Quinze années se sont écoulées depuis l'assassinat de l'Impératrice Jessamine Kaldwin et le combat du Protecteur Royal Corvo Attano pour la venger et mettre sa fille, Emily, sur le trône. Celle-ci a bien grandi et doit aujourd'hui faire face aux craintes de ses sujets : un assassin s'amuse à semer les cadavres des détracteurs de la jeune femme. Et dans cette période de doutes, un événement des plus fâcheux va intervenir. Le Duc Abele entre dans la salle du Trône de la Dunwall Tower en compagnie d'une certaine Delilah. On ne l'avait point sonnée mais voilà qu'elle s'empare de la couronne, non sans faire de sacrés dégâts... Dès lors, vous allez avoir le choix du personnage dont il va falloir accomplir la vengeance. Corvo, que l'on avait incarné dans le premier volet, ou Emily, bien entraînée aux armes comme le révèle le Tutoriel facultatif. L'exil s'impose alors. Direction le sud, à Karnaca. Mais pas pour rester les bras croisés. C'est là que se terrent ceux qui ont aidé Delilah à vous renverser. Et avant de la déloger, vous allez vous charger d'eux.

Living off Dunwall

La question est : comment comptez-vous vous y prendre ? Comme dans le premier volet, les ingrédients sont là, à vous de faire votre soupe en vue subjective. Vous souhaitez qu'elle n'ait pas le goût de sang ou, au contraire, envisagez de mettre le moindre garde, brigand ou molosse se dressant sur votre chemin dans la marmite ? Les différentes missions, qui se déroulent dans des sections spécifiques, vous laisseront le droit d'opter pour différentes personnalités. Vous pourrez parfaitement avancer à pas de loups sans que personne, y compris les lieutenants de Delilah, ne vous détecte. Et préférer vous faufiler, étrangler jusqu'à l'étourdissement puis planquer le corps plutôt qu'assassiner. Ou bien chercher l'adrénaline, les kills qui s'enchaînent à toute vitesse avec une fluidité de mouvements d'un Mirror's Edge, et faire un carnage à base de têtes qui volent ou transpercées par des carreaux d'arbalète, de membres tranchés ou de pulvérisations par un tir de pistolet ou une bonne grenade. Vous pouvez aussi panacher, si vous n'êtes pas du genre perfectionniste. Et sans jamais être pris au dépourvu au niveau de la prise en mains, y trouver votre compte. Vous éclater comme vous l'entendez. Sachez simplement qu'on vous juge en permanence. Peu importe le protagoniste adopté : votre style, plutôt action débridée ou infiltration minutieuse, évalué à chaque fin de niveau, n'ira pas sans conséquence sur le monde qui vous entoure et sur l'épilogue. Un chaos est si vite arrivé.

À deux mains

Vous avez la liberté de vous mouvoir et d'agir, les développeurs mettent les outils à votre disposition. Dans votre main droite, pour accompagner efficacement vos glissades (très efficaces), vos parades et ripostes ou vos éliminations silencieuses mais sanglantes : une lame. Dans la gauche... Plein d'armes possibles à sélectionner via un menu radial. Côté classique, il y a des explosifs ou incapacitants à lancer ou poser, le flingue ou l'arbalète laissant employer des munitions variées - et en quantités limitées. Oui, une fois chez les vendeurs clandestins, n'espérez pas stocker des quantités folles. Le surplus de piécettes récoltées en ramassant des objets de valeur servira d'ailleurs à quelques upgrades bienvenus ou des petits coups de pouce pour dénicher un trésor ou couper le courant où il faut, ça tombe bien.

Mais au-delà de cet arsenal peu évolué, votre mimine accueille aussi - potentiellement, car vous avez le droit de refuser leur acquisition pour corser votre progression - des pouvoirs magiques offerts par l'Outsider. Et ceux-ci, qui apportent fun et autorisent une certaine créativité , offrent un éventail d'actions encore plus étoffé que vous pourrez faire évoluer en dépensant des runes - qui peuvent aussi renforcer la jauge de vie, l'agilité ou débloquer la fabrication d'artefacts ajoutant bonus et malus - débusquées ici et là. Corvo, héros du premier épisode, récupère sa traversée de courtes distances, sa possession d'ennemis, son invocation de rats, sa tornade et son ralentissement du temps. Ils ont fait leur preuve, évoluent correctement et continuent de convaincre. Emily, si elle est aussi capable d'atteindre des endroits un peu éloignés en se projetant et que sa Fascination opère comme un étourdissement prolongé, a droit à du neuf. Avec Domino, elle peut lier plusieurs antagonistes et si l'un décède, les autres aussi ; elle a le droit de matérialiser un ou plusieurs clones qui serviront de leurre ou de compagnon d'armes ; la transformer en ombre rampante (ce qui n'est pas sans faire penser à The Darkness) la rend quasi indétectable et lui ouvre accès aux conduits empruntés pas les rongeurs urbains. Toutes ces facultés, optionnelles, offrent de quoi perfectionner son approche, échafauder des plans diaboliques, expérimenter quelques idées folles et même constater des combos farfelus... Bref, créer et improviser dans un monde qui n'attendait que ça.

