Pas facile de se façonner une personnalité quand on a goûté très tôt à la gloire, surtout si on a tapé dans l'oeil du public grâce à une bouille attendrissante. Voilà le destin qu'a connu Yoshi, passé du statut de second rôle pour sa première apparition dans Super Mario World à celui de vedette sur son île paradisiaque dès le volet suivant. Notre dinosaure à l'appétit féroce et à la langue bien pendue doit son ascension fulgurante à un coup de maître du sieur Shigeru Miyamoto, qui couvait depuis longtemps son petit protégé, dans l'idée de pondre un véritable compagnon pour Mario. Alors que certains pontes de Nintendo n'avaient d'yeux que pour les graphismes précalculés de Donkey Kong Country, notre homme a pris le parti d'opter pour un rendu crayonné que d'aucuns considèrent comme les prémisses du cel-shading. Yoshi's Island a ainsi hérité d'un style intemporel devenu sa signature, avant que Yoshi's Story ne cède à la plastique rutilante du prémaché polygonal, en préservant toutefois l'aspect fait main des textures. Hélas Universal Gravitation et Yoshi's Island DS se sont montrés moins inspirés d'un point de vue artistique, leur développement ayant été confié à la très scolaire maison Artoon. Et comme le studio Arzest, en charge de Yoshi's New Island, comporte d'anciens membres d'Artoon, il y avait de quoi regarder d'un mauvais oeil cet opus 3DS, en prime pas franchement enthousiasmant pour les mirettes a priori. Fort heureusement, la firme du plombier moustachu n'est pas restée sourde, et encore moins aveugle aux critiques, au point d'appeler à la rescousse Takahashi Tezuka pour garantir la filiation de ce volet avec la série, tel un "sceau de qualité".

Arty Yoshi

Exit l'épais liseré noir et les lignes dures qui semblaient étouffer le décor. En l'espace de quelques mois, les contours se sont adoucis, les couleurs ont été diluées pour tendre vers des tons plus pastels et laissent ainsi s'exprimer la fibre artistique de Masamichi Harada. Aquarelles à l'éponge, coloriages aux traits animés apparents en passant par la peinture à l'huile et l'estampe japonaise, les paysages de Yoshi's New Island font visiter un foisonnement de techniques picturales. Et si l'on peut lui reprocher un léger manque de cohérence, c'est néanmoins l'une des plus belles réussites en 2D de la 3DS, qui plus est au regard des capacités limitées de la console en la matière. En outre, l'affichage en relief ajoute une profondeur saisissante aux environnements, et ce grâce à de multiples parallaxes judicieusement superposés. Certains trouveront sans doute ce patchwork un peu fouillis, mais il n'en demeure pas moins un petit accomplissement graphique. Dommage que la dimension sonore n'ait pas bénéficié de la même verve. Certes le thème principal signé par l'illustre Masayoshi/Chamy Ishi est joyeusement entêtant, dans la lignée des précédents opus. Cependant ses remixes sous différentes influences musicales au fil de l'aventure se révèlent plus ou moins agréables pour nos oreilles, pour ne pas dire qu'ils les cassent dans le cas des contrées neigeuses. Heureusement, Yoshi n'a pas perdu son adorable petite voix, prêtée par Kazumi Totaka. Et derrière sa réalisation une nouvelle fois très affirmée, ce nouveau Yoshi's Island n'a pas non plus négligé l'autre composante essentielle de son caractère, son ADN de jeu de plateforme mêlant action et exploration.

