Telles les tempêtes traversées par Tetsuya Takahashi pour bâtir sa saga, Xenoblade Chronicles 2 débute sous de sombres cieux, jusqu'à atteindre ceux limpides d'Alrest, une mer de nuages qui évoque la plénitude issue de Xenoblade Chronicles.

L'Arbre Monde surplombe l'horizon, moins idyllique qu'il n'y paraît, ces limbes abritant les peuples bannis de l'Elysium, réfugiés sur les Titans. Or, ces gigantesques créatures volantes se meurent, tandis que leurs habitants se déchirent, des tensions attisées par les ressources restreintes, ou la manière de les exploiter. Les Récupérateurs ont ainsi pour vocation de plonger sous le brouillard, à la recherche de matériaux et autres artefacts, alors que les Pilotes s'apparentent à des soldats, accompagnés d'entités pourvues d'une intelligence artificielle, les Lames. De cette toile de fond transparaissent d'emblée les thèmes fondamentaux de la série, qu'il s'agisse de son propos pacifique et écologique, du lien entre l'Homme et la machine, ou de la quête d'immortalité, entre autres. Mais plutôt que de noyer l'intrigue sous une myriade de références nébuleuses, la narration ciselée de Xenoblade Chronicles 2 suit simplement le périple de l'un de ces chasseurs de trésors, Rex, bientôt rallié par Pyra, sa "Lame soeur".

Xenostyle

Le côté cliché assumé des personnages ne leur empêche pas d'avoir du caractère, souligné par les différents accents britanniques régionaux et l'emphase un tantinet trop théâtrale des doublages en anglais. D'ailleurs les voix japonaises (disponibles gracieusement en DLC) retranscrivent mieux les subtilités de l'humour aigre doux typiquement nippon, voire fripon, qui tranche avec la dramaturgie des cinématiques, véritables étendards de cette mise en scène affirmée, quoique sensiblement grandiloquente. Idem pour le look manga haut en couleur et les courbes rebondies des principaux protagonistes aux traits plus expressifs dessinés par Masatsugu Saito, la facette obscure du casting signée Tetsuya Nomura se montrant moins originale. Cependant le design parfois faramineux des Lames, façonnées par de multiples illustrateurs - y compris Soraya Saga, la mère de Xeno - rappelle l'hétéroclisme inhérent à l'oeuvre de Takahashi. La remarque s'applique également à la bande son, grâce au retour collégial d'ACE et de Yasunori Mitsuda en guise de chef d'orchestre, à grand renfort de mélodies celtiques, de guitare électrique et d'instrumentalisations traditionnelles, synonymes d'envolées symphoniques en parfait accord avec ces panoramas vertigineux.

Un monde titanesque

Un appel du large qui fait naturellement écho à la contemplation de cet univers gigantesque, composé d'archipels flottants aux paysages un peu familiers, quitte à suggérer que Xenoblade répète inlassablement sa partition. Ce spectacle s'avère en tout cas l'un des plus impressionnants sur portable, malgré son aspect quelquefois granuleux et légèrement flou afin de masquer le crénelage, plus marqué sur l'écran de la console que du téléviseur. Voilà sans doute la contrepartie somme toute très acceptable que suppose le frame rate globalement stable au sein d'environnements aussi foisonnants, entre les jolis effets atmosphériques, la végétation luxuriante et la faune massive. Surtout qu'en dépit de l'apparition sporadiquement tardive de textures, cela n'occulte aucunement le sentiment exaltant d'exploration de ce macrocosme si vivant. Car au delà de la météo changeante et du cycle des journées, les marées influencent la topographie. Comme on nage sur la brume, certains passages deviennent temporairement franchissables, ou l'inverse, de sorte que ces îles réduites en surface par rapport aux continents de l'opus X dévoilent une étonnante envergure sur l'axe vertical. En outre leur architecture se veut tentaculaire, le relief dissimulant malicieusement les recoins selon les perspectives.

