Évidemment, si vous avez déjà arpenté les Royaumes oubliés, le continent de Féérune ou que vous avez déjà croisé des Baatezu, vous êtes probablement un vétéran de l'univers Donjons et Dragons. Dans ce cas, vous connaissez le principe de ces RPG typiquement PC qui ont bercé toute une époque. Sinon, rassurez-vous, il n'est pas trop tard. Je dirais même que le moment est particulièrement bien choisi : grâce à Pillars of Eternity, vous allez pouvoir goûter à un univers et à des mécaniques de jeu qui n'ont pas pris une ride.

Black-Blanc-Beurre

Étape jubilatoire et preuve de bonne santé mentale lorsqu'elle est menée avec soin, l'incontournable séance de création d'un personnage doit faire l'objet d'une attention toute particulière. Bien plus qu'une formalité ou qu'une étape dilatoire, c'est déjà un moment privilégié, presque un niveau du jeu à part entière. Surtout qu'Obsidian n'a pas fait les choses à moitié : 6 races principales au choix, avec pas moins de 15 sous-races sont à sélectionner.

Au milieu des valeurs sûres que sont les Elfes, les Nains et les Humains, on trouve aussi des ajouts plus insolites comme les Aumaua (un peuple aquatique qui jouit d'une force incomparable), les petits Orlans, connus pour leur rapidité ou encore les Divins, dotés de pouvoirs mystiques. Ce n'est pas tout : la classe, les caractéristiques de départ, les antécédents du personnage, beaucoup de paramètres sont au programme. Inutile de préciser que tous ces éléments auront une incidence bien concrète sur notre environnement et les réactions des autres personnages, et à priori, peu de paramètres semblent totalement inutiles.

Cependant, une petite contrariété : à l'instar de Wasteland 2, la personnalisation visuelle des héros est un peu trop limité à mon goût. Hormis quelques couleurs et une poignée d'apparences physiques, ce n'est pas la panacée du côté du dressing. Mais hormis ce petit détail cosmétique, on a vraiment la possibilité de façonner ses personnages avec tout un tas de subtilités. Grand magicien athlétique, Elfe bourrin ou nain savant, presque toutes les combinaisons sont possible. Oui, ça met en appétit et croyez-moi, ce n'est qu'un début.

Un monde d'idées

Le vieux briscard qui a essoré Baldur's Gate ou Icewind Dale aura l'impression de retrouver ses vieux chaussons, tandis que le nouveau venu ne devrait pas avoir trop de mal à piger le système. Pillars of Eternity se joue à la souris, c'est intuitif et l'interface est d'une clarté exemplaire. Les esprits chagrins regretteront peut-être qu'une certaine confusion s'installe au moment de comparer différentes armes entre elles, ou une certaine difficulté à faire le tri dans son inventaire qui grossit exponentiellement, mais dans l'ensemble, c'est très propre. Surtout dans les combats, où on ne passe pas 3h30 à chercher la fiche de son personnage ou un sort à balancer alors que notre perso est en train de voir sa vie défiler.

En route !

C'est sur ces bases solides que l'aventure va se dérouler, et quelle aventure ! Après une introduction qui vous met tout de suite dans le bain, sans tergiverser pendant des heures, le jeu va nous propulser dans l'immense monde d'Eora avec une quête principale bien construite et franchement intéressante. En ce qui concerne la progression, le système est on ne peut plus simple : sur une grande map générale, on choisit sa destination parmi celles qui sont géographiquement accessibles. Une fois le niveau sélectionné, le jeu bascule en temps réel. On explore alors les environs avec ses héros, on se bat, on ramasse des objets (par milliers) et lorsqu'on a fait le tour du niveau, on peut retourner à la map principale et ainsi débloquer de nouvelles destinations limitrophes.

À ce stade, il me faut tout de même prévenir les nouveaux arrivants qui n'ont jamais trop eu l'occasion de se frotter à un RPG de cette envergure, Pillars of Eternity comporte pas mal de texte à lire. Que ce soit dans les dialogues ou dans la progression générale, tout n'est pas aussi direct ou concis que dans un Skyrim, par exemple. Oh rassurez-vous, ce n'est pas non plus un jeu-bouquin. Mais s'il serait bien entendu contre-productif et inapproprié de zapper à la chaîne ces passages-là, il faudra quand même se farcir de (très) nombreuses descriptions écrites. Alors oui, ça contribue à la richesse du monde qui nous entoure, mais je dois avouer que par moment, c'est un peu lourd.

