Silent Hill a toujours été une expérience à part. Un plongeon glacial dans les méandres de la démence. Présente, la peur y a souvent été reléguée au rang de prétexte. Ce qu'on découvrait était un voyage dans les tréfonds de l'âme humaine, ses zones les plus tourmentées, les plus malsaines. Souffrance. Folie. Rédemption. Certains l'auront vite oublié, mais les Silent Hill n'ont jamais constitué des monuments d'aisance dès qu'il s'agissait de diriger leurs héros dans les vagues embrumées d'une ville maudite. Grandeur avec Silent Hill 2 et 3... avant un déclin et un début de malaise ludique pour Homecoming. La série s'était perdue. Sans identité, la pépite flétrie de Konami a été recueillie en République Tchèque chez Vatra Games. Comme transfiguré par l'enjeu, c'est de ce développeur sans visage, sans pedigree, que viendra la lumière dissipant les ténèbres...

Pantin mal assuré

Autant l'évacuer d'emblée. Silent Hill Downpour ne fait pas partie de ces titres stellaires sachant offrir avec un bonheur égal une expérience sans heurts. Non. Criblé de saccades intempestives, malmené par des combats approximatifs et un character design particulièrement peu inspiré pour ses ennemis, Downpour a tout du jeu qui ne pourrait franchir avec succès un quelconque contrôle technique. Certains se moqueront des effets de pluie ou d'un brouillard moins organique que par le passé, d'autres regretteront une prise en main toujours aussi rigide. On pourra aussi regretter la présence de quelques choix moraux à l'impact immédiat minime (mais à l'écho plus fort lors des différentes fins). Ils auront tellement raison... et seront tellement passés à côté de la substantifique moelle du titre. Car il est parfois important de savoir laisser parler ses sens, constater combien ses émotions bouillonnent à mesure que l'on pénètre dans cette bourgade satanique. Et c'est un fait, en se donnant la peine de faire tomber l'obscurité autour de votre téléviseur, le miracle se produit. Combien de regards brefs jetés derrière soi ? Combien d'accélérations brutales de son rythme cardiaque ? Combien de pause pour reprendre son souffle ? Combien d'années à attendre désespérément cette savoureuse sensation, celle qui vous fait dire que la peur est le plus vicieux des plaisirs...

L'antre de la folie

Oui, j'aime Silent Hill Downpour pour m'avoir fait sentir vivant. Pour m'avoir rappelé combien la lumière pouvait être réconfortante. Cet épisode fait partie de ces trop rares jeux qui savent prendre leur temps. Qui ne montre pas tout, tout de suite. Qui se laisse dompter. Certains n'auront pas cette patience et en 2012, à une époque où le survival/horror compose avec l'action trépidante, il sera aisé de les comprendre. Pour autant, ils passeront à côté de nombreuses scènes brillantes. Sa force, ce périple va la puiser dans les cauchemars qu'il fait vivre à son héros, Murphy Pendleton. Un prisonnier éreinté par la vie que son passé troublé dirigera vers Silent Hill. Qu'apprendra-t-il ? Comment évoluera-t-il ? Le joueur, tout comme le héros, le découvriront au fur et à mesure, vous faisant passer par plusieurs sentiments. Croyez-moi, si vous avez un coeur, l'histoire de Murphy Pendleton vous touchera. Et puis il y a ces moments où le jeu bascule, où la folie inonde l'écran. Place alors à des plans et des situations tout simplement jamais vues ni vécues dans un jeu vidéo. Perspectives dingues, images déformées, décors sans dessus-dessous, courses poursuites effrénées, caméra osée, mise en scène soignée... l'ambiance est là, de celles qui vous laisseront des souvenirs majeurs dans votre vie de joueur. Je ferme les yeux, et je revois ce théâtre, ces bois, ces murs balafrés, cette femme, ce marteau... je perçois ces cris au loin, je sens cette odeur de souffre, cette eau ruisselante forgeant d'impressionnantes stalagmites. Oui, j'ai vécu une expérience aux milles et une faiblesses... aujourd'hui évacuées par la force du ressenti. Captivé de bout en bout. La fameuse trace. L'important n'est pas l'arrivée, c'est le chemin...

