Si numéroter certains épisodes de la série Grand Theft Auto avec des chiffres romains ne constitue pas une nouveauté pour Rockstar, utiliser un triumvirat pour raconter l'histoire de ce GTA V en est une. D'autant plus que ce trio de protagonistes composé de Michael, le cerveau en retraite anticipée, Franklin, le caïd en devenir, et Trevor, l'électron libre dont les polarités se touchent, ne répond pas exactement au schéma habituel de GTA. Pas d'ascension, désormais classique, à la Scarface. Sur une Xbox 360 et une PS3 en fin de cycle, les équipes de Rockstar North ont pu développer trois grandes histoires complexes et connectées, pour livrer un scénario général au moins trois fois plus dense. Ça vaut aussi pour le terrain de jeu, la ville de Los Santos et sa campagne, gigantesque, à l'image de la métropole réelle dont elle s'inspire, Los Angeles. Et ça vaut également pour la technique du titre, solide et rarement prise à défaut, bien loin, même si on en garde d'excellents souvenirs, du San Andreas parfois au ralenti que l'on arpentait en long, en large et en travers sur PS2. La démesure est pourtant... autrement plus démesurée avec ce GTA 5 !

Bordeciel de Californie

Entre deux négociations menées en langue draconique avec l'Empire et les Sombrages, Skyrim était (et est toujours, ce jeu est fantastique et interminable) une bonne occasion de voir du pays. Avec GTA V, si vous n'avez jamais mis les pieds en Californie, vous allez pouvoir (il y a même dans le jeu une excursion en bus prévue à cet effet) jouer les touristes. Et si la Cité des Anges vous est familière, reconnaître la ville en toc à travers les collines de Vinewood, la promenade de Vespucci Beach ou les buildings du Downtown est un ravissement, tant tout ce qui fait L.A. est retranscrit à la perfection dans GTA 5. Et si comme beaucoup la jungle urbaine vous pèse au bout d'un moment, à vous les joies du désert, de la montagne (et son téléphérique) ou même des fonds marins, des étendues sauvages trois à quatre fois plus vastes que la ville elle-même. L'immensité de la carte est telle que même après plusieurs dizaines d'heures de jeu, on se surprend ici à découvrir un vignoble, là une rivière... Servie par un moteur graphique convaincant et qui tient la cadence, l'étendue de Los Santos s'offre au joueur sans qu'un gros vilain clipping vienne le sortir de son immersion. La profondeur de champ est tout bonnement effarante pour un jeu qui se joue sur Xbox 360 et PS3, d'autant qu'on arpente la plupart du temps les rues et les chemins pleine balle, en voiture et en moto, avions et hélicos étant bien entendu aussi de la partie, la petite astuce visuelle de Rockstar étant alors d'utiliser habillement un effet de brouillard pour masquer les éléments les plus lointains. Comme à Los Angeles, où la brume du Pacifique et celle générée par la pollution font partie du décor. Le soin du détail on vous dit, le maître-mot de ce GTA V.

