Prologue

Devant vous, je dois le confesser. Lors de mes premiers pas dans l'aventure, je fus parcouru d'un frisson : j'avais peur de ne pas avoir peur ! Sursauts où êtes-vous ? Les créatures avaient beau surgir de nulle part, pousser des hurlements à faire imploser un caisson de basse... impassible, peut-être trop habitué aux codes de la peur numérique, je tenais le choc. Et les niveaux passèrent... jusqu'à ce que je perçoive un son. Un son que je connaissais, sans parvenir à le définir. J'approche... la lumière vacille. Mon chemin se dévoile pas à pas. Ma lampe torche découpe des formes mouvantes. A une quinzaine de mètres, face à moi, un homme. Taille moyenne. Un monstre ? Trop loin pour le dire. Immobile ? Non, pas vraiment. Que fait-il ? J'avance. Ce bruit. Ca y est. Ce bruit c'est celui de sa tête comme le mur. Depuis plusieurs minutes, cet homme s'écrase consciencieusement le crâne contre le mur... craaaaaac... devant mes yeux, l'homme vient de définitivement s'enfoncer la boîte crânienne. Je suis resté glacé dix bonnes secondes. Au sol, son visage est balafré par l'angoisse. Dead Space, ou l'art de la montagne russe. Des créatures démoniaques qui surgissent de partout et surtout de nulle part. Des secousses hollywoodiennes, mêlées habilement à des séquences plus viscérales, moins flippantes mais tout aussi éprouvantes. Dead Space, c'est une aventure où tout le spectre de l'effroi est balayé, largement, vicieusement. Dead Space, c'est vous, face à vos propres peurs. Car oui : vous allez avoir peur !

BioShock, sors de ce corps

Dead Space est un pari. Celui de l'oppression totale. Celui d'un voyage où l'air manque au propre, comme au figuré. Car oui, Dead Space va vous épuiser, vous, Isaac Clarke, scientifique enfermé au cœur du USG Ishimura, ce destroyer spatial en perdition. L'espace. Un vaisseau. Ses couloirs lugubres, ses salles plongées dans un halo de lumière artificielle où baigne une brume lourde, étouffante. Les développeurs l'ont compris. Dès qu'il s'agit d'angoisse, mieux vaut rengainer le héros bodybuildé. Plus fragile, plus proche du joueur, le héros un rien lambda contribue à l'immersion. BioShock a récemment montré la voie. Intéressant d'ailleurs de constater combien ces deux titres partagent bon nombre de fondamentaux. Ici, aucune cinématique, aucune cut-scene. Non. L'approche se veut directe, réelle, sans la moindre emphase cinématographique. La narration se vivra donc via de nombreux audiologs et autres vidéos laissés ici ou là par des passagers aujourd'hui fantomatiques. Et l'histoire se révèle étonnamment riche, bien que relativement classique, aussi. Prenez du Alien, The Thing, Event Horizon et du mysticisme à la Sunshine, voire même 2001 l'Odyssée de l'espace... secouez le tout, faites monter la pression au fil de 12 chapitres bien denses (comptez 15 heures de jeu), et vous comprendrez que Dead Space contiendra son lot d'explications scientifiques, de retournements de situation et de passages célesto-ésotérico-cosmiques. BioShock n'a pas inspiré que pour son flot narratif. Non. Mais si parler d'ambiance générale serait erroné (seuls le costume du héros ou quelques lieux remémorent fugacement l'atmosphère de Rapture), Dead Space et BioShock partagent l'aspect tactique de leur combats. Une tactique liée à la bonne utilisation de vos armes... et de forces ! En effet, en plus du trancheur laser, lance-flammes et autres scies ioniques aux effets des plus réussis, le héros maîtrise deux pouvoirs essentiels. D'un côté, la Stase, qui permet de ralentir le temps sur une zone donnée (un ennemi ou un objet), de l'autre la Télékynésie traditionnelle permettant de manipuler à distance moult objets ! Bonne nouvelle : ces pouvoirs sont habilement introduits et n'ont rien de gadgets. Ils se révèlent ainsi particulièrement jouables (un simple bouton et une direction) et se montreront vitaux à mesure que l'aventure se corsera. Il n'est pas rare ainsi de freezer un ennemi sur votre droite, pendant qu'on dégomme une créature démoniaque dans le fond de l'écran, avant de saisir une bonbonne de gaz, et la balancer dans les flammes sur la droite et d'ainsi créer une réaction en chaîne ! Vu la vitesse et le nombre de vos ennemis... vous n'aurez de toute manière par vraiment le choix !

