Faute de pouvoir découvrir le très curieux Wattam, il faudra peut-être compter avec Donut County, une bizarrerie aussi colorée et improbable que les productions du célèbre game designer japonais. Plot twist : cette fable farfelue nous vient cette fois des États-Unis, et mine de rien, ça change tout.

J'suis l'poinçonneur de L.A.

Donut County raconte comme ne l'indique absolument pas son titre l'histoire d'un raton-laveur employé par une franchise de livraison de donuts à domicile. Et si le business florissant de ces pâtisseries pleines de gras prospère rapidement Outre-Atlantique, l'entreprise tenue par ce gang de chats sauvages tourne vite rapidement court à mesure qu'un mystérieux trou englouti absolument tout sur son passage après chaque commande.

Nous retrouvons donc BK le raton-laveur à mille pieds sous terre, entouré de toutes ses pauvres victimes peu aptes à philosopher sur leur sort. Donut County déroule son histoire en laissant tour-à-tour la parole à ces consommateurs fainéants adeptes de la livraison à domicile, qui tentent malgré toute la mauvaise foi de BK de lui faire porter le chapeau, et éventuellement de lui extorquer quelque excuse pour ses méfaits. Le joueur alternera donc systématiquement entre une brève discussion au coin du feu qui rappellerait presque un certain "Intro to Felt Surrogacy" - les chansons en moins, et quelques coins bien connu de Los Angeles, y compris un certain observatoire aperçu dans La Fureur de Vivre et évidemment repris par The Simpsons. Pop culture, quand tu nous tiens...

Sad but Trou

Le jeu de Ben Esposito profite d'une écriture parodique et impertinente, puisque laissant la parole aux jeunes californiens accro à leurs smartphones et ayant depuis longtemps laissé derrière eux toute forme de ponctuation. On en compte plus les clins d'oeil propre à cette nouvelle forme de communication, entre LOL bien sentis et corrections accompagnées d'un astérisque*. Mais le propos ne se limite heureusement pas à une critique facile des oublis grammaticaux des jeunes générations, puisque le game designer qualifie lui-même son oeuvre de plaidoyer contre la gentrification en cours à Los Angeles. Si si. Mais avant d'en venir à gloser sur des considérations sociétales, il faut bien définir ce qu'est Donut County, à savoir un jeu dans lequel vous incarnez un trou avide de destruction et s'élargissant à chaque objet ingurgité. Le jeu pourrait bien s'apparenter à un reflet déformé de Katamari Damacy auquel il emprunte de nombreux éléments : plutôt que d'agglomérer à l'infini des objets par centaines, il vous faut ici tout faire disparaître, non sans une pincée de réflexion.

Si les premiers niveaux déroulent ce principe très simple, vous aurez par la suite l'occasion de découvrir une palette de mécaniques tirant parti de ce gouffre presque sans fond, puisque viendront progressivement s'ajouter une catapulte, ou encore la possibilité de passer de l'état de trou à celui de flaque d'eau. Et la bonne vingtaine d'environnements ne manquera pas d'idées pour ne pas tomber dans une certaine forme de monotonie : avec ces quelques éléments fort simples, Donut County réussit à renouveler le fun, en vous proposant par exemple d'utiliser une carotte pour faire s'accoupler des couples de lapins, ou encore de faire jaillir du pop corn après avoir avalé un feu de camp et quelques épis de maïs.

Black Hole Seum

Il ne faudra en revanche pas s'attendre à une grande technicité ou à un challenge particulier : pour peu que vous compreniez ce qu'un niveau attend de vous (et ce n'est pas toujours gagné du premier coup), il vous suffira d'y aller progressivement en élargissant peu à peu l'orifice avec tout ce qui vous tombe sous la main pour engloutir sans souci l'intégralité des éléments présents à l'écran. Seul le dernier stage séquencé en plusieurs étapes vient s'affranchir de ce carcan, en s'achevant par un boss de fin un chouïa trop simple pour opposer une véritable résistance. C'est d'autant plus dommage que le concept laissait alors entrevoir un potentiel certain.

Autant dire que même avec un principe de base aussi simple, les éclats de rires seront surtout à mettre au crédit de la variété de situations rencontrées. Et de ce point de vue, Ben Esposito réussit à ne jamais vraiment lasser, même s'il faudra pour cela se contenter d'une aventure aussi brève que sympathique, puisqu'il ne faudra pas plus de deux ou trois heures à n'importe quel joueur pour voir arriver le générique de fin, et sa cohorte de remerciements débiles à souhait. Les complétionnistes et ceux qui aiment simplement faire durer le plaisir se tourneront vers les trophées pour trouver un peu de grain à moudre, d'autant plus que la galerie d'objets à récolter s'accompagne systématiquement d'une description désopilante, qui a en plus le mérite de nous faire réfléchir sur le sens des mots et notre façon de décrire les choses.

Est-ce Esposito ?

Bien entendu, avec une si brève étreinte, la faim se fera rapidement sentir, et l'envie d'aller plus loin se heurte malheureusement à la brièveté du concept. Appliquant un principe simple sans volonté de vouloir délayer la sauce à outrance, Donut County est victime de son statut de délicieuse sucrerie trop rapidement engloutie. Mais s'il ne s'arrête pas au glaçage, le joueur un brin curieux des déclarations d'Esposito concernant le donut comme l'un des rares étendards pas encore entièrement tombé dans l'escarcelle de l'industrie normative, il se cache derrière ce jeu éphémère une sympathique critique sociale qui a le bon goût de rester particulièrement discrète, quitte à attendre les dernières minutes pour appuyer son plaidoyer sur la surconsommation de l'être humaine et de la place des animaux dans la gestion des déchets.

Les autres s'en ficheront complètement, et ne bouderont cependant pas leur plaisir à s'essayer à un concept régressif et délicieusement jouissif, surtout lorsqu'il est porté par l'indie pop tantôt emprunte de folk, tantôt penchant vers l'électro d'Esposito. Classique de prime abord mais assez surprenant grâce à son lot de dissonances et d'expérimentations débarquant sans crier gare, le jeu prend plus que jamais des airs de la série à laquelle il emprunte décidément beaucoup, mais toujours avec brio.