California Bro Love

Mais au milieu des palmiers importés et sous la chaleur de L.A., le trio de choc de ce nouvel épisode ne reste pas les doigts de pied en éventail. Enfin, dans un premier temps, c'est quand même un peu le cas de Michael De Santa, ex-braqueur retiré dans une riche propriété, mais tout de même confronté au feu nourri des insultes de sa famille. Entre une femme qui ne pratique pas que son service avec son prof de tennis, son fils, une manette dans une main pour jouer à une parodie de Call of Duty et un mix pour son bang dans l'autre, et sa fille, wannabe pop-pornstar, Michael plie et fuit, soit chez son psy, soit devant des classiques hollywood vinewoodiens qu'il adore. Il y a du Tony Soprano chez ce personnage. C'est Franklin Clinton, "le CJ" de ce GTA 5, avec tout le pan gansta du ghetto associé au personnage, qui va sortir Michael de sa léthargie névrotique, en même temps qu'il va tenter lui même de se sauver de son quartier. Obligé de partager son domicile avec sa tante en pleine redécouverte hystérique de sa féminité, et de jongler avec les problèmes imposés par ses mauvaises fréquentations, Frank va voir en Michael le mentor capable de le tirer de son quotidien médiocre, de la saisie de voiture pour un concessionnaire véreux. Enfin, Trevor Phillips, le troisième larron dont l'apparition lance enfin vraiment le jeu, un peu sur un faux rythme après une introduction excellente, est à la fois l'allumette et la dynamite du groupe. Aussi frappé que génial, Trevor fait la loi chez les péquenauds, aux prises à la fois avec les motards de The Lost découverts dans GTA IV, les triades chinoises à la recherche de partenariats pour vendre à grande échelle de la méthadone, et les rednecks locaux avec lesquels il se dispute le marché, dans des décors et des situations qui ne sont pas sans rappeler Breaking Bad. Il va se nouer entre ces personnages des relations étroites et complexes, du rapport père-fils entre Michael et Franklin jusqu'aux allures de vieux couple querelleur, voir carrément destructeur, de Trevor et Michael... Chacun possède une personnalité folle, retranscrite à merveille par sa manière de se mouvoir, par ses tics (Michael serre les dents, Trevor se mouche dans le vide...) et le doublage des acteurs qui les incarnent.

Le Bon (tireur), la Brute et le Pilote

Outre une classe à la De Niro dans Heat pour Michael, comparée à la folie d'un Hunter S. Thompson tel qu'il est incarné par Johnny Depp dans Las Vegas Parano pour Trevor, les différences du trio se retrouvent évidemment aussi dans le gameplay du titre. Si chacun des personnages a le droit à son lot de petites ou grandes missions spécifiques (Trevor fournit "des fidèles" à la secte des Altruistes, Michael aide un producteur de cinéma à faire tourner son studio, Franklin traque des stars pour le compte d'un paparazzo, etc.), chaque protagoniste possède des capacités propres et un pouvoir spécifique. S'il est possible de faire de Franklin un meilleur pilote d'avion, le vol est de base l'apanage de Trevor, alors que Michael ne bénéficie pas de l'endurance du jeune Franklin mais est une bien plus fine gâchette. Stands de tir, course à pied ou conduite à contre-sens permettront à chaque protagoniste d'augmenter leurs différentes capacités, finalement assez anecdotiques tant elles tendent à se rejoindre rapidement. De par leurs pouvoirs respectifs en revanche, Michael peut ralentir le temps lors d'une fusillade pour dégommer plus efficacement les têtes qui dépassent. Franklin fait de même mais au volant d'une voiture, évitant ainsi tout accident et doublant facilement les concurrents des courses urbaines qu'il peut disputer. Trevor quant à lui se déchaîne et devient quasi invulnérable aux balles pendant un certain laps de temps, une rage bien utile alors que les "carnages" issus des premiers GTA refont leur apparition et constituent un défouloir bienvenu, car dans ce GTA V, flics comme bandits sont tenaces et précis, collant fréquemment du plomb entre les six yeux du trio. A ce propos, la recherche policière est différente de celle de GTA IV : s'il faudra rester tranquille un moment pour voir les étoiles de l'indice de recherche disparaître, il faudra surtout se dérober du champ de vision de la flicaille, matérialisé sur le radar GPS.

