États-Unis. 1972. Vincent vient de quitter son fourgon. Pressé par les gardiens, il se dirige comme ceux qui le précèdent vers la porte du pénitencier sous les yeux des pensionnaires actuels, les visages collés au grillage, surveillant probablement l'arrivée de têtes connues, de cibles, d'amis. Leo ne peut s'empêcher de jeter un oeil, par curiosité. Aucune gueule ne l'interpelle. Alors il vaque à ses occupations avant, comme chaque fin de journée depuis six mois, de retourner vers sa cellule en respectant le protocole et en évitant une baston avec un gros bras décidé à en découdre. Vincent a de son côté laissé ses fringues d'homme libre à l'entrée. La "douche" puis direction, à poil, son uniforme dans les mains, sa nouvelle piaule, numérotée 49. Dans la 48, il y a Leo. Deux joueurs, chacun sa fenêtre à l'écran, ont mené leur avatar jusqu'à son box. Les deux prisonniers ne se connaissent pas et n'appartiennent pas au même monde. Mais bientôt, Vincent, banquier condamné pour fraude et meurtre, et Leo, petite frappe multi-récidiviste, coffré pour braquage, se rencontreront. Et ce sera le début d'une grande et surprenante escapade...

Parallel Lines

Voilà ce qu'on appelle une entrée en matière réussie. Avec Julo, qui a choisi d'incarner le calme et cérébral Vincent, tandis que le rôle du sanguin et très direct Leo me revenait, nous sommes déjà emballés par l'aventure qui nous attend, qui s'annonce d'abord comme une histoire d'évasion à la Prison Break ou Les Évadés. Et l'on ne s'interroge guère sur le choix de représentation et de gameplay que représente le split-screen quasi-permanent, pourtant pas banal en dehors de la sphère des jeux d'action, de plate-forme ou de sport. La division sur la même lucarne, procédé vidéo qui évoquera pour certains l'intro légendaire d'Amicalement Vôtre ou les phases charnières de 24, s'impose sans qu'on y trouve quoi que ce soit à redire. Du moins, on ne peste pas trop sur le fait que la simultanéité puisse avoir un revers côté audio, quand on lance un dialogue, où une priorité est donnée au "preums" pendant que l'autre doit, avec de bons yeux, se fier à des sous-titres (français, l'audio restant en V.O.) assez petits. Et on s'amuse souvent d'être rappelé à l'ordre lorsque l'on prête trop attention à la partie réservée à son acolyte, ce qui entraîne parfois un échec ou une course erratique vers un mur.

On assimile les intentions du concept, unique, assez vite et on l'embrasse sans retenue. Dans la toute première partie, si l'un ou l'autre veut vivre sa vie, passer du temps à discuter avec des prisonniers, pourquoi pas. Il s'agit d'un bon moyen de cerner les tempéraments de chaque protagoniste. On a même le droit d'agacer son compagnon de canapé (ou online) en ne filant pas directement à son objectif, en préférant flâner. De se comporter en parfait étranger. Cela fait partie du jeu. Reste qu'il faudra bien provoquer la progression dans le tunnel narratif établi par Hazelight. C'est là que la magie opère, quand les deux joueurs doivent commencer à se chercher, à se parler dans la réalité pour que Leo et Vincent finissent pas être réunis dans l'enceinte de la prison, là que la coopération devient le moteur d'une expérience assez unique qui, bien que ne pouvant être vécue qu'à deux joueurs, réussit à ne jamais donner l'impression de contraindre ces derniers. Au contraire.

Duo sur mon buddy

Le premier objectif commun de nos deux gredins est simple : se tirer de ce trou à rat où ils pourraient laisser leur peau. L'exécution de leur plan d'évasion, pas vraiment de tout repos, passe par de petites "missions", qui laissent le temps se familiariser avec des déplacements et interactions sans complications - pas mal de courts QTE. Ici, le premier se charge de faire diversion pendant que le deuxième se faufile - sans rôle prédéfini. Plus tard, il est question de surveiller les rondes pour éviter une déconvenue à son comparse en pleine filouterie, ou encore de coordonner parfaitement ses mouvements - à base de décomptes foireux dignes de Riggs et Murtaugh concernant votre serviteur et son acolyte. Sans oublier la petite baston qui voit l'intégralité du téléviseur passer en garde alternée, avec force ralentis et mouvements de caméras dynamiques... Tout ça pour dire que communiquer n'est pas important : c'est indispensable. Pour surmonter chacune des épreuves traversées par le duo. Pour qu'on y prenne du plaisir. Et qu'on sente que le personnage dont on est investi nous appartient. Parce que oui, cela va aller jusque là.

Une fois évadés de la prison commence une cavale qui a toutes les caractéristiques d'un buddy movie ultra-divertissant type Tango et Cash ou 48 heures : deux types pas franchement sur la même longueur d'onde, pas issus du même milieu, mais qui doivent s'associer envers et contre tout - avec une répartition des rôles et quelques clichés acceptés de bonne grâce. Cela peut créer des étincelles, lorsqu'il est temps de choisir une méthode pour franchir un obstacle ou faire parler quelqu'un. Bourrin (et assez drôle) comme Leo ou diplomate et réfléchi comme Vincent ? Il faudra être deux pour décider s'il est plus prudent de passer sur un pont gardé ou par dessous, sachant que cette option est plus sûre mais va quelque peu léser l'un des larrons, qui verra son traitement visuel quelque peu aménagé... Les différences déjà marquées sur des échanges anodins permettent de distinguer les attitudes, d'apprécier une caractérisation très réussie à laquelle s'ajoute un jeu d'acteur impeccable. Et à mesure que l'on avance dans cette fugue en duo majeur, la projection s'effectue. Les deux gusses qui vont tout faire pour ne pas se faire pincer, c'est nous.

