Resident Evil, Devil May Cry, Dino Crisis, God Hand, Vanquish, Shadows of the Damned... et maintenant The Evil Within. Le CV de Shinji Mikami doit faire forte impression sur LinkedIn. Après avoir beaucoup apporté à Capcom, il a fait le bonheur de studios tels Grasshoper Manufacture ou Platinum Games, avant de fonder sa propre boîte, Tango Gameworks, avec laquelle il a lancé le "Project Zwei". Quelques années plus tard, cette ébauche voyait finalement le jour sous la dénomination "The Evil Within". La réception critique fut alors assez positive, malgré les quelques défauts du jeu, comme une partie technique souvent aux fraises, ou encore une longue succession de couloirs sans queue ni tête, à l'image d'un scénario qui avait perdu plus d'un joueur en route. J'avais moi-même terminé les aventures de Sebastian Castellanos sur un petit goût d'inachevé, mais que les deux DLC consacrés à Nicole... euh, Julie Kidman pardon, avaient plus ou moins effacé, pour me laisser au final un très bon souvenir.

En plus de cet assez bon accueil critique, le succès fut aussi commercial, avec un peu moins de 2 millions d'unités vendues à travers le monde. C'est probablement avec cet argument en tête de son étude de marché que Tango Gameworks s'est lancé dans le développement de The Evil Within 2. Cette fois cependant, Shinji Mikami est plus en retrait et uniquement là en tant que producteur. Il a laissé les clefs de la réalisation à John Johanas, qui s'était justement illustré sur les deux extensions "The assignement" et "The consequences". Alors rassurez-vous : quitte à vendre un peu la mèche sur la conclusion de ce test, le bougre sait ce qu'il fait et The Evil Within 2 se montrera supérieur à son prédécesseur en bien des points.

The Last Silent Evil 4

Tout laisse à croire qu'au moment de l'écriture du premier opus, cette suite existait déjà dans la tête des créateurs. Vous vous rappelez de Lily, la fille de Castellanos qui avait péri dans un incendie quelques années avant les incidents de Krimson City ? Et de sa femme qui était devenue démente en criant au complot avant de disparaître ? Eh bien ces détails, qui pouvaient paraître anodins à l'époque, simplement là pour poser le personnage torturé qu'était Sebastian, prennent tout leur sens ici. Quelques années après les événements de l'hôpital psychiatrique de Beacon, ou Ruvik, un psychopathe dément avait pris le contrôle du STEM - une sorte de matrice, une réalité virtuelle grandeur nature - pour y faire vivre un cauchemar digne des pires films d'horreur à ses habitants, Julie Kidman vient récupérer un Castellanos qui a le nez au fond de la bouteille, pour lui apprendre que sa femme avait probablement raison avec sa théorie du complot. Il apprend aussi et surtout que sa fille, Lily, est en fait toujours en vie, mais coincée et en grave danger à l'intérieur d'un nouveau STEM construit par la diabolique société Moebius. Ni une ni deux, cette fois Sebastian se jette à corps perdu dans cette matrice d'un genre particulier, pour aller sauver le fruit de ses entrailles. Mais que fait-elle là-dedans ? C'est ce que va essayer de découvrir l'inspecteur Castellanos, qui contrairement au premier épisode où il se battait surtout pour sa survie, trouve ici un but, une vérité à découvrir, une raison d'avancer, ce qui rend le scénario de ce second épisode bien moins ubuesque, décousu et sens dessus-dessous que celui de son aîné.

