L'histoire de Detroit, ou plutôt les histoires de Detroit, se déroulent en 2038, soit 20 ans devant nous. Cela peut paraître proche (nombre d'entre nous seront en effet encore de ce monde pour en témoigner) et lointain à la fois, tant on sait que les progrès exponentiels de la technologie y auront certainement déjà largement modifié notre société. Nous sommes donc plus dans l'anticipation que la science-fiction, et les équipes de Quantic Dream se sont ainsi attachées à créer un 2038 aussi crédible que possible. En dehors des androïdes, à l'intelligence artificielle et à la forme humaines presque parfaites, toutes les technologies que l'on croise dans cette vision futuriste de Detroit sont des évolutions d'éléments existant aujourd'hui, au moins dans des laboratoire de recherche et développement. Et si la ville peut émerveiller par tous les gadgets habillant ses contours futuristes, elle n'oublie jamais de s'inscrire dans le Détroit d'aujourd'hui, autour de ses monuments, de ses vestiges, de son histoire douloureuse.

Bienvenue à Android City

On le sait, avant de connaître la dépression, la désertion économique, la criminalité et le chômage de masse, Detroit a été au coeur de la révolution automobile durant la première moitié du XXème siècle. On l'appelait alors Motor City, ou Motown. Évidemment, ce n'est pas un hasard si Quantic Dream à choisi cette ville du Michigan pour sa "révolution androïde". En 2038, elle doit en effet son nouveau surnom "Android City" à l'immense réussite de la société CyberLife, qui produit à la chaîne depuis quelques années les fameux robots ultra-perfectionnés et si humains qui peuplent la cité et toutes les strates de la société. Travaux urbains, ménage, éducation des enfants, coaching sportif, sexualité, enseignement universitaire... ils remplacent avec avantage les humains dans toutes leurs tâches et métiers, grâce à leur intelligence supérieure et à leur endurance infinie. Leur puissance de calcul et d'analyse leur permettent même de briguer des places dans des équipes de sport ou des groupes de musique, voir dans l'Art, ce qui fait polémique et pousse de plus en plus la société humaine à la méfiance. D'autant que le chômage ne fait naturellement qu'augmenter. En 2038, une haine de l'androïde se répand de plus en plus largement, tandis qu'une certaine forme de ségrégation et de maltraitance des androïdes frappe immédiatement le joueur.

Le background de Detroit, tout cet univers créé par Quantic Dream, est effectivement très crédible, et plus globalement très réussi. On saluera particulièrement le superbe travail des artistes et designers du jeu, qui ont créé tous ces éléments (technologies, mode, contexte...) s'imbriquant les uns dans les autres pour former un tout cohérent, donnant immédiatement au joueur l'envie de plonger sans retenue dans cette nouvelle histoire, dès les premières séquences. C'est donc dans ce contexte pour le moins séduisant que le jeu nous propose d'incarner trois personnages, tous synthétiques, dont les destins croisés façonneront sous votre impulsion le développement et la fin du jeu, avec pour toile de fond l'inévitable thème philosophico-technologique de la conscience, du libre arbitre et de l'empathie qui pourraient émerger d'une intelligence supérieure que l'homme aurait lui-même créé, à sa propre image.

"Nous sommes vivants"

Connor (Bryan Dechart) est le modèle le plus moderne et le plus sophistiqué des trois. Ce prototype est envoyé par CyberLife à la Police de Detroit dans le but de l'épauler dans des interventions et investigations liées à des agissements d'androïdes "déviants". Comprenez par là des androïdes qui n'obéissent plus à leur programme interne, ou ont des comportements inattendus et inexpliqués. Disparitions, crimes... des cas de plus en plus nombreux semblent en effet inquiéter les autorités, tandis que CyberLife, dont la responsabilité est évidente, souhaite endiguer le phénomène et s'éviter tout problème.

Kara (Valorie Curry) est pour sa part une androïde domestique, programmée pour s'occuper au mieux de toute la maison et des enfants. Elle range, nettoie, aide aux devoirs, donne le bain, fait la cuisine... Lorsque le jeu débute, elle revient de réparation. Son propriétaire, un père célibataire au chômage qui entretient des relations conflictuelles et violentes avec sa petite fille, la ramène chez lui, dans une maison à la limite du sordide... Vous avez probablement déjà vu cette scène particulièrement marquante, dévoilée lors de la PGW 2017 et qui avait fait beaucoup de bruit.

Markus (Jesse Williams), enfin, a lui aussi une fonction domestique, mais il travaille dans des conditions bien plus avantageuses. Il veille sur son propriétaire, un riche artiste cloué à son fauteuil roulant qui entretient avec lui d'excellents rapports, qui s'apparenteraient presque à une relation père-fils. Son "maître" aime jouer avec lui aux échecs, lui a appris à jouer du piano et tente même d'éveiller en lui un sens artistique.