La vengeance est un plat...

Parce que parmi "les outils mis à disposition par les développeurs", il fallait bien évoquer les niveaux en eux-même. Les plus belliqueux ou les désintéressés, qui préféreront avancer en profitant d'un système combat nerveux permettant des enchaînements rapides et des boucheries bien sales, ou bien en courant, ne verront probablement pas l'incroyable réussite de Dishonored 2. A l'instar de Deus Ex : Mankind Divided sorti il y a quelques mois, il n'a pas répondu à l'appel des sirènes du monde ouvert et a préféré se fractionner - ce qui occasionne des temps de chargements un peu frustrants dès lors qu'on change de zone ou qu'il faut revenir à une sauvegarde antérieure après un échec cuisant. Il propose donc plusieurs bacs à sables, gigantesques, vivants, truffés de pièges à désactiver ou retourner contre leurs utilisateurs. Et des ennemis placés avec vice, dont l'I.A n'est pas à trop sous-estimer. Même si les deux premiers modes de difficulté nous font rencontrer quelques aveugles aux réflexes de centenaires chez les humains (les robots sont plus affutés), au-delà, cela devient plus compliqué. Surtout que ça frappe plus fort.

De fait, on observe. On prend de la hauteur. On constate d'abord que la verticalité - pensez toujours à chercher toits, balcons, rebords ou réverbères - a été très poussée en comparaison de l'épisode précédent. Et que le nombre de points d'entrée pour atteindre un objectif est énorme. Il y a toujours une route, même suspendue, même minuscule. Et si c'est barré ou verrouillé, la solution existe. Des gens prêts à vous aider, des codes griffonnés, des bonbonnes de carburant à faire péter, ça se trouve. Les alternatives et quêtes annexes ne manquent pas. Elles sont même plus réjouissantes. Surtout quand vous avez trouvé un cheminement pour donner pire que la mort à une ordure de la pire espèce. Alors oui, ça peut parfois rallonger un peu le trajet et occasionner d'autres mauvaises rencontres et des morts prématurées. Mais le truc, c'est que Dishonored 2 agit comme un joujou extra qui fait Crac Boum Hu. Et qu'au moindre recoin qu'on imagine inexploré, on a envie de s'engouffrer, de découvrir d'autres distractions - car elles sont nombreuses et Dieu sait quels secrets il reste à découvrir. Et je ne dis pas ça pour les objets à ramasser ni parce que les deux personnages principaux ont quelques différences. Il y a une autre raison pour laquelle on veut en voir toujours plus et même aller au-là d'un premier run (entre 15 et 20 heures).

... que je mange tout de suite

S'il y a bien un élément qui scotche le joueur à ce titre comme un insecte à du papier tue-mouche, outre la conception des zones, leur architecture et la foule d'options offertes par le gameplay pour arriver à ses fins, c'est son univers. Peaufiné à l'extrême, il ne cesse de nous raconter des histoires avec une mise en scène qui fait mouche et sur des musiques et sons parfaits. A travers ses personnages principaux, bien sûr, mais aussi les plus secondaires, que l'on peut observer, écouter, ou voir partir trahir notre présence à la milice, en étant jamais déçu. La cohérence de cet ensemble vivant et bien garni, avec des éléments de background comme des livres ou des missives à feuilleter, transpire dans une direction artistique et une atmosphère uniques. Les différents secteurs qu'on visite à Karnaca - autrement moins monotone que Dunwall - proposent tous des lieux visuellement marquants. Du port gorgé de soleil où l'on débute jusqu'à un palais des plus modernes, en passant par un conservatoire où des sorcières se baladent entres bibliothèques et animaux empaillés et un manoir dont les pièces se modifient mécaniquement, on reste ébahi par le soin apporté au moindre détail et le sentiment d'oppression qui ne nous lâche jamais. Et que dire de ce château, au chapitre 7, qui introduit un mécanisme bluffant aussi bien au niveau du jeu que visuellement... Inoubliable.

Ce monde à la Thief, avec des éléments victoriens et d'autres empreint d'une technologie plus avancée qu'on croirait tirés de BioShock, des personnages au design anguleux et fascinants, immédiatement reconnaissables, il a du caractère. Une patte qui fait oublier une technique pas toujours ahurissante, même si l'on louera des textures justes pour certains matériaux et des effets de lumières et de reflets réussis. Dishonored 2 est ce qu'on appelle communément une bombe. Certains pourront être tentés de désamorcer en citant quelques errances : l'absence d'ombre projetée pour son personnage, qui aurait rajouté de la tension ; de rares ralentissements et problèmes de jointures scintillantes par endroits ; des ragdolls un peu grotesques par moments ; des ennemis qui, malgré un champ de vision étendu et des sens aiguisés, arrivent à ne pas repérer un K.O. effectué à moins d'un mètre d'eux ou foncent délibérément sur des flammes ou des barrières désintégrantes ; des vitres qui volent en éclats parce qu'un gredin chute à un mètre d'elles, un voice cast français pas toujours bien inspiré... Mais rien n'y fait : le charme agit. Aucune raison de résister.