Japon, ville de Yokosuka, novembre 1986. Alors qu'il rentre chez lui, le jeune Ryo Hazuki se rend compte que quelque chose ne va pas. Arrivé précipitemment au dojo familial, il découvre son père Iwao aux prises avec un individu qui semble être lié à la mafia chinoise. Combattant extrêmement puissant, ce dernier essaie d'obtenir des informations sur l'emplacement d'un mystérieux "miroir." Lorsqu'il essaie de s'interposer, Ryo est lui aussi mis hors d'état de nuire sans grande difficulté. Voyant son fils menacé de mort par le mafieux, Iwao finit par livrer l'emplacement du miroir avant de succomber à ses blessures. Une fois remis, quelques jours plus tard, Ryo va à son tour partir à la poursuite de l'assassin de son père. Comme il ne dispose d'aucune piste, il va devoir commencer son enquête de la plus simple des manières, c'est-à-dire en interrogeant ses voisins. Il est alors loin d'imaginer qu'il est en train de se lancer dans une quête qui lui révélera le passé de son géniteur et le fera quitter son Japon natal.

What's Shenmue ?

"Monde ouvert," "tourisme virtuel," "QTE." Voilà quelques expressions fréquemment entendues dès qu'il est question de jeux vidéo actuels. Mais ces expressions ne seraient certainement pas aussi répandues sans les deux premiers Shenmue. Dans ces jeux, il est question d'une aventure en monde ouvert, mais à échelle humaine, mêlant exploration, enquête, énigmes et combats (sans oublier les différents mini-jeux, comme ceux des salles d'arcade ou les jeux de hasard chinois, qui n'ont pas d'impact sur l'intrigue principale). Les phases d'investigation et la résolution d'énigmes passent par des interactions avec des personnages ou des objets tous modélisés en 3D dans des environnements bénéficiant d'un niveau de détail sans précédent lors de la sortie de Shenmue en 1999 et toujours impressionnant aujourd'hui. Les scènes d'action sont quant à elles découpées en deux catégories. La première, les "Quick Time Events" ou QTE. Si le système de scène cinématique interactive demandant une réaction rapide du joueur existait depuis des titres comme Dragon's Lair, c'est Yu Suzuki qui l'a démocratisé (et qui a lui a donné le nom de QTE). La seconde catégorie correspond à des combats utilisant un moteur proche de ce qu'il était alors possible de voir dans Virtua Fighter (une autre création de Yu Suzuki). Accessibles mais techniques pour qui s'en donne la peine, ces séquences de combat dénotent d'un réel amour pour les arts martiaux. Clairement innovante à la fin des années 90, l'association des différents types de gameplay qu'exploitent Shenmue et Shenmue II fonctionnent toujours très bien en 2018.

Yôkoso Japan

Parmi les éléments qui font de Shenmue et Shenmue II deux titres parmi les plus marquants de l'Histoire du jeu vidéo, la richesse de l'univers tient une bonne place. Shenmue transporte le joueur dans le Yokosuka de la seconde moitié des années 80, là où le héros de l'aventure a grandi et à toujours vécu. Ici, tout le monde (ou presque) se connaît et se parle régulièrement. Afin de renforcer l'immersion, le temps passe vraiment dans Shenmue (une heure de jeu correspond à 24h dans le jeu) et chaque PNJ croisé dispose de son identité, de son histoire, de son activité et de son emploi du temps. Il est par exemple possible de suivre un commerçant du matin lorsqu'il ouvre sa boutique, jusqu'au soir lorsqu'il rentre chez lui. Tous les joueurs ne verront pas tous les mêmes scènes au cours d'une partie. Être à certains endroits à certains moments ou interagir fréquemment avec certains PNJ permettra par exemple de voir des scènes spéciales qui n'ont pas nécessairement d'impact sur la trame principale mais qui contribuent clairement au sentiment d'appartenance à cette petite communauté. Tout dans Shenmue invite à l'exploration et il est aisé de laisser de côté la trame principale pendant des heures afin de découvrir ce que cache l'univers imaginé par Yu Suzuki.

