Le 27 décembre 2010 :

La motivation pour quitter la maison est au plus bas, mais j'arrive finalement à me faire une raison d'affronter le verglas. Pas assez tôt pour arriver à l'heure au staff. J'en profite donc pour me chercher une nouvelle blouse et attendre tranquillement mes coexternes dans le bureau.
14 patients pour 4 externes. J'en prendrai trois que je connais bien. Mais même pas la peine d'aller les voir, Daniel arrive pour la visite.
Rien de particulier à noter, sauf quand Daniel a dit vouloir fêter un anniversaire lors de la prochaine commission de fluidité : un de nos patients est là depuis un an. Ça laisse songeur... Mais pas le temps de rêver, ce soir, garde aux urgences.

Le 29 décembre 2010 :

Après m'être accroché (c'est la saison) avec Nicolas Z. sur les patients à prendre, je me retrouve avec deux des patients que j'avais avant-hier, et deux patients qui vont au bloc aujourd'hui. Deux observations express à faire juste avant le staff demain. Gniiiiiii.
Vu qu'il est encore tôt et que les patients petit-déjeunent, je traîne un long moment telle une âme en peine.

Le premier patient, un amputé des deux jambes, gémit depuis mon arrivée : Daniel lui a curé son escarre, mais l'infirmière pas au courant de l'acte, ne lui a pas mis sa dose d'antalgiques. Ahem...
Le deuxième, un pontage aorto-bi-iliaque qui a passé un long moment en réanimation après avoir contracté un hématome rétro-péritonéal en post-opératoire, me dit qu'il va bien.
A noter qu'on leur recherche des centres de convalescence depuis des semaines.

Edwige arrive enfin ; Alexandros, l'interne grec, la rejoint peu après : la visite quotidienne peut commencer. A peine trois lits passés en revue, Marie me tire la manche pour me dire qu'il y a un problème avec mon deuxième patient.

Il crie et a l'air totalement paniqué : il a eu la surprise d'uriner du sang, en plus de souffrir le martyr quand il le fait.
Alexandros me demande d'appeler l'interne d'urologie pour lui demander de passer le voir. Puis me demande de prescrire un ECBU le temps que celui-ci descende nous voir. Je n'ai d'ailleurs pas pu le voir.

Alexandros, lui-même pris de court, me demande de pratiquer un toucher rectal, avant de se raviser et de se mettre en tête de m'apprendre à poser une sonde urinaire.
L'infirmière le fera finalement à sa place. Je ne m'en suis pas mal sorti, sauf mon inaptitude manifeste à manier les pénis non circoncis.

Après ça, je pars voir mon interne. Je tombe sur lui et l'infirmière de consultation en train de se prendre le chou sur un rendez-vous urgent à prendre. Elle refuse d'abord, avant de céder, non sans l'insulter. Il est choqué, moi aussi, mais il reste étonnamment calme. L'infirmière se justifiera en disant parler de la même manière au chef de service « quand il l'emmerde ». Je ne pense pas, non...

Pour le TR, Alexandros me dit de laisser tomber : sa tension est tombée à 7 (alors qu'elle est normalement à 11), sans doute le début d'un choc hémorragique.
Une fois le dossier du patient dûment modifié, je vais en orthopédie pour valider mon stage précédent auprès du patron. Puis, je m'en vais.

 

Ah, d'accord, sympa le tarif des opérations pratiquées par ses élèves...

Malgré cette journée riche, pourquoi ai-je un arrière-goût amer en écrivant tout ça ?

Le 30 décembre 2010 :

Finalement, sur les deux patients pour lesquels je craignais de faire une observation, un est resté en réanimation, l'autre en avait déjà une d'écrite.
Ce qui n'a pas empêché mon ratage total lors de la visite : embrouillé dans mes papiers, j'ai présenté un patient avec un dossier qui n'était pas le sien. Le Pr. Deg et Edwige m'ont passé un sacré savon...

A la fin de celle-ci, nous pouvions y aller. Mais au moment où l'on s'apprête à mettre les voiles, Romain vient nous dire qu'il faut qu'un externe se rende au bloc, vu que les deux qui y sont affecté ont pris la poudre d'escampette.
Nicolas Z. est terrorisé par la perspective de s'y rendre et crie presque sur le messager... Mais Marion décide à se sacrifier. Super, je peux rentrer chez moi !

