Ouvert ce lundi 17 mars, le colloque “Game Developers Conference” offre d’ordinaire une tribune aux développeurs du monde entier pour exposer leur appréciation des tendances du marché entre professionnels. Les constructeurs restent légèrement en retrait, ne dépêchant que les dirigeants des départements software. Toutefois, cette édition avait une tout autre coloration. Sony a en effet bouleversé son agenda, le mondial du jeu vidéo de juin 2014 devenant un horizon trop lointain pour le fabricant japonais...
 
Bien que le secret avait été éventé par un grand quotidien nord-américain quelques heures avant l’ouverture des portes de ce salon dédié aux professionnels, le numéro un de l’électronique grand public a dévoilé son nouvel électrochoc : le Project Morpheus. Moins un périphérique qu’une plate-forme spécifique aux fonctionnalités complémentaires à la PlayStation 4, ce dispositif fait entrer de plain-pied Sony dans le segment de la réalité virtuelle. Tous les grands acteurs de cette industrie passés et présents se sont frottés avec des fortunes diverses à cette technologie capricieuse. Sega, Atari, Nintendo représentent un échantillon des candidats malheureux, cependant le progrès technique aidant, la réalité virtuelle s’est considérablement perfectionnée au point de devenir une véritable alternative à l’écran de télévision. Jusqu’à même intégrer l’orientation dans l’air du temps “divertissement interactif multi-écrans” incarnés par les tablettes et autres smartphones.
 
Tous les grands acteurs de cette industrie passés et présents se sont frottés avec des fortunes diverses à cette technologie
 
En ce sens, l’engouement soulevé par l’Oculus Rift fraîchement racheté par Facebook valide la viabilité commerciale de ce nouvel axe de développement de l’interactivité dans le domaine des loisirs interactifs et branches annexes (application dans le domaine médical, architectural...). Le retour naissant de l’autorité de Sony caractérisé par le triomphe porté à la PS4 se confirme une nouvelle fois avec le Project Morpheus. Dans une catégorie où les critères esthétiques passent au second plan, le casque VR du constructeur japonais se démarque par des formes élancées et harmonieuses qui respectent les codes immuables du design de la marque.
 
Il n’en faut pas moins pour un produit destiné « à changer le jeu vidéo » selon la profession de foi de Shuhei Yoshida, président de SCE Worldwide Studios, prononcée en préambule de son grand oral introduisant l’appellation non définitive “Project Morpheus” dans le vocable de tout un chacun. Au-delà de toute considération technique, l’ambition du responsable de l’une des plus puissantes branches du fabricant est de provoquer chez le joueur « un sentiment de présence » voire « toutes sortes de choses encore inimaginables » enchérit Richard Marks, directeur de la section R&D chez SCEA à qui l’on doit l’EyeToy ainsi que le PS Move.
 
 
Le prototype présenté utilise un écran intégré doté d’une résolution 1080p servie par un angle de vue balayant 360°. Un accéléromètre, un gyroscope soutenu par « une technologie audio 3D » viennent parfaire les caractéristiques du casque VR qui se signale par sa sobriété extérieure. Soucieux de l’associer à l’écosystème PlayStation 4, Morpheus « utilise la DualShock 4 et le PS Move » en plus de la PS Caméra. La compatibilité avec cette dernière est dévolue à « l’expérience sociale » du jeu en mode réalité virtuelle alors que le joueur comme prisonnier de son casque est isolé de son environnement extérieur. Un argument difficilement acceptable, mais glissé l’air de rien afin d’émousser les craintes d’une évidente coupure du joueur avec le monde extérieur.
 
Une innovation qui reste encore à être adoptée par le grand public si bien que Richard Marks assure travailler sur six pistes de développement : « La vision, le son, le suivi, le contrôle, le confort d’utilisation et le contenu » afin de faire du projet Morpheus un produit de masse.
 
Si le casque de Sony a fait événement, les opinions exprimées par les professionnels de l’industrie sont très partagées. Certains doutent de la pertinence et de la solidité du modèle économique de cette technologie comme l’explique Ed Fries, co-créateur de la Xbox : « Après avoir observé la spectaculaire déconfiture de la TV 3D, je suis sceptique sur les chances de la réalité virtuelle, du moins comme un produit de grande consommation. » Tim Sweeney, fondateur du studio Epic Games à une tout autre idée de l’avenir de ce dispositif : « Il va changer le monde » , rien de moins.
 
Le fabricant a bien conscience de l’existence de cette bipartition, c’est pourquoi par la voix du responsable de la branche Worldwide Studios, le fabricant courtise davantage les développeurs indépendants que les éditeurs tiers : « Je suis impatient de collaborer avec la scène indé, témoigne Shuhei Yoshida. Nous nous sommes approchés des éditeurs, ils sont très enthousiastes, mais attendent l’arbitrage du marché. » Une frilosité que ne connait pas les indépendants, plus aptes à la prise de risque : « Grâce à leur détermination, l’industrie regorge de jeux indés. » Défricher le marché naissant de la réalité virtuelle oui, néanmoins pas à n’importe quelle condition : « Ils réalisent des jeux dans le but de se démarquer de la concurrence. Cette approche est heureuse pour la VR, car elle nous protège des portages de jeux » en provenance directe des consoles de salon.
 
 
C’est pourquoi Sony a privilégié l’intimité du GDC au spectacle son et lumière du salon de l’E3. Une démarche cohérente avec celle de la PS4 caractérisée par l’adoption d’une attitude empreint d’humilité et d’une écoute attentive des créatifs indépendants comme ceux bien installés. La présence de démos expérimentales domptant de grosses franchises (God of War, Thief) aux contraintes de la réalité virtuelle laisse deviner les prétentions de Sony dans cet univers aux immenses promesses en passe d’être enfin tenues.