un troisième épisode 3D pour consoles très simplifié et un quatrième épisode au look réaliste et austère. Ce cinquième épisode a été en partie financé via Kickstarter, même si Revolution avait annoncé le jeu avant l'explosion du financement participatif et se lance comme défi de retrouver la qualité originale de la série. Hélas, il faudra se contenter aujourd'hui que la première moitié du jeu, le créateur, Charles Cecil, voulait tenir sa promesse de sortir le jeu en fin 2013 sans pour autant bâcler le travail. D'où le compromis qui nous vaudra quand même un petit 6 heures de jeu.

Paris au printemps...

Dans cette aventure, notre avocat Georges Stobbart, avec deux b et deux t, avocat de profession est assureur (oui, le métier de Georges est très changeant – son acte de naissance aussi puisqu'il affirme être né en Californie alors que selon les premiers épisodes, il vient de l'Idaho). Sa compagnie travaille à Paris et assure une exposition d'une galerie d'art. Alors qu'il rencontre à tout hasard Nico au sein même de la galerie, un tableau est volé et son propriétaire tué. Le duo americano-français reprend du service, l'un pour garder son boulot d'assureur, l'autre pour enfin faire la Une de son journal.

Les bases sont là, le début de l'aventure ressemble aux premières aventures avec un accident semblant anodin qui va nous amener vers une plus grande machination et un soupçon de surnaturel... Que l'on ne verra qu'à la deuxième partie. En effet, on se concentre ici sur le développement du meurtre et du vol, dans un angle rationnel. Toute la mythologie des gnostiques (des pécheurs selon l'Eglise catholique) sera traitée au travers du tableau volée appelé « la Maledicón », plus en profondeur dans la suite, on imagine. Pour l'heure, cette première partie a un semblant d'enquête policière. Il faudra évidement interroger les personnages liés à l'affaire de manière à prouver ses dires en affirmant dans un premier temps des propos via une icône de conversation pour ensuite le prouver en cliquant sur l'icône d'un objet. Un concept intéressant qui force le joueur à hiérarchiser les discussions, et de faire l'association entre les objets trouvés et leur sens. Hélas, c'est trop simple. Le jeu est tout simplement trop simple. Ce n'est pas une question de facilité, c'est une question d'énigmes limitées car trop confinées par les faibles interactions disponibles dans des décors assez fermés (par divers astuces de scénario comme la Police vous empêchant d'entrer ou de sortir d'une pièce). Le jeu est aussi dirigiste puisque la map offrant le choix de direction est un leurre, fermant à double tour la moindre possibilité d'interaction si vous choisissez le mauvais lieu. Alors qu'il était possible dans le premier épisode de tourner en rond, perdu par le nombre de clics possibles, parfois même par des actions différentes sur un même objet. C'est fini tout ça. Par sa linéarité et la simplicité des énigmes (rien de farfelu, en plus de ça), Broken Sword 5 est une ballade santé où vous reposerez vos neurones. Il y a un gros manque de créativité dans les objets utilisés, dans les discours que ça entraine comme quand vous présentiez votre mouchoir de fard blanc au quidam du coin dans Baphmet 1... Ici, rien de tout ça, Georges allant jusqu'à refuser de présenter un objet jugeant l'acte inutile. Ces contraintes empêchent ainsi l'écriture de dialogues absurdes et fun. Mais en limitant les objets à leur fonction première (un trombone pour déverrouiller un loquet, comme c'est original... Se servir d'une pièce comme tournevis, comme c'est brillant), la créativité du joueur n'est pas stimulé, empêchant toute forme de tentative absurde, fun, ridicule d'interaction avec les objets, empêchant par conséquence l'écriture d'énigmes intéressantes et tordues. Ceci n'étant pas aidé par le manque d'interactions dans les décors confinés.

George, le sage

Cette première partie de La Malédiction du Serpent nous dévoile surtout le ton et la direction artistique du titre. Et à vrai dire, il fait plus penser au troisième épisode qu'aux originaux. Le tout est en fait trop sage. On a bien quelques petites piques, quelques sarcasmes de Georges ici ou là et parfois devant l'humour pince-sans-rire de quelques personnages déclenchent des éclats de rire, grâce à une bonne version française où l'on retrouve évidement Emmanuel Curtil, mais aussi Françoise Cadol pour Nico. Le jeu est en fait, blindé de fan service puisque l'on retrouvera des personnages bien connus comme Hector Laine. Vous ne vous souvenez peut être pas de son nom mais c'est lui qui boit du vin ayant un goût de pisse à la Galerie Glease dans Quetzalcoatl. Vous retrouverez aussi l'agent Moue et un autre personnage déjà vu... Bref, chacun retrouve leur comédien de doublage respectif. Là où l'on veut en venir c'est que l'on voit la différence entre le character design et le jeu d'acteur des anciens personnages et les nouveaux. Il manque chez ces nouveaux personnages un soupçon d'excentricité, de couleur, de figure caricaturale, ils sont tout propres sur eux, manquent de traits physique exagérés, caricaturés où l'on pouvait rire d'eux. Tout ça est propret, avec le jeu d'acteur qui va avec. On a ainsi du mal à vraiment rire de ces personnages qui ont peu de caractère (à part l'inspecteur Navet assez ridicule avec sa voix de canard trop bête pour être vraie ; Rosso et ses capacités physiques sont battues dans le crétinisme), manque d'envolées lyriques de leurs acteurs, manque de jeux de mot, à cause entre autres de dialogues limitées, avec des énigmes simplettes, donc des objets pas inspirés.

