Avec My Memory of Us, le studio Juggler Games basé à Varsovie profite du lourd passé historique de la capitale polonaise pour accoucher d'une histoire poignante qui tente de relater à travers les yeux forcément innocents de deux enfants, les atrocités de l'invasion allemande de 1939, et l'horreur du tristement célèbre ghetto de Varsovie.

I remember (feat. Kaskade)

Et c'est, une fois n'est pas coutume sous la forme d'un point'n click résolument accessible que vous allez suivre les aventures forcément peu réjouissantes de mômes pris dans la tourmente d'un conflit qui, évidemment, les dépasse. Heureusement pour nos pauvres petits coeurs, l'histoire est racontée a posteriori par un vieux responsable de bibliothèque dont la mémoire va soudainement se réactiver à la faveur d'une visite réveillant de plus ou moins douloureux souvenirs. S'il est forcément impossible de se détacher du contexte historique, My Memory of Us commence quelques jours avant la guerre, et nous laisse découvrir une amitié naissante, qui profite de ces derniers jours de quiétude pour dérouler des mécaniques somme toute assez simples.

La thématique était franchement délicate : il eut été si facile de se prendre les pieds dans le tapis en dépeignant l'atroce tragédie édulcorée par l'innocence de la jeunesse, et Juggler Games s'en sort ici avec les honneurs. Si les joueurs un brin au fait de l'actualité du siècle dernier comprendront sans mal la tragédie qui se déroule sous leurs yeux, il n'est jamais explicitement question de la Wehrmacht ou de la déportation, les références étant amenées avec beaucoup d'intelligence. En lieu et place des nazis, c'est une armée de méchants robots qui piétine sans ménagement la ville de Varsovie, et cible une partie de la population en les marquant d'un rouge vif qui tranche sans mal avec le noir et blanc qui donne le ton de l'aventure.

Le Fantôme de Varsovie

La direction artistique de My Memory of Us est d'ailleurs à saluer dans son ensemble : s'inspirant assez largement de Soldats Inconnus sur de nombreux plans, le design des personnages et des décors rend hommage à un esthétisme européen qui colle évidemment parfaitement au propos. On pourra lever un sourcil interrogateur devant la dichotomie qui scinde les brèves phases de narration habillées de la voix de l'inimitable Patrick Stewart, et celles de jeu pur, qui optent pour un chara-design légèrement différent, mais cela relève plutôt du détail. Il y a de toutes façons à boire et à manger dans ces décors qui proposent plusieurs niveaux de lecture, comme autant de couches qui constituent le triste théâtre de cette tragédie, et rappellent ici et là l'horreur de la situation. Que ce soit à travers une bombe coincée dans un arbre et tout juste visible le temps d'un travelling ou du rappel de l'étoile jaune mentionnée sur les murs par l'intermédiaire de la stigmatisante couleur rouge, le poids de l'Histoire est discret mais toujours présent pour le spectateur peu pressé.

L'animation ne souffre quant à elle d'aucun défaut, et fait preuve d'une fluidité constante, ce qui rend l'expérience très agréable. La lisibilité des éléments avec lesquels interagir n'est pas toujours au rendez-vous, la faute à des collisions parfois hasardeuses et à des zones trigger un brin capricieuses, mais ces petits désagréments ne sont jamais pour autant des éléments bloquants. La couleur rouge, ici ô combien stigmatisante, permet tout autant de marquer les populations impies que d'identifier les items qui vous permettront d'avancer au sein des tableaux plus ou moins complexes qui structurent la petite vingtaine de chapitres de ce roman d'amitié.

Le tube ghetto

Les phases de gameplay réussissent de temps en temps à sortir du pur jeu d'aventure, prenant ici la forme d'une course-poursuite, là d'une séquence d'infiltration pas forcément passionnante. Heureusement, c'est bien votre déduction plus que votre adresse qui vous permettra de passer d'un tableau à l'autre, sachant que My Memory of Us propose une sorte d'entonnoir inversé (qui a dit "Final Fantasy XIII" ?) qui vous oblige à maîtriser les quelques mécaniques de base avant de vous lâcher dans le ghetto, et ses innombrables ruelles dans lesquelles il faudra faire preuve d'orientation et de mémoire. Si vous pouvez la plupart du temps incarner le duo en tenant la main de votre co-équipier(e), il faut à l'occasion profiter de la spécificité de chacun : tandis que le garçon peut péniblement aveugler les gêneurs à l'aide de son miroir, la fille profite d'un lance-pierres qui ne vise pas toujours si juste... Malgré tout, les vétérans du genre s'en sortiront sans trop avoir à se taper la tête contre les murs, ce qui explique sans doute l'absence totale d'indices, au risque de se couper d'un très large public.

Et s'il sera facile de se laisser entraîner par la charmante direction artistique du jeu de Juggler Games, la bande-son conséquente composée par Patryk Scelina est un véritable régal pour les oreilles. En faisant la part belle aux cordes slaves, à l'accordéon, mais également en offrant un peu de lumière à la clarinette, le compositeur nous plonge en un claquement de doigt dans une ville de Varsovie criante de réalisme. Piochant sans vergogne dans toutes les possibilités instrumentales de l'orchestre, Scelina illustre avec justesse chacune des nombreuses situations dépeintes dans My Memory of Us, des chaleureux moments de jeux dictés par l'insouciance jusqu'aux heures les plus sombres de l'Histoire, comme le veut l'expression consacrée. En revanche, impossible de ne pas tiquer en entendant les premières notes du générique des Tiny Toons sortir de la radio du ghetto...