It's a kind of magic

Mais Pillars of Eternity, ce n'est pas que de l'exploration et des dialogues, non, c'est aussi de nombreux combats, parfois sanglants. Quand la magie s'invite dans la partie, moult effets pyrotechniques s'affichent à l'écran et les incantations sont accompagnées d'une ambiance sonore qui prend aux tripes. Concrètement, les combats peuvent se jouer en temps réel, mais l'utilisation abusive de la pause est fortement recommandée pour trouver le temps de planifier ses actions ou le déclenchement de capacités spéciales : un mage aura un large choix de sorts défensifs ou offensif, par exemple, tandis qu'un combattant pourra tenter de renverser sa cible au sol. Il ne faut surtout pas négliger ces micros-actions au combat. Le placement des personnages par rapport aux ennemis est également crucial. Tous ces détails confèrent une dimension stratégique aux affrontements et contribuent largement à nous impliquer encore davantage dans le jeu. D'autant plus qu'un personnage mort et enterré ne reviendra pas. Le niveau de difficulté reste ajustable à la volée mais globalement, même en mode normal ou facile, le titre propose déjà un challenge plutôt corsé.

Pôle Emploi, filière aventure générale

Comme dans tout bon jeu de rôle Donjons et Dragons qui se respecte, on se retrouve rapidement avec une équipe entière à manager. Au cours de l'aventure, on aura l'occasion de croiser des personnages qui accepteront de se joindre à nous, mais on pourra aussi visiter les tavernes locales pour recruter la plupart d'entre eux. Moyennant finance, on repasse alors par la séquence de création du personnage pour sculpter le profil de nos nouvelles recrues. Loin d'être un vivier à IA débile qui nous suit bêtement, ces recrutements nous permettent de créer le ou les persos qui nous faisaient rêver au début du jeu. On pourra donc goûter aux joies de la barbarie ou du tir à l'arc furtif sans avoir à tout recommencer pour savoir comment se joue un archer, un magicien ou un Paladin.

Obsidian oblige, l'histoire principale, entourée d'une galaxie de quêtes annexes, bénéficie d'une écriture très maîtrisée. Que ce soit les dialogues, les situations ou les dilemmes, on sent bien que les développeurs ont soigné leur bébé. Je n'ai croisé que rarement des quêtes un peu rébarbatives ou trop classiques ; en général, on a toujours droit à une surprise, un retournement de situation ou une intensité scénaristique un brin travaillée. Avec des gars de Star Wars : Kotor ou Fallout : New Vegas aux manettes, je n'en attendais pas moins.

Autre élément particulièrement bien vu : la forteresse. À partir d'un moment, dans le jeu, on a la possibilité d'investir une grande bâtisse et d'y établir notre quartier général. On peut alors lancer diverses réparations, construire des défenses (car on subira aussi des assauts) et en faire petit à petit une bâtisse 4 étoiles, avec des chambres d'hôtes de luxe pour les aventuriers de passage.

Jamais sans mon SSD

C'est assez secondaire dans un jeu du genre me direz-vous, mais je dois tout de même vous parler de l'aspect visuel de Pillars of Eternity. Je n'irai pas par quatre chemins : c'est beau. Les différents éléments graphiques qui composent les décors sont à l'image de l'écriture du jeu : c'est soigné, travaillé, avec le souci du détail. Les ambiances visuelles sont parfois très différentes, que ce soit les belles prairies printanières arborées avec de jolis cours d'eau ruisselants, ou les sombres donjons qui s'enfoncent sous terre, remplis de créatures hostiles, les décors sont fouillés et l'ensemble est très cohérent.

Contrairement à pas mal de jeux qui jouent la carte du "old school", Pillars of Eternity a la décence de nous servir des environnements adaptés aux écrans modernes. En revanche, le jeu et son moteur de résolution des combats semble particulièrement solliciter le processeur. Même si une config moyenne peut suffire, bien entendu, je ne saurais trop vous inviter à y jouer sur un PC relativement costaud. Autre chose : un disque dur SSD me semble indispensable si vous ne voulez pas vous arracher les cheveux lors des changements de zone, car les chargements sont nombreux. Enfin, l'ambiance sonore, elle aussi, m'a convaincu, avec une mention spéciale pour les bruitages. Les musiques sont également agréables et parfaitement dans le ton.

Pour l'éternité

Est-ce vraiment bien utile de préciser que la durée de vie est très conséquente ? Un jeu de ce genre regorge de quêtes en tout genre, de lieux à explorer, de personnages à découvrir et d'ennemis à combattre. Rien que pour venir à bout du tronc commun, je dirais, à la louche, qu'il faut compter au moins une trentaine ou une quarantaine d'heures. Mais si vous décidez de prendre votre temps, de flâner un peu partout ou de ratisser le jeu en entier, je pense qu'une centaine d'heures doit être un minimum.

Quoiqu'il en soit, les développeurs ont fait du beau boulot. Pas seulement dans l'écriture ou dans la réalisation, mais également dans les finitions : si des petits problèmes persistent parfois lors du déclenchement d'une attaque ou du ramassage d'un butin, cela reste mineur et je n'ai pas relevé de gros problèmes structurels. Les développeurs ont donc pris le temps de sortir un jeu bien fini, sans tomber dans le piège de l'early acces et en ayant pris soin d'honorer la plupart de leurs promesses. Et en plus, le jeu est disponible en plusieurs langues, dont le français (texte), dès la sortie. Un exemple à suivre.