Si, au début du jeu, la réapparition de la fille de Castellanos semble être un prétexte un peu trop facile pour pondre un jeu de plus, d'autant plus qu'il semble qu'on suive la trace d'un tueur en série passionné de photo ayant fait de la ville son terrain de chasse, on se prend quand même très vite au jeu pour découvrir que les événements sont au final intimement liés au destin de Sebastian. En effet, cette traque, qui va assurer le spectacle et les sensations fortes toute la première moitié du jeu, sera ensuite suivie de grosses révélations sur le destin de la fille du héros. Et cette seconde partie sera l'occasion d'aborder des thèmes plus matures, comme le pardon, la culpabilité... mais de façon plutôt gauche, ce qui fait que l'on peine un peu à se prendre d'empathie pour ce pauvre Sebastian. Avec sa référence plus qu'appuyée au premier Silent Hill (un père de famille qui débarque dans la ville d'Union, totalement délabrée, aux routes coupées par des ravins, pour partir à a recherche de sa fille), on a donc un scénario plutôt convenu, avec en sus des alliés et des antagonistes assez génériques et peu mémorables. Mais il se laisse suivre assez facilement, la conscience immédiate d'être dans un univers virtuel aidant réellement à rendre les choses plus tangibles que dans le premier opus. Le tout est soutenu par une version française assez convaincante, avec une traduction comprenant quelques références à... La Cité de la Peur (un gage de qualité, assurément !), ainsi que des doublages plutôt réussis, même si l'on sent plus d'une fois que les acteurs n'ont pas forcément eu des images devant les yeux pour adapter leur ton... ce qui est bien, mais pas top.

Sebastian Jones

On reste tout de même en terrain connu, et les habitués vont pouvoir retrouver facilement leurs marques. Si le scénario est donc plus évident, vous serez tout de même souvent soumis à de multiples déformations de l'espace autour de vous, les bruitages sont toujours les mêmes et on retrouve notamment le Clair de Lune de Claude Debussy, synonyme de salle de repos ou vous retrouverez votre petite infirmière préférée, de quoi améliorer les caractéristiques de Sebastian, mais aussi un mini-jeu de tir hommage à Resident Evil 4 (sous les râles de vos ennemis, vous tirez sur des planches de bois à l'effigie des méchants que vous croisez dans le jeu). Les ennemis sont d'ailleurs assez peu variés, les différents types se comptent sur les doigts d'une main. Les boss vous donneront certes pas mal de sueurs froides, mais ils sont eux aussi assez peu nombreux. Le premier, un assemblage peu ragoutant de têtes de jeunes femmes équipé d'une gigantesque scie circulaire, fera indéniablement penser au fantôme de Laura dans le premier jeu, et devrait vous poser pas mal de soucis. Vous aurez aussi affaire à un fou de dieu équipé d'un lance flammes, un fantôme qui vous suivra un peu partout tel votre Némésis, ou encore à une créature aux multiples jambes avec un appareil photo à la place de la tête... qui semble être un véritable plagiat de Shade, un des autres boss emblématique du premier épisode, les talons aiguilles en moins et les ballerines de danseuse en plus. En toute fin de fin de jeu, on retrouve même quelques petites surprises pour les fans de la première heure, mais globalement, il faut bien l'avouer : le bestiaire est assez décevant au final, pas mal pompé sur The Evil Within et sans véritable tête d'affiche comme la tête de coffre-fort. Mais la peur est tout de même au rendez-vous, on avance à pas de loup dans des environnements inconnus, le moindre affrontement pouvant être fatal et devenant ainsi source de stress. Tout cela sans compter les nombreux "jumpscares", ainsi que - mais je n'en dirait pas plus - une utilisation ultra intelligente de l'une des caractéristiques de la manette DualShock sur PS4, qui m'a valu de nombreux sursauts...

Cette peur sera bien soutenue par l'une des nouveautés phares de ce second épisode : des phases d'exploration ! A l'instar de Silent Hill : Downpour, la ville d'Union, personnage à part entière de cette histoire, est gigantesque, et sans pouvoir prétendre au titre de monde ouvert, elle propose une certaine liberté dans l'accomplissement de vos tâches. Découpée en cinq zones, plus une sixième qui fait le lien, elle propose deux environnements assez énormes. Deux chapitres entiers seront ainsi consacrés à leur exploration (facultative mais gratifiée par de nombreux loots de folie). Il m'a fallu plusieurs heures pour tout y fouiller de fond en comble. Avec l'aide de votre radio, qui repère des signaux de quêtes secondaires, vous pourrez vous balader dans la ville et, tel un archéologue, entrer dans toutes les bâtisses pour y affronter pièges, embuscades ou "mini-donjons" dans lesquels vous serez poursuivis par un boss, rencontrerez d'autres PNJ ou leurs funestes souvenirs, racontés par des fantômes à la manière d'Everybody's Gone to the Rapture. La tension est constante, les rencontres non-désirées légion, et on reste constamment sous pression et à cours de munitions. Néanmoins, Sebastian a à sa disposition une carte un peu cheatée, puisqu'elle indique à peu près tout, jusqu'au loot pour lequel vous vous battez, et cela gâche un peu le plaisir. Je vous conseille de limiter son utilisation ! Pour les complétionistes enfin, qui voudraient ramasser tous les objets à collectionner disséminés au travers du jeu, sachez qu'ils sont légion et devraient vous tenir occupés pas mal de temps. Certains en apprennent un peu plus sur l'histoire, mais rassurez-vous : ils sont bien en évidence et j'en ai facilement récupéré plus de 75% au premier run.