Engagez-vous

Quelle diablerie fait qu'en plus d'une trentaine de scènes où se succèdent courses-poursuites, infiltration, fusillades et exploration avec un poil de réflexion, A Way Out parvient à scotcher les deux joueurs pendant environ 7 heures et les mène à s'identifier à ce point ? On appellera ça le talent. Côté narration et mise en scène. La façon dont cette histoire de cavale dans les États-Unis des années 70 est amenée, avec une maîtrise toute cinématographique et calculée, ne peut que fonctionner. Le cocktail d'action, d'émotion, de tendresse, de haine, d'amour, de tristesse passe comme du petit lait. À chaque fois, les approches choisies sont justes. Le spectaculaire comme l'intimiste, le comique comme le tragique : tout fonctionne grâce à un rythme et des cadrages qui ne laissent rien au hasard... Que vous soyez dans une phase soutenue, tendue, ou au contraire dans un moment plus calme, plus cool, dans l'interaction ou la passivité, il y a toujours une aiguille invisible qui tisse un lien plus solide avec votre personnage et celui qui l'accompagne. La relation de confiance qu'ils établissent, sans masquer leurs différences, vous la ressentez presque au bout de vos doigts. Ces Décisions dont nous parlions plus haut, ou choix des rôles pour des passages précis, qui modifient la route du gameplay mais pas la destination, ces phases d'errance pour se lancer dans des mini-jeux (fléchettes, banjo, arcade...) qui, boys will be boys, laissent savoir qui a la plus grosse, ces bulles d'air n'ayant aucune autre incidence que de montrer des réactions parfois hilarantes, sont autant de pierres s'imbriquant à merveille pour devenir une construction solide.

This is the End

A Way Out est une proposition narrative et interactive unique, extrêmement bien calibrée, qui a pensé à tout, y compris à éviter les répétitions et les longueurs, jusqu'à un final absolument époustouflant d'originalité, d'audace - pour un jeu vidéo, s'entend. Impossible d'en dire davantage sans spoiler. Même laisser échapper un indice relèverait du crime. Le dénouement choque, laisse une trace bien nette - et n'est pas à l'abri de déplaire profondément pour son parti-pris. Reste qu'il fait figure de clou du spectacle difficile à oublier et qu'on continuera à digérer quelques jours plus tard, en repensant à toute l'aventure, à des détails, des choses que l'on trouvait incohérentes, et qu'il aidera à laisser derrière soi les éventuelles errances d'un jeu qui, rappelons-le, demeure indépendant. Car il y en a. Si la réalisation s'avère souvent ravissante, fait briller ses principaux acteurs et nous laisse voir du pays sur une bande-son réussie, il n'empêche qu'on trouvera de nombreuses maladresses dans certaines animations, collisions, qu'on pourra trouver le tout limité... Et que dire des chargements dépassant la dizaine de secondes entre deux séquences ? Qu'on s'en serait bien passé, c'est certain. Mais toujours pas suffisant pour l'envoyer au mitard.

Il y a des règles

Impossible de finir ce test sans revenir sur le fait que nécessiter une seule copie du jeu pour jouer en ligne (avec téléchargement gratuit côté invité) est une initiative louable - d'autant plus pour un titre qui se pratique obligatoirement à quatre mains. Pour notre part, avec Julo, nous avons choisi le canapé de la rédaction. Et on peut dire que cela a largement contribué à faire de nos heures passées ensemble quelque chose de fabuleux. Si nous avions un premier conseil, pour entretenir la fraîcheur, la spontanéité : restez en local. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura rien à tirer d'une partie en ligne, et on ne doute pas que les échanges peuvent être aussi vifs via casque-micro. Mais tout de même. Autre recommanda... non, en fait, c'est un ordre : considérez A Way Out comme un film à vivre du début à la fin avec la même personne (avec qui vous partagerez les Tophées/Succès) et n'envisagez jamais d'inverser les rôles. Juré, c'est pour votre bien. Enfin, on espère.

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L'AVIS DE JULO

Ce que je retiens de mon périple dans la peau de Vincent, aux côtés de mon acolyte Plumo dans le rôle de Leo, c'est la sensation d'avoir été le co-acteur d'un très, très agréable buddy movie interactif. C'est un genre cinématographique qui ne s'épargne pas les clichés, certes, mais que j'affectionne particulièrement, comme sans doute beaucoup d'entre vous. Surtout, ce que je retiens de A Way Out, c'est la qualité et l'originalité proposées ici par son réalisateur Josef Fares. Le bougre a dirigé l'ensemble d'une main de maître pour nous laisser en tête, une fois le jeu fini, d'agréables souvenirs, où s'entremêlent des passages in-game, soutenus par de bons comédiens et des personnages bien écrits, et d'autres "dans le réel", de complicité et de rigolade entre les deux joueurs depuis leur canapé.

Le concept de base, obligeant le jeu en binôme, est une franche réussite, l'exécution, très cinématographique, l'est tout autant. L'ensemble est d'une originalité qu'il faut vraiment saluer, tout comme la grande diversité des situations et des phases de jeu. Tout cela aide si besoin à lui pardonner quelques défauts de rythme (je lui ai trouvé personnellement quelques longueurs, sans parler de certains temps de chargement qui cassent l'élan), quelques maladresses aussi (dans la réalisation en général) et un côté "tunnel" qui évidemment laisse peu de place à la liberté et à la "rejouabilité"... même si les petites bulles de récréation de chaque "niveau" participent vraiment, elles aussi, à faire de ce très bon jeu une expérience narrative originale et unique.

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