Le jeu se voulant à la pointe en matière de réalisme, l'argent joue également un rôle essentiel dans les pérégrinations de Ryo Hazuki. Si bien qu'il va devoir à plusieurs reprises trouver du travail pour parvenir à ses fins. Si certains ont à l'époque reproché à Shenmue le côté rébarbatif du travail in-game, pour votre serviteur, cela contribuait grandement à l'intérêt de l'ensemble. Et en parallèle à la quête principale, qui elle aussi demande parfois de respecter un programme précis, Shenmue permet également de prendre part à diverses quêtes annexes. Celles-ci, qui vont du sérieux au un peu plus léger, ne sont pas indiquées comme telles et peuvent aisément être manquées. Petites tranches de vie de Ryo Hazuki et de ses congénères, elles n'offrent pour unique récompense que la satisfaction d'avoir bien agi et de s'être plongé encore plus dans la vie du protagoniste et des personnes qui l'entourent. Et même lorsqu'il n'est pas question de quêtes annexes, le simple fait de parler régulièrement aux PNJ tout au long du jeu permet d'en découvrir davantage sur leur vie, et voir leur situation évoluer. Le joueur apprend à connaître les différents habitants de Yokosuka qu'il croise pendant l'aventure et finit par ressentir un peu de tristesse à l'idée de les quitter lorsque vient le moment de partir du Japon à la fin du jeu.

Les Mystères de Hong Kong

Si Shenmue permettait de découvrir un environnement relativement réduit en termes de superficie, comme pour marquer la familiarité de Ryo avec ce et ceux qui l'entourent, Shenmue II fait exploser toutes les statistiques. Arrivé à Hong Kong, le héros se retrouve plongé dans un environnement radicalement différent, inconnu, souvent hostile, mais tout aussi envoutant. Plus d'exploration, plus d'action, plus de combats, plus de scènes mythiques, plus de variété dans les environnements, Shenmue II va beaucoup plus loin que son prédécesseur dans tous les domaines. Le tout, dans une map bien plus vaste que celle du premier volet. Alors que Shenmue premier du nom permet d'en découvrir davantage sur le mode de vie japonais de la fin du XXe siècle, Shenmue II plonge littéralement le joueur dans différents aspects de la culture chinoise. Mais nous n'entrerons pas dans les détails afin de ne pas gâcher la moindre surprise à ceux qui vont se plonger dans l'univers de Shenmue pour la première fois grâce à cette compilation. À noter au passage que pour ceux qui ont un peu de mal avec le rythme parfois lent de Shenmue, Shenmue II permet d'accélérer le temps pour aller directement à l'heure H lorsqu'un rendez-vous est donné à Ryo.

Gros point fort de Shenmue I & II, les possibilités offertes en termes de langages. Lors de sa sortie européenne sur Dreamcast, Shenmue proposait uniquement un doublage et des sous-titres en Anglais. Shenmue II sur les Dreamcast européennes proposait quant à lui le doublage japonais et toujours les sous-titres en Anglais, tandis que la version Xbox de Shenmue II était tout en Anglais. Pour la toute première fois, Shenmue I & II permet de traverser les deux épisodes en écoutant le doublage Japonais ou Anglais ET avec des sous-titres en Français. Si certains seront nostalgiques du doublage en Anglais extrêmement mal interprété et dans certains cas caricatural, pouvoir écouter le doublage japonais est vraiment recommandé. Ce dernier permet de découvrir que Ryo est loin d'être un robot et de noter les différents accents des PNJ croisés. Si l'immersion est de base un des points forts de Shenmue, la présence du doublage japonais ne fait que l'accroître. Pour chipoter, il est possible de noter que les sous-titres en Français ont l'air d'être en partie basés sur la traduction Anglaise et qu'il est parfois possible de se retrouver face à quelques tournures étranges et quelques fautes. Mais dans l'ensemble, c'est un bonheur de pouvoir enfin jouer à Shenmue et Shenmue II en version japonaise sous-titrée en Français. Et que dire de la magnifique bande-originale de Shenmue I & II. Adaptées aux différents lieux et situations, les musiques des deux jeux contribuent grandement à plonger le joueur dans cet univers. Le système de jeu, l'atmosphère ou encore la bande-originale de Shenmue I & II font que l'immersion dans les deux titres de Yu Suzuki fonctionne comme au premier jour. Une oeuvre majeure en 1999 comme en 2018.