Le couloir de la mort

Sur la grosse quinzaine d'heures qu'il m'a fallu pour finir le jeu, en prenant mon temps et en fourrant mon nez un peu partout, ces nouvelles zones d'exploration représentent environ la moitié des phases de gameplay. Elles constituent vraiment une très bonne surprise, si bien qu'on en aurait vraiment voulu plus ! Le reste du jeu est bien plus classique et va proposer une avancée plus linéaire, mais qui, comme je l'évoquais un peu plus tôt, se fera de façon bien moins décousue que dans le premier épisode, même si les phénomènes paranormaux les plus flippants et déroutants seront bien entendus de la partie lors de la visite des "donjons" du jeu. Au niveau de la jouabilité globale dans les phases d'action, on reste sur les valeurs sûres du premier épisode. L'infiltration est toujours primordiale, même si on ne se cache plus sous les lits ni dans les placards, car en combat le jeu est plutôt difficile. Même en mode Normal, l'inspecteur Castellanos est assez rigide, un peu comme papy Redfield, et les ennemis assez dangereux peuvent vite vous prendre en surnombre ou de vitesse. Au début, Sebastian ne court même pas un 100 mètres ! Après vérification du nombre de munitions, la fuite et l'esquive de combats est une solution parfaitement viable si l'on est un peu à court, même si cela voudra souvent dire faire une croix sur la récompense. Et à court, on y sera souvent ! Le jeu est vraiment chiche en munitions et en soins, et ce même avec le nouveau système de confection d'objets. La maniabilité est volontairement rigide et imprécise, ce qui ajoute de la pression dans les combats, ainsi qu'une vraie difficulté, parfois injustifiée. Au risque de me faire troller par des youtubeurs nazis, je suis mort de nombreuses fois, j'ai dû apprendre le placement et la cartographie de certains lieux pour m'en sortir. Les combats contre les boss, notamment les deux derniers, peuvent aussi se montrer très, très frustrants. Une visée automatique est incluse et devrait pas mal aider les novices des jeux de tir, mais un joueur chevronné pourrait la trouver handicapante.

De bonnes sensations, de la peur, une histoire intéressante, une jouabilité rodée et agrémentée de phases d'exploration ouvertes... le jeu a tout pour plaire, mais est-ce que la partie technique est à la hauteur ? Le premier jeu, développé à l'époque en parallèle sur PS3/4 et Xbox 360/One, n'était clairement pas bon sur ce point, et le "STEM Engine", moteur graphique maison, crachait ses tripes sans jamais parvenir à pleinement convaincre. Ce dernier est ici de retour, mais il a été bien mieux optimisé ! Le jeu est clairement plus beau et plus fluide, à mille lieues de ce qui nous avait été proposé en 2014. Le grain fonctionne bien, les environnements sont réussis et les personnages ont subi un lifting graphique bienvenu : Sebastian est plus charismatique et bourru, quand à Julie elle est plus belle que jamais. Quelques petits ralentissements sont tout de même à noter, notamment lorsque l'on relance un checkpoint après un chargement. Vous devriez aussi être nombreux à apprécier la disparition des bandes noires sur l'écran ! Sans être aussi beau que The Order 1886 ou Horizon Zero Dawn, The Evil Within 2 montre donc de solides qualités visuelles. Avec ses autres points forts, le jeu est donc bien armé pour se faire une petite place dans le coeur des fans de jeux d'horreur !