En terres (plus ou moins) connues

Cette impression de redécouvrir sans cesse les lieux résulte partiellement de l'absence de carte d'ensemble détaillée visible en permanence ; l'affichage en transparence ou sous forme miniaturisée des alentours ne saurait remplacer le GamePad. S'y ajoute l'habituelle possibilité de se téléporter, quasiment sans temps de chargement, un principe décidément pratique mais qui n'incite pas à s'imprégner de la géographie, et se révèle même ici conflictuel avec le scénario dont le déroulement interdit théoriquement de voyager par moments. Pour ne pas perdre le fil, ou se perdre tout court, il reste heureusement les quêtes principales ou optionnelles explicitement signalées dans le journal et les points d'intérêt répertoriés automatiquement, parmi lesquels figurent les zones de récupération. Hélas l'intérêt de ces basiques sessions de quick time event (souvent conclues par une joute) se résume au butin, essentiellement constitué de bric-à-brac mécanique. Le dilettantisme de cette occupation témoigne d'une idée insuffisamment creusée, contrairement aux compétences apprises durant l'épopée pour ouvrir des coffres et se hisser à des endroits autrement inaccessibles. Inspiré de Zelda, ce modèle de progression densifie encore la structure de ces grands espaces.

Folklores régionaux

Xenoblade Chronicles 2 vise en effet à intégrer ces systèmes de façon organique au sein du jeu et de son histoire, à commencer par le développement des villes, soumis aux dépenses dans les échoppes et à l'accomplissement de diverses missions. Leur teneur relativement classique s'accompagne d'une cascade de rebondissements qui mettent en exergue le travail d'écriture et la traduction soignée, vocabulaire éventuellement fleuri à l'appui. A la clé, une offre d'articles en hausse et des prix à la baisse, a fortiori quand on s'approprie les commerces. Toutefois cette volonté d'insuffler une culture débouche sur des concepts surprenants a priori superflus, comme les nuitées à l'auberge pour gagner des niveaux, la cuisine des denrées locales et les objets saugrenus à emmener dans son sac pour profiter de bonus temporaires (livres, parfums, antiquités entre beaucoup d'autres babioles). A noter encore l'affinage de coeurs auxiliaires dans l'optique de justifier la collecte au demeurant pléthorique d'ingrédients, tant son impact semble d'abord limité en comparaison de l'amélioration des armes et d'autres accessoires. Mais à l'image des séquences d'interlude qui remplacent les têtes à têtes pour entretenir les relations, ces éléments ont un sens, et celui-ci pointe vers les Lames.

Lames à tout faire

La collaboration avec leurs Pilotes suscite l'acquisition de vertus utiles tantôt sur le terrain, tantôt au combat. D'une part, ces talents facilitent par exemple la récolte de plantes, permettent le déchiffrage d'inscriptions ou l'enlèvement d'obstacles. D'autre part ces arborescences d'aptitudes évolutives spécifiques à chaque Lame viennent renforcer les capacités de leur Pilote, telles que l'augmentation des dégâts et la résistance aux altérations. L'obtention de ces caractéristiques dépend de prouesses (plus ou moins bien définies) à réaliser lors des confrontations la plupart du temps, en parallèle de l'entente grandissante avec les Pilotes, source d'un surcroît d'efficience. Néanmoins La lame ne se cantonne pas au rôle de support élémentaire, puisqu'elle détermine l'arme utilisée, et par conséquent la classe du Pilote, assortie de son propre panel d'Arts placés ici sur les boutons de façade. Un arsenal de techniques avec lesquelles il est dorénavant possible de jongler en intervertissant les Lames - à raison d'un trio par guerrier - suivant la tournure des hostilités et la stratégie voulue. Résultat, les batailles se font encore plus percutantes, quoiqu'elles aient tendance à s'éterniser, surtout face aux ennemis qui rameutent leurs congénères.