Quand chaque choix compte vraiment

La promesse principale de Detroit en termes de jeu, c'est de proposer à nouveau une histoire "élastique", comme aime à la définir David Cage, c'est à dire un scénario totalement modelable par le joueur en fonction de ses actes et de ses choix, qui l'emmèneront dans des ramifications scénaristiques plus ou moins différentes les unes des autres. On l'avait expérimenté avec plaisir dans Heavy Rain, dans lequel chacun des 4 protagonistes pouvait mourir sans que le jeu ne s'arrête, beaucoup moins dans Beyond, qui était plus linéaire et ne proposait qu'un seul personnage, et on le retrouve donc ici dans une version tout simplement énormissime en termes de possibilités. Encore une fois, chacun des trois héros peut mourir à différents moments clefs de l'aventure, sans qu'un quelconque Game Over ne vous invite à recommencer. La trame s'en accommodera et suivra simplement son cours en empruntant un chemin différent. Et des chemins différents, il y en a des tonnes ! Choix de dialogues, actions, trouvailles dans l'environnement, échecs... de nombreux éléments de chaque séquence sont susceptibles de vous faire emprunter une voie dans les multiples embranchements de l'histoire, jusqu'à en modifier radicalement le déroulement et surtout la fin.

Là où les deux précédents jeux de Quantic Dream s'évertuaient à "cacher" ces embranchements, pour que le joueur ait un sentiment de fluidité et ne se rende compte de leur ampleur qu'en recommençant une partie - ou en parlant de son expérience avec un ami ayant vécu tout à fait autre chose - Detroit termine chacune de ses scènes par la représentation du chemin parcouru dans une vaste et détaillée arborescence scénaristique. L'occasion de se rendre compte que dès la toute première mission de Connor, celle qui ouvre le jeu (la prise d'otage que vous avez peut-être essayée dans la démo), vous pouvez à la fois réussir ou échouer dans votre objectif, mourir ou rester en vie, faire une action optionnelle qui aura une répercussion des heures plus tard dans une autre séquence, et enfin conclure la mission de trois manières différentes. Certaines séquences sont encore bien plus complexes que celle-là, d'autres beaucoup moins voire pas du tout, mais au final les chemins possibles sont si nombreux et variés que pas une seule des 4 personnes ayant joué à Detroit à la rédaction n'a eu le même développement ou la même conclusion. Une sorte de Heavy Rain puissance 10. Résultat : l'impression de prendre des décisions qui comptent vraiment (même si évidemment l'histoire garde le contrôle de certains points "pivots" obligatoires) n'a jamais été aussi grande dans un jeu du genre.

Dis-donc toi Connor

Le reste du gameplay est à cette image : on retrouve tous les fondamentaux des dernières productions Quantic Dream dans un ensemble plus abouti. Le jeu est ainsi découpé en de nombreuses séquences pouvant durer de 5 à 20 minutes environ, dans lesquelles on incarne à chaque fois un personnage différent dans un lieu différent, fermé et plus ou moins vaste. Le stick gauche permet de déplacer le personnage et le stick droit a une double fonction : le contrôle de la caméra et les interactions avec le décor et les objets. Cette dualité pose d'ailleurs quelques soucis, lorsqu'on interagit avec quelque chose qu'on n'avait même pas vu alors qu'on souhaitait changer l'angle de vue, ou le contraire. On s'en accommode, ce n'est pas bien grave, mais ça peut faire râler. Les choix de dialogues se font la plupart du temps en temps limité (avant que le jeu finisse par choisir pour vous) et s'effectuent via les boutons de façade, tandis que les QTE sont plus ou moins complexes en fonction du niveau de difficulté choisi (casual ou pro, en gros). À noter que ces derniers sont plus difficiles que d'habitude, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Même un joueur expérimenté ratera quelques séquences, ce qui impliquera toujours un petit stress bienvenu.

Si Markus et Kara n'ont pas vraiment de fonctionnalités particulières, Connor, lui, offre un gameplay spécifique lié à sa nature d'androïde ultra-perfectionné et à sa fonction d'enquêteur. À de nombreuses reprises, vous serez ainsi amené à investiguer sur des scènes de crimes via quelques outils que ne renierait pas Norman Jayden. Quel que soit le personnage, le maintien de la touche R2 affiche une sorte de menu en réalité augmentée permettant de se guider, d'afficher les objectifs, etc. Mais dans le cas de Connor, on peut également analyser des éléments, effectuer une recherche ADN, suivre des traces de sang effacées, et surtout activer à certains endroits une sorte de magnétoscope numérique permettant de recréer une scène de crime pour ainsi dévoiler de nouvelles pièces à conviction et résoudre une enquête. C'est assez fun et surtout ça apporte une variété bienvenue à la formule.

