Grise mine au Dream Land, depuis que la bien nommée Glaizia en a absorbé les couleurs pour enluminer les sept régions de son monde façonné d'argile, Septonie. Et sans l'intrépide coup de pinceau d'Eline, Kirby serait sans doute resté statufié à tout jamais. Cette intrigue au classicisme éhonté donne lieu à une splendide cinématique qui paraît tournée image par image, histoire de souligner que la pâte à modeler constitue la matière première de cet univers. Ainsi les animations rappellent les productions du studio Aardman, en plus bariolé.

Une vraie cure d'édulcorants à la limite de la saturation, au point que certains lui reprocheront toujours son côté gentillet, pourtant si charmant. La netteté quasi organique des éléments au premier plan contraste avec le flou artistique à l'arrière, avec de multiples parallaxes entre les deux. Indéniablement, Kirby et le Pinceau Arc-en-Ciel s'impose parmi les plus beaux jeux de plateformes contemporains en 2,5 D, toutefois les textures travaillées du décor ne servent que d'habillage.

Ravalement de façade

Contrairement Au Fil de l'Aventure, les propriétés de ce matériau sont à peine exploitées par la mise en scène, et encore moins par le gameplay. Le fait que Kirby écrabouillé au plafond retombe ensuite tel une feuille morte illustre en effet cette regrettable omission... Ou ce manque d'inventivité ? Car la traînée de peinture semble venir tout droit du Pinceau du Pouvoir. Pour mémoire, notre boule de pâte à modeler roule en permanence, ses déplacements suivant la topographie de l'environnement.

Il s'agit donc de dessiner des cordes qui jouent le rôle de fil conducteur plus ou moins emberlificoté, afin que Kirby réalise d'étourdissantes pirouettes et glane un maximum d'étoiles sur son chemin. Un principe déjà fort bien ficelé, rendu encore plus confortable par le Gamepad, d'autant que les traits disparaissent désormais moins vite. En outre plus besoin d'étourdir les ennemis avant de les attaquer, un seul coup d'accélérateur donné du bout du stylet suffit à les éliminer. S'y ajoute un super turbo déclenché en maintenant l'appui, une fois la barre des cent étoiles atteinte.

Modelage transformiste

Hélas cette technique dévastatrice ne saurait replacer la myriade de pouvoirs que peut traditionnellement acquérir Kirby, rien qu'en terme de diversité. Évidemment les transformations visent à varier les situations, qu'il s'agisse du tank, du sous-marin, de la fusée ou des ballades en nacelle. Malgré leurs systèmes de commandes pas forcément intuitifs, ces séquences s'appuient avec opiniâtreté sur les fonctions tactiles. Tracer l'itinéraire de vol au préalable sur l'écran du Gamepad constitue ainsi une excellente idée, à l'instar du contrôle en simultané de deux Kirby.

Dommage que ces phases se montrent peu nombreuses, ou interviennent trop tardivement. Et de façon un peu paradoxale, les sections véhiculées se montrent longuettes quand elles s'étendent sur l'ensemble d'un niveau, bien qu'il soit alors plus court que les autres, à l'exception du quatrième stage de chaque monde voué au Boss. Enfin le recours très balisé à ces transformations empêche de les utiliser ailleurs, sans parler des notions d'évolutivité de Kirby, cantonnées aux bonus éphémères obtenus via les amiibo.

Construction en placoplâtre

Autrement dit, la progression et le level design se révèlent très linéaires, en dépit de quelques aspirations verticales. Faute de conserver ces aptitudes, on a toujours sous la main ce qu'il faut pour casser les murs ou activer les mécanismes, dans l'optique de récupérer les trésors. Ceux-ci sont tantôt dissimulés dans les recoins, tantôt liés à des puzzles ou des exercices d'adresse, là encore bien conçus.

Néanmoins un échec oblige souvent à recommencer le niveau pour retenter sa chance. Sachant que le challenge conduit rarement à perdre cinq vies d'affilée (et à se voir proposer de passer directement à l'étape suivante en abandonnant naturellement son butin), voilà un stratagème familier et au demeurant rageant parfois pour rallonger artificiellement la durée de vie. On irait presque jusqu'à penser la même chose de la roulette d'arrivée, tant il s'avère délicat d'en décrocher chacune des pages du journal secret. Heureusement, on peut compter sur l'aide de Waddle Dee, même brièvement en solo, puisqu'il se manie comme un Kirby "normal", la boulimie en moins.

Multi boules

Jusqu'à trois joueurs ont loisir de rejoindre (ou de quitter) la partie à n'importe quel moment, armés de lances et d'une palette de mouvements plus "stables", et par conséquent plus précis. Leur présence suscite quelquefois une certain désordre, en raison de leur ressemblance avec Kirby. Cependant leur capacité à ressusciter indéfiniment et à transporter notre héros rondouillard dans certains endroits épineux contrebalance ces anicroches. Et n'oublions pas l'esprit d'équipe, stimulé par les Boss - outrageusement recyclés en deux versions - ainsi que par les rencontres avec Agripaluche spécialement organisées pour les parties collégiales.

En revanche de petites portions ne sont pas jouables à plusieurs, des parenthèses qui ne diminuent aucunement l'exploit d'avoir permis à ces deux gameplay de cohabiter. Le pinceau a plus d'un tour dans son "arc", en témoignent les épreuves tortueuses du mode défi que l'on déverrouille selon les prouesses accomplies. Et si la collecte des figurines et des morceaux de musiques représente également une occupation motivante, l'aspect convivial de cette coopération asymétrique confère à cet épisode son véritable intérêt, reflet du joyeux faisceau multicolore que laisse Eline dans son sillage.