Vous le savez certainement (et si vous ne le savez pas je tiens à ce que vous le sachiez), Ninja Gaiden 3 Razor's Edge sortira le 5 avril sur PS3 et Xbox360. Cet événement qui peut paraître anecdotique est en réalité très important, car il constitue la première perte d'une exclusivité WiiU (la 2e n'a d'ailleurs pas tardé). Il est la manifestation la plus éclatante de la supercherie qui entoure le line-up initial de la WiiU, véritable château de cartes qui à présent s'effondre comme par enchantement. En effet, Nintendo n'avait pas manqué de faire savoir qu'il éditait lui-même le jeu en occident, et a très largement communiqué dessus à la Paris Game Week, sur les réseaux sociaux ou via Siliconera. Reste que, moins d'un mois après sa sortie européenne, TecmoKoei le destine déjà aux consoles concurrentes. Ceci en en dit long sur le «soutien» que les rares éditeurs tiers présents sur WiiU accordent à cette machine. Comme si cela ne suffisait pas, même Ubisoft que l'on pensait fidèle parmi les fidèles, a torpillé son partenaire en annonçant prématurément le portage de Rayman Legends. Les éditeurs engagés dans l'aventure WiiU sont déjà en train de quitter le navire...

Les autres ne se bousculent pas vraiment pour développer sur WiiU : les annonces les plus récentes comme Dark Souls II, The Phantom Pain, Killer is Dead, The Witcher 3 ou encore Murdered juste tout à l'heure, boudent ostensiblement la nouvelle machine de Nintendo. Pire, les démentis s'enchaînent, comme dans le cas de Crysis 3 ou encore Castlevania Lord of Shadows 2. Au moment où les machines de Sony et Microsoft enchaînent les grosses sorties, la WiiU n'a pas grand chose à proposer, et les titres connus (Pikmin 3, The Wonderful 101) sont sans cesse remis à plus tard. Tecmo, quant à lui, prefère porter Dead or Alive 5 sur PSVita, c'est dire...

Sur le terrain économique, là aussi le constat est amer pour Nintendo qui a dû revoir drastiquement à la baisse (-27%) ses objectifs de livraisons pour l'exercice en cours.

Aux Etats-Unis, la WiiU a pourtant connu un lancement robuste, bien supérieur à celui de ses concurrentes actuelles. Elle s'effondre cependant très vite début 2013 pour atteindre des niveaux comparables à la PSVita et inférieurs à la PS3 sur une période équivalente (chiffres des lancements respectifs mis en parallèle, compilés de VGchartz).

Au Japon là encore, le lancement est fort. Mais là encore la WiiU tombe très vite en-dessous de la PS3 de l'époque. Plus inquiétant encore, NeoGaf révèle que cette semaine, la WiiU fait encore moins bien que la PSVita sur une période équivalente (12000 WiiU contre 17000 PSVita sur la même période l'année dernière). La PSVita pourrait d'ailleurs bien dépasser la WiiU dans les semaines à venir car elle a plusieurs solides titres à venir (Senran Kagura, Tales of Hearts R, God Eater 2, etc.) alors que le planning de la WiiU tient en 4 lignes.

Intéressons-nous à l'Europe maintenant. Vgchartz estime que depuis son lancement le 30 novembre, la WiiU se serait écoulée à plus ou moins 500'000 exemplaires. En d'autres termes, la WiiU s'est vendue en 2 mois autant que la PS3 à 599€ lors de sa semaine de lancement! Plus largement, on constate que passée la période des fêtes, la WiiU rivalise difficilement avec la PS3 d'hier comme d'aujourd'hui, et commence même une course funeste avec la PSVita. Les savants utilisateurs de Vgchartz se sont amusés à comparer les chiffres des différentes périodes de lancement, et le résultat est sans appel. La stratégie consistant à monnayer des jeux ici et là afin de faire passer la console pour ce qu'elle n'est pas a échoué. Ninja Gaiden Razor's Edge, en dépit de ses améliorations considérables et de la tonne de bonus injecté, n'a eu aucun impact significatif sur les ventes de la console.

Mais le pire est certainement à voir du côté des ventes de jeux : les jeux Nintendo ont littéralement écrasé les titres éditeurs tiers censé donner une image plus «hardcore» à la machine. Ce graphique de Vgchartz est assez éloquent quant aux early-adopters de la WiiU : seuls les fans historiques de la marque et une partie des joueurs occasionnels ont fait le pas. Les autres sont restés sur PS3 et 360, et attendent patiemment la vraie next-gen. On comprend alors mieux les atermoiements des éditeurs tiers : quel intérêt y a-t-il à développer pour une console sur laquelle le monopole du constructeur est aussi conséquent?

Malgré tout, cette faiblesse apparente de la WiiU n'est probablement que provisoire. La firme de Kyoto n'a pas encore jeté toutes ses forces dans la bataille : des titres comme Yoshi's Yarn, Shin Megami Tensei X Fire Emblem ou le nouveau Monolith pourraient bien changer la donne, tout comme l'arrivée des jeux first party avait boosté la 3DS. Enfin, n'oublions pas que Nintendo garde dans sa manche un autour majeur : la technologie NFC. S'ils combinent l'attrait des figurines avec la popularité de grosses licences (Mario, Rayman, Pokémon), ils prendront une option décisive sur le marché des occasionnels, qui seront sûrement peu séduits par Orbis ou Durango. Mais ce faisant, ils se couperont définitivement des gamers.

Ce qui nous renvoie à mon postulat de départ : je ne vous dis pas que la WiiU va perdre ou gagner, je n'en sais rien. Ce qui est sûr, c'est que Nintendo paie aujourd'hui au centuple des années de politique casual. Sony et Microsoft ont mis des années et consenti d'énormes efforts pour bâtir une confiance profonde vis-à-vis de leur public. Nintendo a eu l'arrogance de croire que cela pouvait s'acheter avec quelques chèques. Ils découvrent avec stupeur que les joueurs voient au-delà des discours d'intention et des arguments fallacieux. Ils constateront alors que le temps nécessaire à restaurer cette confiance vis-à-vis des gamers est un peu plus long que celui d'une exclusivité temporaire.