Autre élément nouveau, qui a cette fois un impact sur la narration : chacun des androïdes qu'on incarne côtoie ses propres personnages secondaires, qui sont en quelque sorte des seconds rôles en puissance, participant eux aussi aux différentes évolutions possibles de votre histoire. Connor est associé à un flic nommé Hank, Kara à la petite Alice, Markus au peintre Carl... et d'autres personnages qu'on ne vous dévoilera pas pourront également s'ajouter à cette liste. Bref, selon vos actes et vos choix, encore une fois, la relation de votre protagoniste avec son acolyte pourra changer, jusqu'à passer dans certains cas de l'amitié à la haine. Quand cette relation évolue, vous êtes prévenu par un message en haut à droite de l'écran (les embranchements de fin de niveau ne sont pas les seuls éléments dévoilés, Detroit est véritablement "transparent" avec le joueur contrairement à Heavy Rain ou Beyond) et cela pourra avoir un impact fort sur le déroulement du jeu. Là encore, la sensation qu'on a de pouvoir véritablement choisir ce qu'on "fait" de son personnage, de la personnalité et du destin qu'on lui réserve, s'avère véritablement intéressante. Surtout dans le cas de l'un des trois protagonistes... mais je n'en dirai pas plus !

Beau comme un robot

Qu'on aime ou non la "formule Quantic Dream", ici à son meilleur niveau notamment pour les raisons évoquées plus haut, impossible de nier l'évidence : le studio parisien a pour habitude de nous en mettre plein les yeux. Pour Detroit, le moteur maison a encore été bonifié, la "performance capture" (le fait que les scènes soit jouées et enregistrées intégralement en une fois - acting, visages et mouvements compris) est à tomber par terre, les environnements sont photo-réalistes et fourmillent de détails, les effets cinéma (focales, profondeur de champ) sont bluffants... Ajoutez à cela le superbe travail des artistes et designers évoqué plus haut, et vous obtenez ce qui se fait de plus beau sur PS4, aux côtés de titres comme God of War ou Uncharted 4. On peut minimiser la performance en se disant que les environnements sont certes plus réduits, mais qu'importe, le résultat est là : Detroit affiche une réalisation simplement somptueuse, dont on se délecte du début à la fin.

En outre, on a particulièrement apprécié les changements d'ambiance d'un personnage à l'autre et d'une séquence à l'autre. Notez d'ailleurs que les musiques du jeu ont été composées par trois artistes différents, qui ont chacun créé des thèmes pour un protagoniste en particulier, tandis que Connor, Kara et Markus bénéficient également de types de plans et de cadrages différents. Des petits détails qui font aussi la différence.

Pour ne pas gâcher ce bel écrin, soulignons d'ailleurs la qualité à la fois du jeu des acteurs et des dialogues, dont on sait l'importance dans un jeu du genre. Ils participent pleinement à faire de notre progression dans l'histoire un moment des plus agréables. D'ailleurs, notez que la V.F. est réussie, mais qu'on perd malgré tout beaucoup à ne pas jouer en anglais. Performance capture oblige, nous sommes là face à un jeu qui a vraiment une version originale, et ça se ressent immédiatement quand on revient au français après avoir joué en anglais.

La Guerre des Boulons

Malgré toutes les qualités énoncées jusqu'ici, Detroit souffre évidemment de quelques défauts et fausses notes. On savait le sujet de l'I.A. et des androïdes un peu casse-gueule, de grandes oeuvres de la littérature et du cinéma étant déjà passées par là. Sur ce point, David Cage s'en est particulièrement bien tiré, puisqu'il n'a cherché ni à imiter, ni à imposer quelque chose de vraiment nouveau dans le traitement des questions liées à la conscience ou l'empathie qui pourraient naître d'une intelligence artificielle autonome et supérieure. Il s'est contenté de les poser, et de laisser ses personnages évoluer sous l'impulsion de vos choix dans cet univers donné. Cette implication, cette interaction plus développée que jamais dans un jeu Quantic Dream, ajoute indéniablement quelque chose, mais ne vous attendez pas malgré tout à ce que les quelques dizaines d'histoires différentes qu'on peut vivre dans Detroit puissent s'élever au niveau de Blade Runner ou toute autre oeuvre du genre. Évidemment.

Mais il faut tout de même souligner la justesse avec laquelle les question inhérentes aux thèmes abordés ici sont posées. Comme expliqué plus haut, on plonge avec plaisir dans un univers cohérent dont on découvre petit à petit toutes les petites subtilités. Mention spéciale d'ailleurs à tous les petits magazines qui sont posés ici et là et n'attendent que d'être lus pour approfondir nos connaissance de l'univers qui nous entoure. Un petit plaisir surprise dont on ne s'est jamais privé et qui témoigne de tout le boulot effectué pour rendre cette anticipation cohérente.