Le courage de l'identité

Vatra a osé ne pas produire une copie sage et posée des productions de la Team Silent. Vatra a apporté sa patte, son esprit, son identité à la mythologie de la série. De ce courage et ces prises de risque naissent une oeuvre disposant de sa propre saveur. Le tout se révélera peut-être moins viscéral, moins sale, moins perturbant que le périple de Harry Mason. L'absence de filtre sur l'image contribuant à donner l'impression d'un jeu plus propre. Mais dans le fond, il n'en est rien. Le calvaire de Murphy Pendleton vous réservera quelques moments sombres, étouffants. Par flashbacks successifs, vous finirez par voir plus clair dans les méandres de son esprit tourmenté. Et Murphy ne sera pas seul. Cet épisode s'impose aussi comme celui de la réelle découverte de Silent Hill et de ses alentours. Jamais il n'avait été possible de pénétrer dans tant de bâtiments, de découvrir aussi intimement les histoires de certains de ses habitants. La ville se dévoile ainsi un peu plus au travers de nombreuses quêtes annexes. Certes les récompenses seront limitées, mais les énigmes et les tourments que vous croiserez renforceront l'ambiance générale, tout en allongeant le temps de jeu (entre 6 et 8 heures en ligne droite). Vous allez beaucoup marcher. Vous allez vous perdre. Vous allez hésiter. Vous allez fuir à en perdre haleine. Vous allez vous retrouver seul. Face à vos peurs...

Souvenirs embrumés

Pour séduire les fans de la série, de nombreux clins d'oeil musicaux permettront de faire vibrer la fibre nostalgique, tout en assouplissant la transition entre le style d'Akira Yamaoka et celui de Daniel Licht (compositeur des musiques de la série Dexter). Ses thèmes se veulent d'ailleurs moins brutaux, résolument moins industriels. Ils manqueront peut être aussi un peu de folie, de magie. Mais une fois de plus, tout cela s'inscrit dans une volonté de ne pas copier le passé, mais plutôt d'offrir à Silent Hill un nouveau départ. En cela, même différente, la bande-son réussit sa partition avec brio. Autre clin d'oeil, le jeu propose par moment des angles de vues "à l'ancienne", avec caméra fixe. Et dans le fond, nous y sommes. Si Downpour se révèle si singulier c'est qu'il s'agit d'un jeu à l'ancienne tâtonnant dès qu'il s'agit d'être à jour sur les gameplays de 2012, mais si touchant pour raconter une (bonne) histoire et faire ressentir quelque chose au joueur. A noter que, comme d'habitude, il vous sera possible en début d'aventure de régler indépendamment la difficulté de l'action et des énigmes.

N'allez pas chercher dans Silent Hill Downpour une expérience brillant par la qualité de ces séquences d'action. Vous souffririez le martyr. J'aurais envie de dire à Konami : "par pitié, supprimez ces combats que vous ne savez définitivement pas rendre intéressants". Le fait de pouvoir ramasser des armes et objets, que ces derniers se brisent, était une bonne idée, mais une fois de plus, le système ne fonctionne pas. A côté de cela, ce voyage au pays de la folie apporte autre chose. Quelque chose de fort, de rare. Silent Hill ce n'est pas les combats. Silent Hill c'est la psychologie, le malaise. Et ça bien plus qu'un Resident Evil, un Dead Island ou même qu'un Dead Space... Downpour le produit avec force et rage. Malgré ses carences, dans la brume, le survival/horror vient de ressusciter. Que Vatra Games soit loué...

PS : En marge de cette critique, je ne saurais trop vous mettre en garde sur deux points tristement factuels, mais pas si négligeables que cela pour profiter pleinement de l'expérience. Tout d'abord, attention, si vous n'avez pas de Dual Shock 3, c'est à dire une manette PS3 vibrante... un passage vous bloquera irrémédiablement. Tout simplement impossible d'avancer. Attention, bis : quand vous aurez à prendre un bateau... assurez-vous d'avoir complété toutes vos quêtes annexes car sachez que vous n'aurez aucun moyen de revenir en arrière ultérieurement. Le jeu ne vous préviendra pas. Ne soyez pas tristement pris à revers... le système de sauvegarde automatique ne vous étant d'aucun secours.