Argent facile

Il est maintenant temps d'aborder le sujet qui fâche, celui du niveau de travail effectué pour proposer Shenmue I & II sur les machines actuelles. Shenmue a pendant longtemps été un sujet sensible chez SEGA. Une sorte de bouc émissaire pour la série d'erreurs stratégiques et d'échecs commerciaux qui ont mené à la fin de la production de la Dreamcast et à la transformation de SEGA en éditeur tiers. Même s'il arrivait que, de temps en temps, SEGA donne l'impression de ne pas avoir totalement effacé Shenmue de son histoire, en intégrant Ryo Hazuki au roster de Sonic & SEGA All-Stars Racing par exemple, l'éditeur ne voulait clairement pas entendre parler de la saga de Yu Suzuki. L'annonce de Shenmue III a cependant tout changé. Face au succès sans précédent du Kickstarter du jeu, au buzz que l'annonce de ce dernier a créé et aux demandes toujours plus nombreuses et insistantes des fans, SEGA s'est visiblement dit qu'il y avait quelque chose à faire avec Shenmue. La jaquette du jeu indique d'ailleurs noir sur blanc que Shenmue I & II sont les rééditions les plus demandées de l'histoire de SEGA. Mais que faire tout en prenant le moins de risques financiers possible ? La réponse : Shenmue I & II. Cette compilation donne l'impression que SEGA dit aux fans : "voilà, vous l'avez votre Shenmue, arrêtez de nous casser les pieds maintenant !"

L'éditeur nippon a en effet confié à d3t, studio britannique déjà responsable de la compilation SEGA Mega Drive Classics sortie récemment, le soin de porter Shenmue et Shenmue II sur plates-formes actuelles en effectuant le strict minimum en termes de modifications. Les textures et modèles sont d'époque et certaines font un peu mal aux yeux sur les écrans actuels. À ce propos, et même si seuls une poignée de personnages étaient concernés, pourquoi ne pas avoir utilisé les modèles vus dans le Shenmue Passport (le Shenmue Passport proposaient quelques vidéos dans lesquelles des versions graphiquement plus avancées de certains personnages du jeu expliquaient certains détails du jeu) ? C'est quelque chose que des moddeurs avec beaucoup moins de ressources cherchent à faire depuis des années et qui aurait véritablement ajouté quelque chose à Shenmue I & II. Les animations n'ont pas été modifiées non plus. Si cela ne choquait pas sur Dreamcast, la rigidité de Ryo et le côté robotique des différents PNJ s'avèrent assez saisissants aujourd'hui (le grand soin apporté au système de combat et à sa technicité se souligne encore en 2018). Mais ce qui choque le plus se passe finalement du côté du son. Si, comme évoqué précédemment, les musiques sont toujours aussi belles, la compression des dialogues agresse les oreilles. Ces derniers n'ont évidemment pas été réenregistrés pour l'occasion et les jeux plein de dialogues du moment servent à souligner le vieillissement des fichiers fortement compressés de Shenmue I & II. À ce propos, il est fortement conseillé de faire un tour dans les options lors du premier démarrage pour diminuer (beaucoup) le volume des bruitages et (légèrement) celui des musiques tout en gardant à fond le volume des dialogues. Sans ça, il est difficile d'entendre ce qu'ont à dire les nombreux protagonistes.