Ce qui nous a finalement plus dérangé dans le récit se situe en réalité dans les petites maladresses et simplifications distillées ici et là. Quand on raconte potentiellement autant d'histoires différentes, encore une fois, éviter ce genre d'écueils est probablement mission impossible, mais toujours est-il que certains passages détonnaient clairement par rapport à la qualité de l'ensemble. Difficile de vous donner des exemples précis sans vous spoiler, mais on peut notamment évoquer le côté brusque, rapide et simplifié de l'ascension du personnage de Markus, ainsi que certaines scènes que je n'évoquerai pas précisément mais qui auraient dû être très puissantes émotionnellement et ont été plus ou moins gâchées par une mise en scène un peu ratée, confuse ou maladroite. C'est dommage, car d'un côté on a clairement entre les mains le jeu le plus abouti de Quantic Dream, sur à peu près tous les aspects, mais qu'au final il touche peut-être un peu moins que les précédents en termes d'émotions. Vous allez me dire que c'est un avis très personnel, et vous pourrez d'ailleurs nous faire part du vôtre dans les commentaires, mais puisque nous sommes quatre à avoir terminé le jeu à la rédac', je profite de l'occasion pour vous livrer ci-dessous les avis tranchés de mes camarades avant de passer au petit bloc du résumé...

>

L'AVIS DE THOMAS

La vie m'aura jusqu'ici empêché d'aller au bout d'un jeu Quantic Dream. Heureusement, Detroit échappe cette fois à la malédiction, et aura réussi à m'emmener au bout de son intrigue. Si j'ai pu être conforté dans ma démarche d'indécrottable pacifiste grâce aux (très) nombreux choix offerts par l'aventure, les raccourcis systématiques et l'écriture parfois simpliste empêcheront ce jeu narratif de rejoindre les pontes du genre. Mais avec sa construction tentaculaire, il donne quand même envie d'y retourner, pour tout faire différemment, et aborde avec beaucoup de justesse des thématiques sur lesquelles il faudra très bientôt se pencher.

<
>

L'AVIS DE POUFY

Bon, je pense que c'est clair pour mes petits yeux, Detroit est sans aucun doute le plus beau jeu du monde à ce jour sur le plan technique, que ce soit la motion capture, les visages, les textures, l'éclairage ou les environnements, pour moi c'est clairement du jamais vu (consoles et PC confondus). Concernant la narration, passer après des The Last of Us et God of War est une épreuve difficile, car atteindre une qualité similaire de mise en scène et de scénario avec pour contrainte de proposer un nombre d'embranchements jamais vu dans un jeu vidéo, c'est à mon avis indubitablement mission impossible, et c'est pour cette raison que Detroit n'a pas réussi à me scotcher autant que ces deux jeux. MAIS, dans l'ensemble, même si le jeu n'est pas parfait sur ce plan là, j'ai vraiment adoré (une thématique à la Black Mirror ne peut de toute façon que me passionner). Sur ce, eh bien je vais m'empresser de le refaire avec un angle différent, car si pour moi ce n'est pas un jeu qui arrive à atteindre le Panthéon des plus grands jeux vidéo, il a pour qualité indéniable et unique de proposer une rejouabilité que nul autre jeu narratif ne peut se targuer d'avoir.

<
>

L'AVIS DE PLUME

Je dois reconnaître avoir regardé Detroit : Become Human de loin, davantage avec curiosité qu'envie. Non pas que j'aie la moindre réticence à l'encontre des jeux Quantic Dream, mais je craignais que la promesse d'une aventure à la carte où s'ouvrent des chemins narratifs différents à chaque mot et chaque action ne débouche sur un résultat fouilli, qu'il y ait de trous d'air comme j'ai pu en constater dans Fahrenheit, Heavy Rain ou Beyond... Bah j'avais tort.

Happé dès la première séquence, j'ai traversé Detroit sans voir le temps passer, avec une véritable admiration face au travail abattu par le studio parisien. La direction artistique et la cohérence de l'univers, la propreté éclatante de la réalisation - avec des modélisations folles -, la mise en scène, les trois histoires jouées sur des tonalités différentes, le cast et le jeu d'acteur vraiment impeccables (mention spéciale me concernant à Bryan Dechart et Clancy Brown), et bien sûr les possibilités scénaristiques : je reste épaté. J'ai bien relevé quelques maladresses par-ci par-là dans mon parcours, et je regrette ces coupures occasionnées par le besoin d'évoquer les embranchements après chaque scène. Mais ça ne m'empêchera pas de tirer un grand coup de chapeau à David Cage et son équipe.

<