Arts du pilotage

Évidemment, on a toujours loisir d'attirer les plus grégaires à l'écart, ou d'éviter les échauffourées, même s'il est plus délicat de fuir, faute de pouvoir rengainer manuellement ses armes. Il faut par ailleurs se méfier des aléas du sol, notamment en bordure de falaise ou en milieu confiné (assez mal géré par la caméra), dans le but de manoeuvrer l'adversaire et de cibler ses points faibles. Cette approche dynamique mène à se servir de tout le panel d'options, en particulier les feintes, les routines de déséquilibre doublées des combos basées sur le timing suggérées par les autres Pilotes, et désormais sans cris d'encouragements cacophoniques, à l'exception des fameux "mêh, mêh, mêh" nopons. On navigue donc en territoire connu chez les vétérans, en revanche les tutoriaux sont trop brefs pour les néophytes, probablement par crainte de saturation. Nonobstant les trois boutons ridiculement voués à jouer les pense-bêtes, la disparition de la notice digitale prive de ces explications par la suite, à moins d'user de la fonction photo, ou de les acheter auprès d'informateurs laconiques. Pas besoin de débattre sur ces économies de bout de chandelle, il va sans dire que certains risquent de souffrir de ce manque d'accessibilité, fût-ce l'interface plus claire.

Cristallerie artisanale

Pour sa défense, ce Xenoblade conserve sa philosophie résolument tolérante, avec des défaites sans incidence ou presque. Et dans l'absolu l'expérience s'exprime en dizaines, voire centaines d'heures, une vision à long terme qui suppose une certaine dose d'apprentissage par ses propres moyens, un peu à l'ancienne. L'opportunité d'envoyer ses Lames remplir les tâches annexes de la confrérie des Mercenaires en marge de l'avancée illustre harmonieusement cette démarche, orientée sur la durée. De quoi récupérer davantage d'items, et contribuer à la prospérité des différentes régions tout en faisant fructifier les attributs des Lames en réserve. Car on dispose rapidement de nombreuses Lames plus ou moins communes, créés par le biais des "cristaux-coeurs". Ceux-ci sont de différents types, à l'instar des Lames nées de leur résonance avec un Pilote, auxquelles elles demeurent ensuite liées (de précieux protocoles de transfert autorisent les changements). Les Lames mineures se distinguent par leur apparence générique, et leur sociogramme nettement moins fourni. Naturellement le hasard a une influence non négligeable, de même que les Boosters usités pendant le processus, une cause de frustration pour les collectionneurs, qui plus est avec la sauvegarde préalable obligatoire sur l'unique emplacement proposé.

Vagues à l'âme

Pourtant cet émoustillant paramètre aléatoire étoffe considérablement le choix en matière de composition des équipes au vu de la polyvalence des Pilotes, ainsi que leurs potentialités d'évolutions pour certaines intimement greffées au cours de l'aventure. Une richesse phénoménale que le bricolage d'une Lame artificielle, en l'occurrence robotique telle que Poppi n'aurait pas été en mesure d'engendrer seule. Or ce facteur de personnalisation a une portée cruciale sur l'endgame (avec la résurrection des bêtes uniques à l'envi), les parties successives et les futurs contenus téléchargeables, à défaut de la moindre dimension multi joueur en ligne. Difficile de s'en plaindre, même si d'aucuns accuseront Monolith Soft de s'être finalement contenté de mélanger les cartes, en reprenant tellement de composantes de la saga. A juste titre, mais pour le meilleur, car Xenoblade Chronicles 2 n'est à son tour rien d'autre que l'aboutissement d'une immense mythologie maintes fois réécrite, affinée et étendue, dans la lignée de l'ineffable travail d'Osamu Tezuka en son domaine, afin de forger cette lame aiguisée du J-RPG, de sorte que chacun puisse faire "ce rêve étrange et pénétrant d'une femme [...] qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre". Merci monsieur Verlaine, et par dessus tout, merci monsieur Takahashi.