Dans les mois qui ont précédé la sortie de Shenmue I & II, de nombreux joueurs se demandaient si les développeurs allaient moderniser la méthode de contrôle de Ryo. Mais là encore, les modifications sont minimes. Il est possible de déplacer le héros avec le joystick gauche et de bouger simultanément la caméra avec le joystick droit. En revanche, la gestion de la caméra avec le second stick n'est pas libre. Elle se limite aux mouvements que Ryo peut faire avec sa tête. Shenmue ayant à l'origine été conçu pour être joué sans second stick, la caméra se calait automatiquement en fonction des déplacements et du positionnement de Ryo. C'est toujours le cas ici et cela fonctionne toujours très bien. Une fois les réflexes de l'utilisation du second stick oubliés, il est clairement plus confortable de jouer en n'utilisant que le stick gauche. Si d3t avait voulu véritablement exploiter le second stick, il aurait fallu déverrouiller la caméra. Mais cela aurait pu poser des problèmes dans les environnements clos. En parallèle à l'absence de modifications d'envergure de la réalisation, Shenmue I & II souffre à l'heure actuelle de divers problèmes d'ordre technique : gros ralentissements dans Shenmue, caméra qui peut se perdre pendant des cinématiques, plantages intempestifs, bug dans le mini-jeu Excite QTE 2 qui fait systématiquement perdre (lorsque le jeu demande d'appuyer sur la direction "haut"), bugs audio, etc. Malgré le gain de puissance procuré par les machines actuelles, et la diffusion des premiers patchs sur PS4 et Xbox One, Shenmue I & II ne tourne pas encore parfaitement. Cela étant dit, il est appréciable de noter que le temps de chargement ont été quasiment supprimés. Désormais, les écrans noirs indiquant l'heure, la date et le lieu servent davantage d'écrans de transition que de temps de chargement.

Le meilleur moyen de jouer à Shenmue

Alors même si la compilation déçoit tant Shenmue et Shenmue II méritaient mieux que ça, imaginez simplement ces deux jeux avec le niveau de mise à jour qu'a reçu le Yakuza 2 de la PS2 dans Yakuza Kiwami 2, Shenmue I & II n'est pas moche pour autant. Alors oui, les graphismes sont clairement datés mais ils conservent un certain charme (charme qui opérera certainement davantage sur les nostalgiques de l'ère Dreamcast). Et vu qu'il s'agit quasiment d'un simple portage, ils rappellent à quel point Shenmue était beau lors de sa sortie sur Dreamcast en 1999. Car oui, il est bien question d'un moteur développé il y a 20 ans. De plus, et même si ce n'est pas grand chose, la possibilité de jouer en haute résolution et en 16:9 (les cinématiques restent quant à elles toujours en 4:3) apporte réellement un plus. Shenmue I & II passent bien sur un écran actuel (les joueurs en quête d'une expérience "à l'ancienne" peuvent choisir de jouer en 4:3 ainsi que de désactiver la haute résolution et le flou lumineux dans les options). À noter par ailleurs qu'il apparaît évident que d3t a utilisé la version Xbox de Shenmue II pour créer son portage de ce deuxième épisode. Les textures sont plus nettes et les graphismes légèrement plus beaux que ceux de Shenmue. Et grâce aux nouvelles machines, certaines chutes de framerate vues dans Shenmue II ont été supprimées. Alors oui, les plus puristes des puristes rappelleront que la version Xbox de Shenmue II altérait certains éléments vus dans la version Dreamcast. Mais cela n'influe en rien sur la qualité de l'aventure.

Enfin, il est également important de souligner que le Shenmue Passport a été tout simplement supprimé. Finis les leaderboards, finies les vidéos de présentation du concept de Shenmue, fini le lecteur de musiques, fini le cinéma permettant de regarder les scènes cinématiques débloquées pendant l'aventure, etc. Même si tous les joueurs de Shenmue n'ont pas nécessairement utilisé le Shenmue Passport à l'époque, il s'agissait d'un élément important aux yeux de certains joueurs (n'est-ce pas Julo ?). Quitte à vouloir proposer un portage quasi-direct des versions originales des deux jeux, pourquoi supprimer cet élément ? Clairement pour se faciliter la tâche au maximum. Shenmue I & II étant une compilation célébrant la saga imaginée par Yu Suzuki, des bonus comme des artworks, de vieilles bandes-annonces, ou encore un making of à débloquer en réalisant certaines action en cours de partie auraient été les bienvenus. Shenmue I & II a la chance d'être la compilation de deux grands jeux vidéo aux qualités immenses et qui restent de superbes expériences en 2018. Des titres de moindre envergure n'auraient certainement pas encaissé un portage si limité.