Décapiter n'est pas tuer !

Dead Space requiert souvent la prise de décisions rapides. Très rapides. Parvenir à optimiser les possibilités offertes par votre armement et/ou le décor peut ainsi vite se montrer jubilatoire ! Le bestiaire est suffisamment varié et surprenant (la taille n'est en rien un indicateur de vitesse de déplacement !) pour offrir des combats mémorables. Et les boss... mon dieu... attendez-vous à écarquiller les yeux. Grands, bien grands ! Evanouie d'ailleurs la crainte des assauts redondants dans une succession de couloirs. Les ennemis arrivent littéralement de tous les côtés et à tout moment. Il faut constamment s'adapter à leurs caprices de bêtes affamées. A noter en outre que si les assauts se montrent d'une rare violence, avec un degré de gore poussé à son paroxysme (décapitation, gerbes de sang, démembrements, etc.), foncer dans le tas ne vous entraînera que plus sûrement à la morgue ! En effet, les Necromorphs (c'est le nom de ces Aliens de l'enfer) ne peuvent être vaincus que par démembrement ! Leur exploser la tête à bout portant à la Resident Evil ? Aucun effet ! Et là, je sais, un monde de réflexes sécuritaires s'effondre ! Dead Space offre une approche inédite : vous serez obligés viser ! Fini l'époque du tir à l'emporte pièce, ici, la précision est de mise. Il en résulte des passages anthologiques. A vous d'opter pour l'arme la plus adaptée (tir horizontal, frappe verticale, amplitude de la déflagration) en fonction de la morphologie de vos ennemis. Celui-ci court particulièrement vite ? Tranchez-lui les membres inférieurs avant de l'achever en lui sciant les bras ! Vous avez dit brutal ? Oui. Et encore vous n'avez pas le son et l'image. Dead Space propose une expérience d'une rare cruauté... les monstres sont ignobles, organiques, suintants, certains prêts à exploser pour mieux laisser s'échapper une cohorte d'arachnides dégoulinants de placenta. Mieux vaudra avoir le cœur bien accroché, à l'image de certains Quick Time Events au cours d'étreintes trop rapprochées. Une seule certitude, vos minutions et soins étant assez comptés, mieux vaut se montrer efficace. Réfléchir et agir vite. Voici l'adage de ce train fantôme définitivement sans concession.

Brutal, mais léger comme une plume

Complet, Dead Space ne pouvait omettre quelques passages en zones de Zéro Gravité et certains moments assez magiques dans l'espace. Qui dit Zéro Gravité sous-entend éléments de décors en apesanteur, possibilité de flotter et marcher la tête en bas. Ces passages tiennent parfois du puzzle : "comment atteindre cette zone ? Ah tiens, si je me projetais contre ce mur". Sympathique, mais pas mémorable. A l'inverse, en revanche, des séquences dans le cosmos ! Parce qu'un couloir sera soudainement perforé par une météorite, ou parce que vous devrez rejoindre une passerelle en extérieur, Dead Space vous ménagera ainsi quelques sorties. Le vide. Le grand silence. Seul bruit sourd : les battements de votre cœur et votre souffle profond. L'occasion d'observer l'immensité de l'espace, la chaleur du soleil, sa beauté. Mais attention : à peine le temps de contempler la déchéance de votre vaisseau en ruine (de l'oxygène s'échappe lentement d'un tuyau, des pans d'acier s'éloignent mollement), que vous manquerez d'air... vite, se réfugier de nouveau à l'intérieur, plonger de nouveau au cœur de l'enfer, dans ce vaisseau au corps malade. Ces moments procurent une réelle ivresse. Une beauté esthétique couplée à un étrange sentiment. Le constat que ce combat est vain ? La volonté de préférer mourir ici plutôt qu'à l'intérieur ? Peut-être... L'occasion en tout cas de souligner l'exceptionnel travail effectué sur la bande-son. Qu'il s'agisse des rares nappes sonores, mais surtout des bruitages à l'impact inouï de violence... ou par moment de pesants silences. Croyez-moi, vous n'aurez jamais autant aimé suffoquer...