Même si le jeu est en 2D, il est aussi techniquement très limité. Un background jpeg, un petit calque au premier plan pour créer un semblant de relief et basta. Les personnages étant en 3D, ils sont certes bien incrustés grâce à une petite touche de cell-shading mais leur animation rigide et limitée trahit l’homogénéité présumée. Rappelons que le moteur de Baphomet 1 et 2 animait George dans absolument tous ses gestes : pour prendre un objet, ou pour de tenter de résoudre une énigme de la mauvaise façon. Ici, fidèle aux click'n plays d'aujourd'hui, on anime uniquement ce qui marche et on anime en deux images fixes la prise d'un objet dans le décors statique... C'est fade et froid, c'est typiquement ce qui cloche dans les click'n play d'aujourd'hui. Kickstarter ou pas, manque de moyens ou pas, ça choque. Si l'on combine la rigidité des animations, leur faible nombre avec des énigmes faciles car cloisonnées et dirigées, vous comprenez aisément pourquoi ce Broken Sword n'est pas franchement palpitant, ludiquement parlant.

Comme écrit plus haut, l'absence de dialogues bien senties (trop peu au regard du passif de la série) n'aide pas à apprécier les nouveaux personnages fades car trop « réalistes », entendez par là une carrure moyenne, des costumes classiques... Un manque de folie évident. Ce qui est même assez illogique puisque l'on est censé retrouver le style cartoon de l'époque, on aurait pu et même dû se permettre plus de gueules cassées, plus de gros bides, plus de décharnés, etc etc. Si la 2D est évidement fine (c'est un dessin numérique), le jeu est tout de même multicolor, pas mal pétant, assez brut : du jaune, du vert, du rouge, du bleu, c'est très coloré, voir un peu trop à cause d'un manque de nuances. On regrette l'absence de quelques plans d'ambiance tels le Paris orangée, le Marseille de nuit, le manque d'ombres aussi aurait permis d'ajouter un peu de relief à ces décors plats. On notera que l'on a la possibilité de passer en mode « classique » pour les sous-titres et le menu. Les textes seront alors en couleurs au dessus des têtes des personnages comme dans les 90's. Le menu dit « classique » permet aussi d'ouvrir l'inventaire en amenant la souris au bas de l'écran. Si vous ne changez pas dans les options, vous allez vous farcir des sous-titres encadrés sur un fond blanc immonde cachant une partie du décors, tout en vous obligeant à cliquer pour ouvrir le menu des objets... De très mauvais choix ergonomiques.

Il est enfin impossible de bien jauger la qualité du scénario. On apprécie le fait que le meurtre soit élucidé petit à petit comme un policier, que petit à petit les pièces du premier puzzle s'assemblent au fil des découvertes mais la vraie aventure, et toute la partie « conspiration » ne devrait débuter qu'à la deuxième partie, suite à un joli cliffhanger qui a le mérite de nous réveiller après hélas une suite de scènes simplettes.

Autant vous le dire tout de suite, il ne s'agit pas du grand renouveau de Broken Sword. Il s'agit d'un click'n play sympathique jouant la carte de la nostalgie mais qui n'a guère de qualités propres pour se montrer aussi captivant, aussi riche que les deux premiers épisodes. C'est coloré, on a quelques répliques (et non dialogues, notez la nuance) amusantes, on retrouve une VF qui aide à entretenir un peu de charme, on a une 2D qui est toujours plus agréable qu'une 3D grossière... Mais on a l'absence de créativité de l'époque. Le jeu est simple, trop simple, manque d'imagination à la fois dans l'écriture de ses énigmes que dans la richesse de ses dialogues ou l'écriture des nouveaux personnages, même si le clone graphique de Vladimir Poutine en oligarque russe fictif est un clin d’œil assez couillu. Il ne demande qu'à être poussé dans la deuxième partie. Broken Sword 5 est très léger mais a le mérite de nous faire vivre une aventure assez sympathique, nostalgique que l'on espère plus relevé en second moitié, même si l'on n'y croit pas au vu du game design restrictif.

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