Tout est question de points de vue. En matière de critique de jeux, comme je l'évoquais dans "J'ai quelque chose à vous dire sur les notes dans le jeu vidéo", la subjectivité est indéniablement présente. N'y allons pas par 4 chemins : The Order : 1886 va diviser, violemment.

Difficile de le contester, ce jeu a été conçu pour proposer une expérience de cinéma interactif, et dans ma bouche, rien de péjoratif à cela. Une aventure ramassée, reposant fortement sur son histoire et privilégiant l'immersion aux rouages de gameplay, ainsi qu'à la durée de vie. En clair, un titre s'adressant ouvertement à l'archétype du joueur père de famille trentenaire qui ne peut plus (ou ne veut plus) engouffrer 30 à 60 heures dans un jeu, et pour qui la narration compte plus que les systèmes. De l'autre côté de l'échelle on retrouve les gamers chevronnés en quête de performance, de skills et soucieux de retrouver un système de jeu profond. Soyons clairs, les premiers risquent de passer un bon moment, là où les autres ont le potentiel pour crier aux loups. Personne n'a raison ou tort. Le jeu a juste eu un parti pris. Une fois que l'on intègre cela, on peut partir sur de bonnes bases.

Parce que oui, The Order : 1886 est un bon jeu et un grand film interactif (sans le côté péjoratif qui lui est parfois attaché). En rien une révolution dans le gameplay. Et en cela, l'Ordre va créer le désordre dans la communauté des joueurs...

Le plus beau jeu du monde

Oui, en ce mois de février 2015, The Order : 1886 est le plus beau jeu vidéo du Monde ! Vous pouvez reprendre cette phrase, me citer, vous amuser avec sur les internets, je n'en changerai pas un mot. Jamais technique et direction artistique n'avaient ainsi donné vie à un tel rendu, à une telle atmosphère, tout en assénant avec conviction et violence une aussi élégante gifle. Car au-delà de la prouesse technologique assez étonnante, The Order se paye le luxe de puer la classe. Costumes raffinés, décors photo-réalistes, ambiance enveloppante... le titre de Ready at Dawn respire la noblesse visuelle.

La finesse des textures, l'incroyable subtilité des éclairages, le respect du rendu de chaque matière (cuir, feutrine, acier, bois) ne cessent d'impressionner, le tout sans le moindre effet d'aliasing. Pas un seul. Jamais. Et puis le tout est diaboliquement vivant, certains époustouflants panoramas se révèlent ainsi saisissants. Ici une calèche, là-bas un train ou une volée d'oiseaux déchirant un ciel mouvant... Dans le domaine, il y aura un avant et un après The Order.

D'ailleurs même en le comparant à des titres PC récents, j'ai été littéralement scotché de bout en bout. Certes le jeu ruse en utilisant des bandes-noires, mais diantre, on les oublie vite et elles apportent un indéniable cachet (évitant au passage toute transition visible entre cinématiques et gameplay). Du jamais vu et une preuve qu'un peu plus d'un an après sa sortie, la PS4 est d'ores et déjà capable de proposer des expériences visuelles inédites. La fameuse claque Next Gen ? Je me la suis prise, en mode aller-retour. Si les graphismes ne font évidemment pas tout, et vous connaissez mon point de vue sur l'obsession du pinaillage technique, nier le fait qu'une telle prouesse a un impact sur un joueur normalement constitué serait être devenu aussi froid que le pire des serpents...

Le triste piège du rapport quantité/prix

Quelques mois après le captivant (mais un rien désolant) épisode "Metal Gear Solid V : Ground Zeroes, c'est trop court t'entends", l'éternel débat de la durée de vie reprend aujourd'hui de plus belle. Ma position n'a pas changée. Et si au lieu de s'échiner à parler de quantité/prix, au lieu de s'écharper sur une notion volatile (le prix d'un jeu fluctue, et la même somme n'a pas la même valeur en fonction des gens), la seule vraie question restait : "l'expérience est-elle bonne ?". Point.