Hmmm...

Et puis merde, pas question que ce soit toujours les mêmes qui trinquent, j'y vais. Romain m'assure qu'une fistule artério veineuse ne prend pas plus de 45 minutes, qu'il descendra me remplacer ensuite. Et ajoute que je serai l'aide-opératoire... d'Amélie. Dès qu'il a dit ça, je savais que mon sort était scellé. Il est 11h30 quand je descends.
Je m'habille, je m'enfourne un sandwich qui traînait dans le frigo du bureau des vasculaires et c'est parti. Bon, autant en profiter pour expliquer : la fistule artério-veineuse, qu'est-ce que c'est ?

Vous connaissez tous le rein ; outre ses fonctions hormonales diverses, son rôle principal s'apparente à la filtration de tous les déchets qui s'accumulent dans le sang. Le résultat de ce processus actif et passif est l'urine, qui va ensuite s'accumuler dans la vessie, pour être évacué lors de la miction.

Différentes étiologies (le diabète, par exemple) peuvent entraver cette fonction, et parfois même la rendre irréversiblement indisponible : c'est l'insuffisance rénale chronique. Et donc, vous vous doutez bien que sans nettoyage du sang, le pronostic vital est en jeu...
A partir de là, deux solutions.

La plus simple, mais aussi la plus difficilement accessible : la greffe. On remplace le rein déficient par celui d'un généreux donneur. Si les immunosuppresseurs empêchent bien l'hôte de s'attaquer à la greffe (réaction immunologique normale), le retour de la fonction rénale se fait rapidement.

Mais, bien sûr, il n'y a pas assez de donneurs. D'où la deuxième solution, plus complexe, mais plus répandue : la dialyse. Pour schématiser, on fait une sortie veineuse où le sang est extrait du corps du patient pour être passé dans une machine qui le purge ; ensuite, celui-ci est réintégré par une entrée veineuse, placée un peu plus en aval vers le cœur.
En moyenne, il faut trois dialyses de trois heures par semaine pour remplacer la fonction rénale.
Et la fistule artério-veineuse, dans tout ça ? C'est l'un des éléments clés de la dialyse.
Il faut savoir que les artères déversent leur sang riche en oxygène sous l'impulsion du cœur. Il est donc propulsé dans les tissus, là, où le système veineux ne fait remonter le sang pauvre en oxygène que par pression passive : c'est pour cela qu'une artère bat, et pas une veine.
Si on se contentait de mettre l'entrée et la sortie de la machine sur une veine non modifiée, la dialyse prendrait des heures, si ce n'est plus. Le moyen qu'on a donc trouvé pour dynamiser la circulation veineuse est donc la fistule. Placée au niveau du bras ou du poignet, on ouvre une artère et une veine pour les accoler et les suturer l'une à l'autre. Ainsi, la veine profite de la pression active de l'artère pour se mettre à battre à son tour, et ainsi accélérer sa circulation. La dialyse est donc plus rapide.

Schéma d'une fistule ©Creative Commons

 

Je reprends donc.

Une fois n'est pas coutume, l'opération se passe plutôt bien, malgré l'artère rétrécie et un peu calcifiée, ce qui a peu compliqué l'intervention.
Au moment où je m'apprêtais à partir, Amélie me dit qu'elle a besoin de moi pour la pose d'un cathéter de l'artère sous clavière sur la même patiente. Ah, ce n'était pas prévu. Et Romain ne s'est pas montré.

Je sortirai à 15h30. Amélie est toujours aussi « charmante ». Je suis colère, les enfants, je suis colère ; je suis violence parce que je suis trahison.

Journée de merde.

Le 31 décembre 2010 :

Aujourd'hui, j'arrive en retard de deux heures. Je n'avais juste pas envie de me lever. Sans grande conséquence, heureusement, vu qu'il n'y avait strictement rien à faire.
Edwige m'explique pourquoi mon patient de la veille avait une hématurie : son pontage de l'aorte s'était en fait spontanément fistulisé avec la vessie, d'où le saignement continu malgré les lavages en série. Il a été repris au bloc par le Pr. Deg. Là, il est en réanimation, sous observation.

Mais je m'en préoccuperai l'an prochain.