Heat and run

Savoir semer la police et activer ses pouvoirs à la Max Payne, par simple pression des deux sticks, voilà le b.a.-ba pour espérer réussir un braquage, l'une des grosses nouveautés de GTA 5. Véritables jalons dans l'intrigue, les casses demandent d'être préparés, avec un plan, parfois malin, souvent bourrin, c'est au choix, et une équipe, constituée de personnages que vous aurez pu rencontrer lors de votre partie. De leur fiabilité pourra dépendre la réussite ou non de votre coup. Il faudra aussi récupérer du matériel et des véhicules spécifiques en amont, de l'équipement aussi, comme des bleus de travail ou des masques. Les braquages représentent la quintessence du principe d'avoir trois personnages jouables. Généralement, quand aucune mission n'est en cours, vous pourrez passer d'un personnage à un autre à la volée, chacun vacant à ses occupations aux quatre coins de Los Santos. Lors des braquages, il sera essentiel de passer d'un protagoniste à un autre, le choix étant même parfois automatique et imposé. En effet, alors que par exemple, vous prenez la fuite en moto avec le magot en incarnant Franklin, c'est aux commandes d'un camion avec Michael que vous ouvrirez le passage, et que dans un second temps vous jouerez Trevor pour arroser copieusement vos poursuivants. Les braquages sont toujours d'une grande intensité, transcendés par des musiques originales que l'on entend aussi désormais durant certaines missions clefs. Mais évidemment, en voiture, comme toujours, vous pourrez profiter des multiples radios à la programmation musicale excellente, une des marques de fabrique de GTA. L'occasion de redécouvrir les All Saints, de se remémorer à quel point les années 2000 étaient au top, ou encore de rallonger son trajet le temps que cette merveille d'eurodance arrive à son terme. Y'a aussi du Phil Collins pour les esthètes.

OK, mais est-ce que GTA V est tolstoïen ?

Concernant le squelette même du jeu, pas de surprise, et c'est la petite déception pour ceux qui ont retourné bon nombre de jeux de la série dans tous les sens. On est bien dans une nomenclature classique à la GTA, avec enchaînement de missions et activités annexes, nombreuses et variées mais pas forcément très surprenantes, avec parfois ce sentiment de manquer un peu de liberté (le comble !) dans la réalisation d'un objectif en mission. On jouera rarement à la balle avec Chop le molosse et s'il n'y a pas grand chose à redire sur le tennis, le golf ou encore le triathlon, la chasse est finalement peut-être la nouvelle activité la plus prenante avec son appeau à cerfs et son ambiance toute particulière. Le saut en parachute demeure un indémodable, tout comme la descente de montagne à vélo. On fait ici un peu la fine bouche, car il y a vraiment beaucoup d'activités sympas, des missions variées et spectaculaires, et puis GTA V emprunte désormais à Red Dead Redemption ses petits évènements aléatoires et ses missions "points d'interrogation". Au-delà de ça, avec ce GTA 5, la série a certainement atteint une qualité d'écriture et d'ambiance inégalée, transcendée par les trois parcours interconnectés des héros, une mise en scène plus cinématographique que jamais et un soin du détail en tout, des environnements aux conversations des badauds, en passant par les programmes que l'on peut voir à la télé (cette fois sous-titrés en français). En plus de doublages et de dialogues excellents, GTA V possède une plastique unique, rendant les expressions des visages très convaincantes, la ville et sa météo grandiose et vivante. Enfin, GTA 5, comme tous les épisodes qui l'ont précédé, se veut une satire de la société. Et entre le réseau social LifeInvader et son patron, fusion de Steve Jobs et Mark Zuckerberg, les velléités de célébrité de la fille de Michael qui passera un casting pour une émission de téléréalité, la folie d'un vieux couple d'Anglais dont le passe-temps est de fouiller les poubelles des stars, pendant que le paparazzo Beverly vendrait père et mère pour réaliser la sex tape d'une starlette, à chaque fois Rockstar touche juste.

C'est sexy le ciel de Californie, sous ma peau j'ai Los Santos en overdose, on the road avec Trevor, Franklin et Michael, c'est comme une symphonie. Éviter la liste des superlatifs est une chose peu aisée concernant GTA V. D'ailleurs, pourquoi le faire ? N'êtes-vous pas déjà en train de vous extasier devant l'immensité de la ville créée par Rockstar, ricanant devant les dialogues et les missions à l'écriture maîtrisée comme jamais, affublant Trevor du pire look possible ou mettant des miles dans la vue aux amateurs de tuning avec Franklin ? GTA V avait capté toute l'attention du microcosme jeu vidéo ces dernières semaines, ces derniers mois, il va maintenant accaparer l'attention des joueurs pendant un bon bout de temps, et la seule chose qu'on peut vraiment reprocher à ce titre tellement généreux, soigné dans ses moindres détails, c'est de sortir pour la rentrée, mettant en péril le premier trimestre de bon nombre de lycéens. GTA 5 étoiles, V avec les doigts et les doigts dans le nez.