Vous venez d'évoquer le choix des instruments, et je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que vous avez choisi de mettre en avant certains d'entre eux, qui le sont assez rarement, comme le hautbois, le violoncelle... Vous avez même utilisé un gamelan !

J'expérimente beaucoup avec les instrument solistes. Lorsque j'écris, je pense d'abord à la mélodie, et je n'hésite pas à changer d'instrument si je ne suis pas convaincu. J'ai tendance à avoir vraiment confiance dans les mélodies que je compose, et je n'hésite donc pas à les réutiliser, que ce soit pour Ori ou pour un autre titre.

Vous utilisez donc le concept de leitmotiv ?

Absolument. Les personnages ont leur propre thème, qui se développe au fur et à mesure : je garde le leitmotiv, mais je vais modifier l'accompagnement pour changer le ton. Je passe du majeur au mineur, je modifie l'orchestration... Vous rencontrez "un certain personnage" assez tôt dans le jeu, mais cinq heures plus tard, tout est très différent. Et pourtant, le thème du combat est le même qu'au début ! Je pose les bases dans le premier acte, et mon but au final est que lorsque vous arrivez à la fin du jeu, tout se recoupe, et c'est là que je frappe de toutes mes forces. Je suis content que vous enregistriez, car je veux que cela soit dit : je n'ai jamais été plus confiant dans quelque projet que ce soit qu'avec la fin que nous vous proposons. La première fois que j'ai vu la fin, je me suis dit "Wow, on peut faire ça ?". Je serais choqué que quelqu'un y trouve quelque chose à redire.

Vous utilisez aussi les silences, même à l'intérieur des mélodies.

Je vous parlais d'en faire trop il y a quelques minutes, et cela me permet de compléter ma réponse : le plus important dans la musique, ce ne sont pas les notes, mais l'espace qui existe entre les notes. Apporter des respirations vous permet de faire les choses différemment. Il faut savoir se faire tout petit par moments, et cela nécessite de véritablement réfléchir à ce que l'on espère atteindre. On n'improvise pas ce genre de chose en une nuit. Je n'ai pas une approche agressive de la musique, à moins d'en avoir besoin, et j'applique également cette démarche au son, pas seulement à la musique elle-même. De la même manière, je ne compose pas de thème de combat, à moins d'avoir réellement besoin de tuer un ennemi, comme un boss. Si je n'ai pas vraiment besoin de me battre, je n'ai pas besoin de changer le thème. Et parfois, il y aussi des silences, car il faut savoir doser subtilement les choses. Supprimer la musique me permet de préparer mentalement le joueur à certains moments-clés.

Votre réflexion évolue donc au fil du temps...

Oui, je n'aurais pas pu écrire cette musique pour Ori il y a cinq ans, et je ne pourrais pas écrire celle de The Blind Forest maintenant, car mon état d'esprit est différent.

N'était-ce pas trop difficile de travailler sur une suite ? Tout le monde vous attendait au tournant !

Clairement. Le plus dur à gérer, c'était les attentes des joueurs. Lorsque le jeu a été annoncé, certains se sont empressés d'affirmer : "Super, la bande-son va être géniale !". J'ai lu ce genre de commentaires, et je me suis dit : "Ah bon ? Mais je n'ai encore rien composé !". J'en plaisante, mais j'ai essayé de ne pas faire à tout prix une bande-son qui éclipserait le premier épisode, car c'est le meilleur moyen de faire n'importe quoi. Les premiers retours des développeurs n'étaient pas forcément très bons, il me demandaient de me calmer un peu, et comme tout le monde se parle, nous écoutons mutuellement nos conseils. Parfois, c'est moi qui leur demandais de supprimer certains monstres, car on ne pouvait plus apprécier les décors ! Tout doit fonctionner ensemble, car tout est important. Même les nouveaux arrivés chez Moon Studios peuvent m'adresser leurs critiques, je les écoute toutes, car ils peuvent très bien avoir raison : il n'y a pas de place pour l'ego dans ce genre de travail.