Ceci est une republication du test paru le 6 Juin, réalisé à partir d'une version import aimablement prêtée par Trader.

Instinct de survie

Seul dans les rues désertes de Tokyo, avance un petit loulou de Poméranie. Il a une gueule à s'appeler Kiki. Le petit chien, autrefois raillé comme un "immonde-petit-chien-à-sa-mèmère" joue les caïds. Non, il n'est plus ce petit sac à puces qui fait caca à tous les coins de rue. Il vient d'égorger un poulet qui se promenait nonchalamment dans la rue. Rien de tel que quelques protéines pour tenir en ce difficile hiver. Après ce festin, il faudra bien qu'il se trouve une petite chienne pour perpétuer l'espèce. Hélas pour le toutou, un chacal l'attend patiemment, au croisement de Shibuya, le transformant aussitôt en ragoût. "Dead", c'est le mot terrible qui apparaît en gros à l'écran. La fameuse loi de Tokyo Jungle.

Anti-Bardot

J'ai eu toute sorte d'animaux. Tania et Vania, mes tortues qui se sont perdues dans un hôtel de Belgrade, bien que je soupconne mes parents de s'en être débarrassées. Puis, il y a eu Boris le lapin, qui s'est trouvé être une lapine si l'on en croit sa portée de 7 lapinous un beau matin. J'ai eu des poules et mon fidèle chien, Marx, dont j'ai encore des souvenirs émus. Et puis Stephan le bébé-canard qui connût une fin tragique à cause d'un manque de soleil, une mort triste que mes parents, encore eux, ont fait passer pour une fugue. Ce qui ne m'empêcha pas d'aller à sa recherche durant de longues heures. Je le sais, je suis armé face à la perspective ignoble de voir tout un tas d'animaux meuuugnons se faire bouffer dans un futur impitoyable où l'homme a totalement disparu.

Le Sharingan des chiens

Contrairement à ce que beaucoup de gens ont cru, Tokyo Jungle n'est pas un jeu où l'on va évoluer d'espèce en espèce, en passant de l'état d'amibe à celui de bipède. Ce n'est pas le génial Evo. Le but, ici, est de survivre. Et quand on choisit une espèce, on s'y tient, jusqu'à ce que sa lignée s'éteigne. C'est que cet apocalyptique Tokyo, vidé de tous ses humains et ses cosplayers, est un monde sans pitié. De Shibuya au parc de Yoyogi où les animaux du zoo ont retrouvé la liberté, il ne sera pas rare de se frotter à des hyènes ou des caïmans, tout en respectant une certaine logique de la chaîne alimentaire. S'il m'est arrivé de tuer une tanière de bébé-lions avec mon chat infesté de puces, il est cependant quasi impossible de tuer un kangourou en incarnant un lapin. Le chien a de grandes chances de se faire écraser par un hippo qu'il aura eu la mauvaise idée de réveiller. C'est un des rares moments de logique animale qui se tient dans un jeu où la proie, une fois engloutie se transforme en un tas d'os dans un petit son creux. Tokyo Jungle prend de grandes libertés avec le réalisme. A moins que, et c'est très possible, j'ai séché le cours de bio où l'on apprenait justement que le cochon disposait d'un double saut.

La kalach de la jungle

Mais que l'on choisisse un poussin, une biche ou un chacal, de l'herbivore au carnivore, le jeu se déroule invariablement de la même manière : depuis la gare de Shibuya, on va devoir remplir des défis qui varient assez peu : rejoindre une autre partie de la ville, manger un certain nombre d'animaux/buissons, marquer son territoire ou encore procréer pour faire naître une nouvelle génération de survivants en essayant de trouver le bon partenaire de sexe opposé car c'est de ce choix que dépend la qualité et surtout le nombre de descendants. Car, c'est important, chaque progéniture égale "une vie", au sens classique du terme. Tous les mini-défis rapportent des points, tout comme essayer de vivre le plus longtemps possible ou bouffer un maximum de calories pour faire grossir son animal. Et les plus faibles devront se planquer dans les herbes, avancer pas à pas, car le danger est partout. On pourrait croire qu'incarner un carnivore rapporte plus de points. Il est facile de penser que le loup est le "shotgun" de ce survival-horror animalier. Mais comme chez La Fontaine, on comprend "en moins d'un instant qu'un Rat n'est pas un Eléphant".

La Fontaine version gangsta

Tout, à commencer par la longévité de sa dynastie, peut représenter des points qui permettront de briller d'un poil radieux dans la ménagerie des high scores. La survie ne propose pas de fin ni même de variation dans le quartier de Shibuya, figé parfois en fausse 3D comme un ride. Car, entre les chasses furtives réussies grâce à un bon timing et les déambulations dans les égouts, le raccourci dangereux et souvent empoisonnés d'une ville trop grande, Tokyo Jungle se fait une joie de jeter dans la boue des items rigolos. J'oublie toujours d'affubler ma bestiole d'accessoires, et ce malgré quelques bonus octroyés par cette visière de B-boy et ce pyjama bling bling que ne renierait pas Paris Hilton. Enfin son chien. Ces moufles protègeront tout aussi bien mon poulet que mon panda, comme pour nous rappeller que Tokyo Jungle n'est pas d'une exactitude zoologique. Mais tous ces animaux un peu excitants resteront inaccessibles tant qu'on ne se décidera pas à passer par la case DLC. Kangourou, croco et tigre à dents de sabre resteront verrouillés tandis qu'on se cassera le croupion à débloquer le hérisson, à récupérer assez de points pour débloquer la énième skin de biches. On ne se fait pas trop pigeonner mais c'est rageant.

Léa passion chimpanzé

Dans ce survival qu'est Tokyo Jungle, linéaire ce qu'il faut pour faire jeu à score, où le seul point vraiment aléatoire est la disponibilité de bouffe dans un quartier et les puces qui démangent terriblement, il est intéressant de voir que le mode Story, bien que rigolo, est presque secondaire, se débloquant aux aléas de ses survies, comme si la modeste équipe de Crispy's avait utilisé les mêmes outils pour se faire un exercice de style. L'idée, ultra ludique de transformer des chats en festin chinois, était suffisamment casse-gueule pour percuter de plein fouet les ambitions de ce petit studio éclos sous le patronnage bienveillant du PlayStation C.A.M.P. Et si l'organe de Sony destiné à produire et promouvoir les projets amateurs ne peut pas empêcher un pudique vague à l'âme technique très perceptible dans le jeu à deux, aussi fragile que le combo Sonic & Tails des temps lointains, il faut se rendre à l'évidence : alors qu'il risquait d'être franchement pourri avec sa structure ultra répétitive, Tokyo Jungle s'en sort fier, comme une bête de concours.