La méthode Assimil

Mais en matière d'immersion, Dead Space n'oublie pas d'innover. Sa trouvaille ? L'absence totale de menus vous sortant de l'action. Zéro. En effet, les créateurs ont opté pour un affichage holographique in-game permettant d'afficher votre inventaire, ou vos communications avec certains intervenants. L'effet graphique est superbe (promis, vous allez souvent faire tourner la caméra autour), mais que dire de son apport immersif ! Checker sa carte, vérifier ses objectifs ou l'état de son inventaire... tout se fait "dans" le jeu ! L'ensemble est plus réel, plus flippant aussi car lors d'assauts sauvages, vous ne pourrez pas respirer deux secondes en zappant dans le menu. Non. Rassurez-vous cependant, le tout est jouable, intuitif puisque d'une touche vous pouvez vous remettre un peu de vie sans même ouvrir l'hologramme. Enfin, je ne vous apprendrai rien en soulignant que Dead Space emprunte sa vue à l'épaule et de nombreux mécanismes (QTE, inventaire évolutif, rythme général) à Resident Evil 4. Plus étonnant, l'amélioration des capacités de votre armement s'effectue via une reprise du fameux Sphérier de Final Fantasy X ! Vous aurez ainsi des choix, des embranchements... opterez-vous vers plus de capacités, au détriment de votre vitesse ? Un soupçon de RPG qui densifie une fois de plus le gameplay. Pour conclure, on pourrait aussi notez mille et une bonnes "petites" idées comme la possibilité à tout moment de connaître la direction générale à suivre (rappel de Shadow of the Colossus lorsqu'on brandissait son épée), le design évolutif de l'armure tellement classe, on encore les inscriptions in-game sur les portes bien trouvées. Vous l'aurez compris, Dead Space joue sa partition à merveille et étonne tant il aura su intégrer de manière cohérente autant d'éléments distincts.

Epilogue

Dead Space a tout de l'aspirateur à particules élémentaires. Les emprunts à des blockbusters japonais sont légion. Mais les créateurs occidentaux ont évolué. Aujourd'hui, ils s'inspirent, mais ils ne copient pas. Ils assimilent. Ainsi de ce bouillon de culture a jailli un titre étonnamment personnel, fulgurant dans de nombreux domaines. Solide avant tout. Efficace. Une présentation violemment immersive, un rythme frénétique. Ne lui manquerait peut-être qu'un soupçon de fragilité supplémentaire, et une emphase narrative qui aurait laissé des scènes définitivement marquantes dans l'inconscient collectif. Resterait à savoir si synthétiser avec brio des œuvres cultes peut-il donner naissance à un titre culte ?

S'il est encore trop tôt pour le dire, reste une vérité simple : véritable symbole de la nouvelle vague des jeux occidentaux, Dead Space a été intelligemment conçu pour les joueurs. Chaque minute passée en sa compagnie est une minute de jeu. Pas de blabla, pas de chichi, pas de Kojimasquerie. Dead Space est un jeu 100% gamer, âpre, rôdé, efficace comme un pic à glace. Une parfaite démonstration d'assimilation des meilleures facettes de game design de ces 5 dernières années. Avant de créer une œuvre culte, les créateurs ont donné vie à un excellent jeu. Et si c'était là l'essentiel ?