A ce titre, je juge The Order : 1886 "bon"... pas très bon. Vous aurez noté la nuance. Car pour faire parti des jeux exceptionnels, il lui manque au moins une grande séquence, un moment mythique qui fait décoller définitivement un jeu. Il manque aussi un peu de profondeur dans quelques rouages, le tout est un peu trop fragmenté (cinématique/gameplay/cinématique) au point de parfois altérer le rythme, et je confesse une légère sensation de "pas assez" sur la fin. Pas tant pour la durée de vie à proprement parler (il m'aura fallu environ 7/8h en me baladant), mais plus sur la vitesse à laquelle passent certaines séquences. En franchise, rien d'handicapant, rien justifiant de crucifier le titre pour préserver sa street cred des hardcore gamers à qui on ne la fait pas, mais en effet pas suffisant pour entrer de plain-pied dans l'Histoire éternelle du jeu vidéo. The Order est finalement un peu trop sage.

A chaque public ses plaisirs

Pour autant, quel plaisir de progresser dans les ruelles de Whitechapel baignant dans une brume cotonneuse. Fréquemment vous trouverez des objets à inspecter (agréable de pouvoir les observer sous toutes les coutures comme dans Shenmue), quelques documents à lire ou écouter. La prise en main souple, et l'action nerveuse apportant ici un confort de jeu indéniable.

On regrettera juste de ne pas pouvoir améliorer un peu son équipement, que l'IA se révèle plutôt basique, avec par moment une tenace sensation de tir aux pigeons, que les ennemis soient peu variés (2-3 types de renégats, des lycans et c'est tout), que certains QTE soient répétés à certains moments clefs du jeu et que flotte une relative impression de respect d'un cahier des charges (séquence d'assaut, séquence de snipe, infiltration, assaut, etc.). Ainsi, c'est un fait, le fond de The Order n'est pas aussi parfait que sa forme, et forcément ça chagrine un peu. Mais sans atteindre des sommets de plaisir ludique, le voyage reste plaisant, d'autant que si l'histoire est intéressante, sa narration se montre remarquable. Mise en scène et jeu d'acteur captivent, que ce soit en VO ou en VF grâce à une bonne performance d'ensemble (juste dommage de ne pas avoir accès aux sous-titres français en VO).

La diversité est une force

Pour apprécier The Order : 1886 il s'avère indispensable de le prendre pour ce qu'il est, à savoir un spectaculaire film dont vous êtes le héros. Pas un terrain d'expérimentation de gameplay et de skills. A la lumière du débat qu'il génère, il me paraît essentiel de souligner qu'il est important d'éviter que le jeu vidéo ne se cantonne à un nombre donné de genres, ou une manière unique de réaliser ses aventures. La diversité est une force.

Des publics différents doivent pouvoir prendre plaisir avec des expériences différentes. Il est ainsi normal que chaque jeu ne parle pas à tout le monde, tout comme il semble important d'accepter que tous les jeux ne sont pas fait pour tous les joueurs.

Ce n'est pas parce qu'un titre met en scène des héros avec des armes à feu que, forcément, il se doit d'y avoir un mode multi, une longue durée de vie et un gameplay extrêmement poussé. Ca n'a été écrit nul part. Ce n'est pas une obligation ludico-divine. C'est comme si tous les films ou livres avec un policier devaient se concentrer sur les courses-poursuites ou les braquages. Non, il y a moult manières d'appréhender chaque genre ou thème. The Order mise sur autre chose et il le fait bien par certains aspects, moins par d'autres. Avec ses imperfections, j'avoue qu'il ne mérite pas la violente campagne de dénigrement qu'il subit depuis quelques semaines.

Quand on réclame à cors et à cris de la nouveauté, il semblerait avisé d'éviter de la clouer au pilori ad nauseam quand elle ose, même maladroitement, pointer le bout de son nez. Une considération et une prise de recul à prendre d'autant plus en compte quand il s'agit d'une nouvelle licence... chose malheureusement si rare dans le monde du jeu vidéo, tant habitué aux suites de suites. A ce titre, The Order : 1886 porte en lui les graines d'une belle série, et s'il n'est pas parfait, ce premier chapitre demeure un beau moment qu'il serait dommage d'éviter, ne serait-ce que pour son atmosphère définitivement unique.