Le problème quand on a une formule parfaite, qui plus est raffinée sur plus de 10 ans d'itérations sur sa plate-forme d'origine (en l'occurence le PC), c'est qu'on risque de la dénaturer à chaque modification excessive. Le défi pour une telle série, était bien de porter tout ce que Civilization a de génialement jouable pendant de longues heures au clavier et à la souris, vers l'ergonomie autrement plus limitée pour ce genre d'une manette de console, tenue depuis le fond de son canapé. De ce point de vue, Sid Meier's Civilization : Revolution réussit son pari. C'est ailleurs que le bât blesse.

Le monde est petit

Brièvement, pour les consoleux profanes de cette grande série, Civilization : Revolution propose comme ses prédécesseurs d'incarner une nation parmi 16, par l'intermédiaire d'un grand chef célèbre (de Cléopatre à Napoléon, en passant par Gandhi ou encore Jules César), au travers duquel le joueur devra, commercialement, militairement, culturellement ou économiquement (ou un subtile mélange des quatre), imposer sa supériorité au fil des âges. Une seule phrase, quoique longue, pour pitcher ce grand jeu de stratégie, mais une profondeur rare. Recherche des grands savoirs (de la poterie au circuit imprimé, en passant par l'équitation, l'écriture, l'électricité ou encore les différents régimes politiques), commerce, construction de villes et veille à ce qu'elles prospèrent, exploration du monde et combats le cas échéant, Civ' pour les intimes s'est simplifié pour son passage console, à commencer par la taille du monde à conquérir. Et c'est peut-être bien là sa première erreur : impossible de choisir quelle taille le globe à conquérir va faire, et celui qu'on nous impose est minuscule. Du coup, on se retrouve très vite nez à nez avec les autres civilisations, et plus on est nombreux sur un petit bout de terrain, plus on est nerveux et agressif. Moi qui, en grand pacifiste, adore conquérir les autres civilisations à la lumière de ma supériorité culturelle, je me suis vite retrouvé contraint de produire des troupes en veux-tu en voilà, tant mes voisins en prenaient vite ombrage, me menaçant de guerre. Le monde est trop petit : ça a certes la vertu d'accélérer les parties (trois heures en moyenne), de les rendre plus nerveuses, mais aussi le tort de dénaturer leur rythme et de forcer les joueurs à des stratégies dont ils peuvent se passer dans les versions PC (si tel est leur choix).

Plus simple qu'il n'y paraît

Sur le papier, Civilization fait figure de jeu complexe, presque austère, même, et réduire le terrain de jeu n'est que l'une des nombreuses altérations consenties pour tenter de le convertir au monde console. Si l'ergonomie est assez réussie (c'est parfaitement jouable à la manette, quoiqu'il manque des raccourcis pratiques), le visuel l'est également (c'est mignon, et le côté cartoon à faire bondir les fans est pourtant très bien vu), mais c'est bel et bien sur le fond que ça coince. Car sous ces atours de jeu de stratégie riche et complexe, on fait le tour de cette version en deux, peut-être trois parties complètes. Même dans ses niveaux élevés, l'IA n'est pas très fine. Mais, surtout, il n'y a pas de degré d'avancement dans la complexité du jeu. Pas de mode avancé : ce que les concepteurs ont choisi de retirer pour alléger le gameplay, privant au passage le joueur de certaines de ses responsabilités, il est impossible d'y goûter plus tard, de progresser petit à petit vers des parties plus intéressantes ou variées. Elles se ressemblent vite toutes. De même, pas de vraie variété dans les décors (tout juste l'architecture des villes suivant les civilisations), puisque le monde est si petit que montagnes ou plaines, steppes enneigées ou plages tropicales se retrouvent systématiquement déclinées sur 3 ou 4 cases max de superficie à chaque partie. Pourquoi, une fois de plus, ne pas avoir laissé au joueur le choix de ses environnements et de leur taille ? Diplomatie limitée, commerce primaire, et conflits militaires quasi forcés... tous les ingrédients de base de la formule Civilization sont bien là, mais en les simplifiant à l'extrême sans laisser au joueur d'options pour modeler son expérience avec, Revolution est devenu aussi accessible que lassant.

Compromis compromettant

"Un compromis fait un bon parapluie, mais un mauvais toit", disait James Russell Lowell, poète et diplomate américain du XIXe. Une manière étonnament efficace de résumer mon opinion, et d'élever un peu le niveau sur Gameblog (après le coup du Chat-Bite, j'en avais bien besoin). Civilization : Revolution est jouable, mignon, adapté au gamepad. En outre, son mode en ligne permettra de se débarrasser de ses gros écueils d'IA au profit de la perfidie humaine, irremplaçable, et c'est bien en jouant en ligne qu'il se révèle le plus intéressant. Mais s'il constitue une excellente entrée en matière pour les timides qui voudraient s'initier à la série, il montre aussi rapidement ses limites, et certaines sont le résultat de décisions obscures en termes de game design (taille ou thème de la carte fixes, manque total d'options de complexité, de parties configurables). Elles ont donc probablement été motivées par autre chose. Un cycle de développement court ? Un département marketing persuadé que le joueur console est forcément un neu neu qui ne voudra pas aller plus loin ? On ne le saura jamais... mais on le regrette déjà.