Tilt oeuf

Avec ses bonds à rallonge lorsqu'il pédale quelques instants dans les airs, sa langue extensible pour gober les ennemis et son estomac en béton qui lui permet de les transformer en oeufs à lancer, Yoshi dispose traditionnellement d'une solide panoplie d'actions. D'autant qu'il peut encore se métamorphoser en différents véhicules au cours de (trop) brèves sections vouées à ces acrobaties. A l'hélicoptère et au sous-marin s'ajoutent ici un chariot, une luge, un marteau piqueur et une montgolfière, afin de varier les sensations. De plus, tous ces moyens de locomotion se pilotent désormais par le biais du gyroscope, avec un maniement hélas pas toujours aisé selon la mutation. L'utilisation des mouvements s'avère en revanche nettement plus convaincante pour lancer des oeufs. Habituellement, la visée s'effectuait uniquement à l'aide d'un curseur à balayage automatique que l'on avait la possibilité de verrouiller. Grâce au "gyroguidage", la méthode de ciblage additionnelle proposée par Yoshi's New Island se montre plus efficace, même en comparaison de celle usant du stick analogique dans Yoshi's Story, puisque moins statique dans tous les sens du terme. Yoshi a d'ailleurs retrouvé son goût pour les fruits, ou plus exactement pour les pastèques, qu'il s'agisse de se servir des pépins en guise de projectile, de cracher des flammes ou de congeler les ennemis. Si l'on apprécie le retour de ces power-ups issus de Yoshi's Island, la frilosité d'Arzest pour en intégrer de nouveaux demeure regrettable. Surtout avec une transformation en Super Yoshi qui ne se distingue de Superstar Mario que par son côté spectaculaire. Et cette remarque s'applique également aux ennemis géants et aux "Méga Destruct'oeufs" qui en résultent, pourtant bombardés comme l'argument massue de cet épisode.

Omelette réchauffée

L'intérêt de ces oeufs surdimensionnés se limite à de courts passages, en dépit des perspectives prometteuses engendrées par leur déclinaison métallique pour explorer les profondeurs des zones aquatiques. Le level design témoigne d'un même manque d'audace, faute d'exploiter la verticalité sur double écran ou les aptitudes particulières d'autres bébés à la façon de Yoshi's Island DS. Classiquement, chaque niveau repose sur un principe déterminé, et déjà vu la plupart du temps. Idem pour les ennemis souvent très familiers, les Boss méritant de figurer au palmarès des moins imaginatifs de l'Histoire vidéo ludique, pour leurs formes banales comme pour leurs patterns simplistes. Une vraie déconvenue quand on connaît la réputation de la saga, qui faisait preuve de tellement d'exubérance dans ce domaine par le passé. Et ne parlons pas du scénario, aux airs d'éternel recommencement sur fond de kidnapping de bébé. Enfin, la structure de l'île est aussi calquée sur celle des précédents opus, en l'occurrence six mondes subdivisés en huit niveaux (dont deux donjons). Seule différence vraiment de taille cette fois, l'avancée se veut sensiblement plus facile. Bien sûr, il faut toujours veiller à garder bébé Mario sur son dos et à le récupérer illico avant que les sbires de Kamek ne l'enlèvent, le compte à rebours jouant encore le rôle d'une sorte de barre de santé régénérative. Cependant le challenge a été globalement revu à la baisse, en terme d'adversité et d'embûches. Et l'inertie de Yoshi a disparu dans l'opération, pas forcément un mal cela dit, eu égard à sa parfaite docilité dorénavant.

La solution de facilité ?

Le vice a été poussé jusqu'à lui offrir des ailes providentielles, suite à la perte de quelques vies. Cette réinterprétation du Super Guide autorise Yoshi à planer indéfiniment, tandis que les ailes d'or, octroyées si l'on continue malgré tout à échouer, y rajoutent une aura d'invincibilité. Le bon côté de cette option, c'est que même les débutants malhabiles parviendront à la fin, fût-elle incomplète. Quant au mauvais, il n'y en a pas dans l'absolu, y compris pour les amateurs d'oeufs durs. Car dans son approche décidément très disciplinée pour rendre une copie soignée, Arzest n'a pas oublié de s'appuyer sur la collectionnite. Elle consiste encore à réunir les cinq fleurs, les vingt pièces rouges et à terminer chaque niveau avec trente étoiles, si possible en décrochant un maximum de médailles oeufs lors la loterie d'arrivée. C'est la seule manière d'accéder aux niveaux spéciaux et aux stages bonus dédiés aux véhicules, ce qui suppose des efforts autrement plus importants, tant ces éléments sont parfois bien cachés ou ardus à glaner. Et contrairement aux anecdotiques mini jeux en duo, ce contenu supplémentaire renferme d'excellentes idées, peut-être moins folles que dans les précédents Yoshi's Island, mais parfaitement taillées pour les aficionados invétérés de Yoshi. Sans aller jusqu'à dire que notre petit dinosaure se bonifie avec l'âge, il ne saurait donc s'adresser qu'aux plus jeunes, étant donné le second niveau de lecture de cette épopée clairement à l'attention des joueurs plus aguerris, voire des parents que beaucoup de ses fans de la première heure sont aujourd'hui devenus. Libre à chacun de chercher à retrouver sa part d'enfance, ou pas.