Lors de son arrivée sur PlayStation, l'Odyssée d'Abe avait marqué les esprits. A l'instar d'Another World, Flashback et bientôt d'Heart of Darkness, les cutscenes de ce jeu d'action et de plateforme ne servaient pas qu'à faire de l'esbroufe ; elles avaient une véritable vocation narrative, renforcée par leur rendu cinématographique auquel le parcours du créateur d'Oddworld, Lorne Lanning, n'était naturellement pas étranger. D'autant que le scénario s'inscrivait dans une mythologie de grande ampleur, dont les éléments étaient savamment distillés chemin faisant. Cet univers prend enfin toute son envergure dans New 'n' Tasty, ne serait-ce que par le surcroît de détails qu'autorise la haute définition. Ceux-ci racontent chacun un petit bout d'histoire, qu'il s'agisse de souligner la nature très vivante de cette planète (notamment par le biais des arrières plans), ou l'ambiance étouffante des RuptureFarms, à grands renforts d'effets atmosphériques. En outre, les décors autrefois formés de bitmaps sont désormais modelés en 3D, grâce au providentiel moteur Unity. Non seulement la mise en scène est ainsi magnifiée par les jeux de lumière projetés en temps réel (le tout en 1080p et 60 images par seconde), mais cette profondeur supplémentaire permet des mouvements de caméra aussi spectaculaires qu'utiles dans certaines situations.

Welcome (back) to Rupture

Avec la bande son réorchestrée, on a vraiment le sentiment de redécouvrir ce monde, qui se montre néanmoins étonnamment familier, Just Add Water ayant pris soin de s'appuyer sur les matériaux d'origine avant de le reconstruire de fond en comble. Rappelons que la version originale était dénuée de scrolling, les niveaux s'affichaient écran par écran. Même si ce remake reste découpé en sections, sa structure gagne à la fois en espace et en cohésion, de sorte que l'aventure se déroule de façon plus fluide. Pour mémoire, on y incarne Abe, l'un des Mudokons exploités jusqu'à l'os dans les usines à viande de RuptureFarms par le vil Molluck. Surtout que ce dernier décide d'utiliser la chair de nos pauvres esclaves pour produire un nouveau met goûtu, dans l'optique de regonfler ses profits. En apprenant ces sombres desseins, Abe prend évidemment tout de suite la poudre d'escampette, bien qu'il ait le choix de secourir ses congénères au passage. Sans s'appesantir sur l'aspect allégorique de l'intrigue - plus que jamais d'actualité d'ailleurs - il va sans dire que cette question de moralité influence la fin de cette odyssée, mais également son cheminement, plus ou moins tumultueux selon l'approche adoptée. Et si New 'n' Tasty a évolué sur la forme, les piliers du gameplay n'ont pas changé, à quelques ajustements près.

Un aveu de faiblesse ?

La progression requiert toujours du doigté et de la réflexion, chaque zone comportant son lot de pièges plutôt ingénieux, sans oublier une multitude de recoins secrets parfois inédits. Il convient par conséquent d'avancer sur la pointe des pieds, a fortiori quand on espère sauver ses camarades, guère plus débrouillards que des lemmings en prime. Or notre petit Abe n'a rien d'un super héros musculeux, tout juste est-il capable de lancer des projectiles (dorénavant à l'aide du stick droit, bien plus précis), de prendre le contrôle d'ennemis via ses pouvoirs psychiques (avec toutes les facéties que cela suppose), et de communiquer avec les autochtones de manière un peu plus élaborée. Cette fonction jadis novatrice a toutefois légèrement vieilli, tout comme le manque de tolérance des commandes. Abe a beau profiter d'animations plus sophistiquées et d'une gestion analogique de ses déplacements, il souffre toujours d'une certaine inertie. Et la moindre erreur demeure souvent synonyme de décès, en dépit des petites variations qu'apportent les trois niveaux de difficulté. Heureusement, New 'n' Tasty dispose de davantage de check points, sensiblement mieux placés en sus, et intègre à son tour un système de sauvegarde rapide, activé via le touchpad. De quoi amadouer ceux qui n'adhéreraient pas à la philosophie implacable du Die & Retry, tout en se gardant d'égratigner les fans convertis de longue date à la discipline du skill. Les plus aguerris trouveront leur bonheur dans les speedruns associés à des classements en ligne, une compétition où l'on doit exploiter la surprenante agilité d'Abe, en particulier dans l'art encore plus subtil de la roulade. Des qualités insoupçonnables de prime abord, à l'image de cette quête toute entière, qui se révèle admirablement accomplie, aujourd'hui plus que jamais.